Chapitre 12

Je m'éveillais au son d'éclats de voix à proximité. Forcément cela me rendit grognon :

— C'est trop vous demander que d'éviter de crier de bon matin ?!

— Breena, il est presque midi, et nous ne parlons pas fort, répondit Edwin avec un rire.

Puis je me souvins, l'alcool, mon père et tous les évènements de la veille. Attrapant un oreiller, je le plaquais contre ma tête dans l'espoir vain de les faire disparaître, tout autant que ma gueule de bois.

Mon coussin me fut rapidement arraché, me forçant à ouvrir les yeux sur mes compagnons. Mahaut, celui qui venait de faire ce vil geste, se moquait totalement de moi. Rapidement suivi des autres.

Byron et frère étaient introuvables.

— Alors... L'alcool était bon ? nargua le blond.

— Je ne vois pas de quoi tu parles, grognais-je en me redressant péniblement au bord du lit.

— Vue l'odeur que tu dégages, nous n'aurions pas eu besoin des explications de Byron, répliqua Ulric avec un rire.

— On ne t'a jamais appris à faire des compliments aux femmes ?!

— Quand j'en verrais une, je n'hésiterais pas, rit-il plus fort.

J'attrapais un autre oreiller et lui jetais à la tête. J'en profitais tout de même pour vérifier mon haleine. Je grimaçais. Il avait probablement raison.

Sans un mot de plus pour eux, je partis faire un brin de toilette. Une fois cela fait, j'attachais mes longs cheveux en une longue tresse, et enfilais des vêtements plus confortables. Je remarquais qu'une tenue semblable à celles des soldats m'avait été déposée. Si mes compagnons ne souhaitaient visiblement pas les porter, moi oui. Elle était confortable, entièrement noire, et relativement moulante, voire même trop étant donné que je n'avais pas les protections qu'ils portaient tous et qui pourraient cacher un peu plus mes formes. En revanche cela faciliterait grandement tout mouvement pendant un combat. J'aimais beaucoup. Et puis, je me souvenais très bien de l'invitation de mon père. Au moins je serais dans une tenue adéquate.

Lorsque je sortis de notre salle de bain, je ne manquais pas les regards de mes amis. Appréciateurs, mais dérangeants. Ils se détournèrent rapidement.

— Où sont Byron et Daever ? demandais-je.

— Partis en exploration, ils essayent d'avoir quelques informations sur ce lieu, et sur un moyen de partir.

Hochant la tête, je masquais ma légère déception en leur passant devant :

— Et bien moi, j'ai une faim de loup ! On va manger ?

Quelques minutes plus tard, nous étions attablés, et en train de manger notre repas. Ce dernier était déjà bien entamé lorsque mon Capitaine et son frère vinrent nous rejoindre. Byron évita presque mon regard, mais son frère me demanda, avec un sourire taquin :

— La nuit n'a pas été trop difficile ?

Saisissant très clairement l'allusion, je l'éludais :

— Pas le moins du monde, j'ai dormi comme un bébé !

— Vous avez trouvé quelque chose ? demanda Ulric.

J'appréciais ce changement de conversation. Je n'allais pas avouer que ma gueule de bois était encore bien présente et que le martellement dans mon crâne ne cessait de me le rappeler. Il me fallait boire, beaucoup d'eau, pour évacuer tout ça.

— Pas vraiment. Personne n'est bavard ici, c'est étrange. C'est presque comme s'ils nous fuyaient. Ils ne nous répondent que par des phrases simples et nous évitent soigneusement, répondit mon Capitaine.

Il était toujours soigneusement concentré sur ses hommes. Fallait-il que je feigne ne pas me souvenir de mes paroles d'hier ? Lui en semblait gêné en tout cas.

— Nous sommes des étrangers ici, ce n'est peut-être pas étonnant, répondit Edwin.

Je me souvins brièvement des collègues de Victor à mon arrivée, avant qu'il soit le seul à me voir. Ils étaient un peu comme cela, ne me répondaient pas, ne me regardaient pas.

— Ce Joseph, je ne le sens pas... répondit Ulric.

— Je ne sens aucun d'entre-eux moi... ajouta Mahaut, son visage grimaçant.

— Hey ! Mon père fait partie de ces gens. Ils ne peuvent pas être si mauvais. Croyez-moi.

Leurs regards se posèrent sur moi. Je pouvais voir à leurs expressions qu'ils étaient dubitatifs mais qu'ils s'abstenaient de répondre, pour ne pas me blesser.

— Sérieusement, j'ai passé de longues heures avec lui hier. Et il était exactement comme dans mes souvenirs !

— Depuis combien de temps tu ne l'avais pas vu ? demanda innocemment Daever.

Après un regard vers Byron, qui me regardait enfin, et qui m'encouragea à leur répondre, je continuais :

— Dix ans.

Ils ne purent cacher leur surprise. Et je me retrouvais à tout leur raconter. Après tout s'il y avait bien des personnes à qui je pouvais faire confiance, c'étaient ces hommes. Je leur parlais de sa disparition, et de tout ce qu'il m'avait raconté sur son arrivée ici.

— Tu sais, tout le monde peut changer en dix ans. Surtout après avoir perdu des êtres chers... commença Ulric, la voix teintée d'une tristesse que je ne lui connaissais pas.

— Je sais, crois moi je le sais très bien, mais ce n'est pas le cas. Il est... Lui. Tout simplement. Rien ne m'a paru étrange.

Ils se lancèrent un regard et acquiescèrent. Je savais qu'ils ne voulaient pas me contredire.

— On te croit... dit Mahaut, mais je sentis très bien dans son timbre de voix que ce n'était pas tout à fait vrai. Par contre, tu ne m'enlèveras pas de la tête que les autres sont louches.

J'étais assez d'accord avec cette dernière phrase en revanche.

— D'ailleurs, tu as pu apprendre certaines choses toi hier ? me demanda Edwin.

Hochant la tête je me lançais dans les explications de mes découvertes. Lorsque je leur expliquais le fonctionnement de leur communauté, et leur système de caste, ils semblèrent perdus, alors je simplifiais un peu les choses, peut-être qu'ils ne connaissaient pas vraiment ces appellation dans leur monde, puisqu'elles étaient issues du mien :

— Les Démiurges sont en quelques sortes les inventeurs, les scientifiques. Je pense que dans cette caste peuvent se retrouver des ingénieurs, des médecins ou toute personnes de ce type. Victor devait en faire partie. Et la zone où nous avons subis nos tests était probablement leur lieu de travail. Ensuite les Pourvoyeurs sont simplement tous ceux qui s'assurent que les besoins essentiels de la communauté soient assouvis. Dans les Cicerones, il y a probablement toutes les personnes possédant le savoir, donc des religieux, ou encore des professeurs, puisque j'imagine que les enfants ont besoin d'un enseignement. Et enfin la Cohorte est la caste qui s'occupe de la sécurité, c'est celle que mon père dirige.

Lorsque notre repas fut terminé, je me levais dans la ferme intention d'honorer mon rendez-vous :

— Où vas-tu ? me demanda instantanément Byron.

Son regard parcourra brièvement mon corps avant de revenir à mes yeux.

— Au centre d'entrainement.

— Pourquoi ?

— Aie-je vraiment besoin de justifier tous mes faits et gestes ? m'agaçais-je.

— Oui.

— Je ne crois pas non.

Sans un mot je les contournais pour avancer.

— Breena !

Ca y est, il m'agaçait. Je me tournais pour lui faire face.

— Sérieusement, c'est quoi ton problème ? Je vais rejoindre mon père !

Un éclair de lucidité passa dans son regard, mais il continua, baissant la voix pour que les habitants aux autres tables ne nous entendent pas :

— Ecoute, on ne sait toujours pas si cet endroit est dangereux ou non, tu ne devrais pas t'éloigner de nous.

— Je suis une grande fille, je n'ai pas besoin de permission. Je viens de retrouver mon père, et je compte bien passer le maximum de temps que je peux avec lui. Tu comprends ?! Je ne suis clairement pas en danger avec lui ! Je ne te dis pas ce que tu dois faire, alors n'en fais pas de même avec moi. Et si tu as si peur, t'as qu'à y aller également. Dans tous les cas, que tu viennes ou non, moi j'irais.

Sans attendre de réponse de sa part je m'éloignais et rejoignis le centre.

Tous les regards se tournèrent vers moi lorsque je pénétrais dans la pièce. Je n'aimais vraiment pas être le centre d'attention. Il y avait du monde, beaucoup de soldats s'entrainaient. Mon père devait donc bien se trouver quelque part. Lorsque je le repérais, j'avançais vers lui, confiante. Plusieurs soldats me barrèrent le passage :

— Je vous déconseille d'essayer de m'empêcher d'avancer, dis-je méchamment en croisant les bras.

Peu impressionnés, ils sourirent en me repoussant. J'allais leur faire mordre la poussière quand mon père arriva.

— Laissez passer ma fille !

Leurs yeux s'écarquillèrent avant qu'ils ne reculent et me laissent avancer. Je leur répondis d'un sourire mauvais.

— Tu es venue.

— Bien évidemment. Je ne manquerais pas une occasion de te foutre la misère.

Il rigola :

— Tu as toujours été trop sure de toi Bree.

Il verrait bien ce qu'il en serait.

Nous passâmes un long moment à discuter, tandis qu'il laissait ses soldats s'entrainer. C'était si bon de rire de nouveau avec lui, comme si rien n'avait changé. C'était presque comme dans un rêve. Et si c'était le cas, je ne voudrais jamais me réveiller.

— Bon, et si tu me montrais de quoi tu étais capable, lança-t-il tout à coup.

Il se leva et me tendit la main pour m'aider à me lever. Il m'emmena au centre de la pièce. Ah, d'accord. Il voulait que l'on fasse ça devant tous ses soldats ?! Si je gagnais, ils me respecteraient peut-être, si ce n'était pas le cas, je me serais simplement ridiculisée. Génial...

Ce fut le moment que choisirent mes compagnons pour entrer et se joindre au cercle. Impeccable...

— Soldats, je vous présente ma fille, Breena. Elle nous vient... de très loin.

J'avais beau passer mon regard sur tous les hommes autour de moi, aucun ne semblait ravi de me voir, ou de me rencontrer. Sauf peut-être Axel, qui se tenait un peu à l'écart, bras croisés sur la poitrine. Je ne comprenais toujours pas pourquoi il semblait si différent des autres. Tant dans la tenue vestimentaire, que dans son comportement ou ses paroles.

— Je l'ai moi-même entrainée lorsqu'elle était plus jeune. Nous ne nous sommes pas vu depuis des années, vous savez tous pourquoi ici. J'aimerais voir si elle a bien retenu mes leçons.

Papa, qu'est-ce que tu étais en train de faire ? Je n'aimais pas être donnée en spectacle, loin de là. Pourquoi me faisait-il ça ? Mon père était un incroyable combattant, il avait fait cela toute sa vie, et était chef de cette caste pour une raison. Il cherchait à m'humilier ? Ou me faisait-il assez confiance pour me faire combattre en duel contre lui ? Je ne pouvais décemment pas me ridiculiser devant tout le monde, j'avais un minimum de fierté. Mais si je gagnais... Peut-être obtiendrions nous plus facilement une reconnaissance, et par la même occasion des réponses ? Mon regard croisa celui de Byron, il secoua la tête pour me dissuader de le faire. Il devait penser à la même chose que moi, et ne me pensait probablement pas encore assez rétablie. Je n'en étais pas certaine non plus. J'étais persuadée que si notre lien fonctionnait encore à cet instant il ferait pression dessus pour m'en empêcher. Mais ce n'était pas le cas. Et il nous fallait des réponses. Derrière le Capitaine, se trouvait Axel, qui me regardait avec un sourire provoquant. Lui hochait la tête, m'incitant à le faire. Et je ne sus pourquoi, mais cela me donna confiance. Il fallait que je le fasse.

Regardant une nouvelle fois mon père, j'hochais la tête.

— Allons-y, dis-je avec un sourire.

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