Chapitre 13

Je sentis le poids du regard de mon Capitaine. S'il avait pu il m'aurait réprimandé, et le ferait surement après mon combat. C'était couru d'avance. Mais il ne pouvait stopper ce qui allait suivre, c'était risquer de me décrédibiliser aux yeux de tous, et de faire perdre le potentiel avantage que je pourrais avoir. Ils devaient tous me croire confiante, battante. Mais je devais avouer que son manque de confiance en moi me dérangeait. J'aurais aimé qu'il m'incite à poursuivre, comme Axel, que je ne connaissais pourtant que très peu, l'avait fait. Au lieu de ça, j'avais l'impression qu'il ne croyait pas en moi. Mais j'allais lui prouver qu'il avait tort.

Le sourire de mon père me rassura en revanche. Lui semblait croire en moi. Enfin je l'espérais. Dix ans s'étaient passés depuis nos derniers entrainements, mais je n'avais jamais cessé de m'exercer. Et mes compagnons m'avaient appris bien d'autres choses depuis que je les connaissais. J'aurais peut-être une chance de prendre un avantage sur lui, puisqu'il ne connaissait plus toutes mes techniques.

— Tu ne te défiles pas, c'est bien !

— Ce n'est pas mon genre, tu le sais parfaitement, souris-je.

Avec un rire, il poursuivit :

— Tu m'as dit que tu n'avais jamais cessé de t'entrainer, même après mon... départ. J'imagine alors que tu dois avoir un bon niveau.

— J'aime à croire que c'est le cas.

Je ne comprenais pas où il voulait en venir, pourquoi ces questions, et pourquoi tournait-il autour du pot ainsi ?

— As-tu déjà combattu en situation réelle ?

Je fronçais les sourcils, mais répondis :

— Oui, plusieurs fois.

Il devait bien se douter que dans ce monde, les dangers rôdaient à chaque coin de rue.

— Tu ne verras donc aucun inconvénient à ce que j'ajoute un peu de difficulté à ce combat ?

Mais où voulait-il en venir à la fin ? Quand j'acquiesçais, il claqua des doigts et deux soldats s'avancèrent dans le cercle.

— Ce n'était pas censé être toi et moi ? demandais-je.

— Nous y viendrons, mais laisses moi voir de quoi tu es capables d'abord.

Il allait en profiter pour m'analyser. Intelligent.

— Tu as peur de ta propre fille ? souris-je.

Un rire le secoua, tandis qu'il reculait un peu, au bord du cercle. Il était bizarre, ce comportement-là était étrange.

— Non, mais permets moi de prendre quelques précautions. Je t'ai personnellement formée, je sais de quoi tu étais capable avant, plus jeune. Et si tu es toujours aussi douée que tu l'étais, je préfère en avoir un petit aperçu extérieur.

— Si c'est ce que tu veux, ça me va.

Et ainsi, avec un autre claquement de doigt, le combat débuta. J'avais heureusement eu le temps d'observer les techniques des soldats lorsque nous parlions avec mon père, aussi il me fut moins difficile de les contrer.

Les deux hommes me tournaient autour, je devais avoir les yeux partout. Quand je parais un coup, j'en donnais un. Mais ils venaient de partout. Je reçu plusieurs coups, mais pas suffisamment puissants pour me mettre KO. Ils semblaient y veiller, probablement sur ordre de mon paternel. D'un coup de pied, je réussi à éjecter l'un deux qui s'écroula. Et de un. Le second me fit face, peu impressionné. J'esquivais deux coups de poings avant de lui frapper le ventre. Lorsqu'il se plia en deux, mon genou vint lui heurter le visage. Son nez craqua sous l'impact. J'en étais presque désolée, presque. J'avais battu les deux. Mais pas de répit visiblement, deux autres entrèrent dans le cercle.

Le même cirque recommença, ils semblaient se battre différemment. D'accord, pas la même technique. Eux semblaient un peu plus en symbiose. J'esquivais de justesse le poing d'un des soldats mais le coup de pied de l'autre frappa mon flanc. Je tombais en avant, grognant sous la douleur. Relevant la tête, je pus voir Byron, poings et mâchoire serrés, bien plus que mes compagnons qui étaient également tendus. Il était prêt à intervenir, mais je l'en dissuadais d'un regard. C'était à moi de jouer. De prouver ce que je valais. Je vis également Axel se rapprocher, s'intégrer au cercle, curieux. Un coup d'œil à Byron et je sus que je devais esquiver. Roulant sur le côté, j'éviter un autre coup de pied. Ils y mettaient plus de force ceux-là. Je me relevais rapidement. Cette fois les deux étaient face à moi. Nous tournâmes dans le cercle, à l'affût du moindre mouvement. J'étais en infériorité numérique, alors soit je fonçais et espérais l'effet de surprise, soit je les laissais venir à moi et tentais d'anticiper leurs mouvements. Je penchais pour la première option, les deux hommes semblaient confiants et ne pas avoir peur de moi.

Sans prévenir je m'élançais sauvagement vers l'un d'eux. Alors qu'il s'apprêtait à parer un coup, je me baissais et lui fauchais les jambes. Il tomba à la renverse. J'esquivais le poing du second et lui lançais un coup de genou dans le ventre. L'autre, s'étant relevé, ceintura ma taille, me bloquant contre lui. D'un coup de coude dans les côtes, j'essayais de lui faire lâcher prise alors que l'autre se rapprochait, le regard mauvais. J'envoyais ma tête en arrière, il me relâcha de surprise, mais je ne pus éviter le coup de poing du second. Je tombais une nouvelle fois à genoux, souffle coupé. Byron fit un pas en avant face à moi. Il fut retenu par Edwin. C'était mon combat, je devais faire mes preuves. Et jusqu'à présent les coups n'étaient pas réellement faits pour me blesser gravement.

Celui derrière moi attrapa ma queue de cheval et la tira en arrière, me forçant à relever la tête. Face à moi le soldat me dit :

— Abandonne.

Un sourire mauvais naquit sur mon visage :

— C'est mal me connaitre.

Je me laissais tomber en arrière sur le dos. Surpris, le soldat lâcha sa prise sur mes cheveux. D'un coup de pied je fauchais celui qui avait parlé, il tomba à la renverse. Je roulais sur le côté pour me relever aussi vite. Je parais plusieurs coups. J'attrapais la jambe du soldat alors qu'il tentait un coup de pied et en profitais pour la relever et le faire tomber également. Je me jetais à califourchon sur lui et fis pleuvoir les coups. Il resta à terre tandis que le second me plaquait au sol. Il frappa douloureusement mes avant-bras tandis que je protégeais mon visage. Il enchaînait tellement les coups qu'il ne me laissait pas de répit. Je devais réfléchir vite. Fort heureusement, même sous terre leur cercle de combat était sablé. J'attrapais une poignée de sable que je lui jetais au visage, mais avant que je ne le puisse, un coup vint frapper ma mâchoire. Sans m'appesantir de la douleur, je profitais de son étourdissement et de son aveuglement temporaire pour le renverser et le bloquer, mon genou sur sa gorge. Avec un sourire, il mit fin au combat en se rendant.

Je l'aidais à se relever et il rejoignit le cercle, comme ses précédents amis. Un regard vers mes compagnons et je pus nettement lire la fierté sur leurs visages, surtout dans le regard de mon Capitaine.

— Bravo, tu es effectivement très douée, commença mon père en s'avançant enfin dans le cercle. Mais te souviens-tu du combat au bokken ?

A peine eût-il terminé sa phrase qu'il m'en lança un. J'attrapais l'arme en bois avec aisance avant de me mettre en position face à lui. D'accord. Pas de répit pour moi visiblement.

Cette fois le combat était différent. Plus posé, plus tactique. Nous observions chaque mouvement, et tentions d'anticiper les coups de l'autre. Mon père et moi nous étions longtemps exercés avec cette arme, mais je ne l'avais pas manipulée depuis sa disparition. Alors il me prenait au dépourvu, et c'était sans doute l'effet recherché.

Lorsque nous eûmes analysé suffisamment longtemps nous nous lançâmes dans le duel. Les coups s'enchainaient et me fatiguaient. Il avait toujours de la force, c'était certain. Je parais, frappais puis parais de nouveau. Il arriva suffisamment à avancer vers moi pour me déséquilibrer. Il tenta un coup vertical vers ma tête, même si je savais qu'il ne me toucherait pas en réalité. Je parais à la dernière seconde en tenant mon bokken à l'horizontale. Ma position était loin d'être stable, il me fallait l'effet de surprise. D'un coup je me décallais et il fut emporté par son élan vers l'avant, il se rééquilibra avant de se retourner. Mais non sans que j'ai pu apercevoir une de ses faiblesses. Une de ses jambes semblait peiner à le soutenir, probablement une séquelle de l'explosion dix ans auparavant. Je n'aurais probablement pas du faire cela, par respect pour lui, mais j'étais persuadée qu'il préfèrerait que j'exploite toutes mes options pour gagner ce combat. Alors après de longues autres minutes ce cette ronde infernale, je vins frapper cette jambe. Il ploya sous l'impact et en lâcha son arme. Je vins immédiatement assurer ma victoire en plaçant mon bokken sur son cou.

Passée la surprise du dernier coup effectué, un sourire fier vint fleurir sur son visage. Il se redressa lentement avant de s'incliner en avant en un salut respectueux. Bientôt imité par ses autres soldats, sauf Axel qui souriait juste dans son coin, avant de quitter la pièce. J'avais réussi. Je l'avais fait.

— Tu es bien la fille de ton père, me murmura-t-il en me prenant dans ses bras. Je suis fier de toi. Tu es incroyable.

Cette étreinte était si agréable que je me perdis en elle. Je retins de justesse une larme.

Et sans un mot de plus, il dissipa le groupe. Plusieurs quittèrent la pièce, d'autres reprirent leurs entrainements dans leur coin.

Mon père m'emmena un peu plus à l'écart et je remarquais maintenant un boitillement de sa part :

— Je suis désolée... pour ta jambe.

Avec un sourire, il éluda mes propos :

— Ne t'en fais pas. Peu de personnes arrivent à remarquer cette faiblesse, j'arrive normalement assez bien à la cacher. Mais tu me connais trop bien j'imagine, rit-il.

— Une séquelle d'il y a dix ans ? demandais-je.

Il hocha simplement la tête. Je vis du coin de l'œil mes compagnons commencer à s'approcher.

— Ça te fait mal ?

— Là, tout de suite, un peu, forcément. Mais en temps normal pas nécessairement. Elle est sensible à l'effort, alors je ne peux plus me battre comme avant.

— D'où le combat au bokken et non aux poings, remarquais-je.

— Exactement.

Maintenant que l'effervescence des combats disparaissait, les douleurs commençaient à se faire sentir. Les soldats n'avaient pas frappé assez fort pour me blesser réellement, c'étaient une chance. Mais les coups n'étaient pas simulés et je n'échapperais probablement pas à quelques bleus et contusions. Ma lèvre me piqua tandis que je bus de l'eau et je grimaçais à l'instant où Byron arriva près de moi.

— Tu te bats extrêmement bien. Tu as énormément progressé ces dernières années.

Je pus apercevoir une estime dans son regard, ainsi que dans ceux de mes amis. Dans celui de Byron, je lisais plusieurs émotions, reconnaissance, colère, inquiétude et... une certaine tendresse.

— J'ai eu de bons professeurs, dis-je en insistant sur le pluriel des mots, un sourire douloureux aux lèvres.

Si mon père avait été mon premier entraineur, mes compagnons avaient pris le relai depuis des mois et je les en remerciais grandement. Grâce à eux tous j'avais pu réussir ce combat, et j'avais pu survivre jusqu'ici.

— Comment te sens-tu ? me demanda mon père.

— J'ai connu pire, répondis-je simplement avec un haussement d'épaules.

C'était vrai, j'avais connu bien pire ces derniers mois. Je ne manquais pas la tristesse et la culpabilité dans les yeux de mon héros. Il s'en voulait probablement de ne pas avoir été présent pour me protéger, et pourtant il ne connaissait même pas l'étendue des épreuves que j'avais dû passer. Une raison de plus pour ne jamais lui dire. Je n'avais pas à ajouter cela à sa conscience déjà probablement torturée.

— Je t'emmène voir Victor, dit immédiatement Byron.

Avec un soupir d'exaspération, je répondis :

— Byron, s'il te plaît, je vais bien.

— Tu n'aurais jamais dû combattre, tu te remets à peine de ta maladie.

— Je vais bien, c'est le principal non. Mais si ça peut te rassurer, j'irais le voir, quand j'aurais fini avec mon père, d'accord ?

Il sembla satisfait de ma réponse et acquiesça. J'avais envie de passer autant de temps que possible avec mon père. Si je le pouvais je passerais des mois, des années, à ses côtés. Mais j'avais une mission je ne l'oubliais pas. Alors je profitais de tout ce que je pouvais avec lui, avant de devoir partir. En me promettant de toute façon de revenir ici dès que cela me sera possible.

Debout, j'allais parler de nouveau lorsqu'une voix d'enfant éclata à l'entrée du centre :

— Papa !

Je me contorsionnais pour apercevoir une petite fille, d'environ six ans courir à travers la pièce. Lorsqu'elle s'élança sur mon père, s'accrochant à ses jambes, mon sang se glaça, elle continua :

— Papa ! Maman m'a dit d'aller vite te chercher !

Elle venait réellement d'appeler mon père « papa » ? Je reculais d'un pas, sous le choc. Je me cognais contre Byron au passage que m'empêcha de tomber en arrière.

— Qu'est-ce que... commençais-je.

— Breena... Attends, je peux tout t'expliquer, répondit Vincente.

Mon sang s'était littéralement glacé dans mes veines, et je n'entendais plus rien d'autre que cette petite voix, et ne voyais rien d'autre que cette fillette accrochée à mon propre père. Ce n'était pas possible.

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