Chapitre 1 : Sur les flots
Lorsque j'ouvris les yeux, très péniblement, ce fut pour découvrir que tout était sombre. Je ne voyais que le noir. L'arrière de mon crâne me faisait un mal de chien et mes oreilles bourdonnaient. Un liquide chaud et épais me coulait le long de la nuque. J'allais lever la main pour la tâter mais ne remarquais qu'à ce moment précis que mes mains étaient liées derrière mon dos. J'émergeais lentement mais tout de même ! Et pire encore, elles étaient liées autour d'un poteau en bois. J'étais assise à même le sol je ne savais où et dans une position des plus précaires. L'air était lourd, difficilement respirable, comme si un tissu était plaqué contre mon visage en permanence.
Des bruits de pas se firent entendre et firent vibrer le bois sous mes fesses. Ils se rapprochaient jusqu'à s'arrêter près de moi. Je ne voyais toujours rien. Brusquement, et me secouant au passage, la lumière se fit, me brûlant la rétine de son éclat. C'était beaucoup trop violent pour mes petits yeux.
— Et Dieu dit « Que la lumière soit ! », et la lumière fût ! m'exclamais-je, à l'aveuglette, le temps que mes yeux s'accoutument à cette soudaine clarté.
— La ferme, femme !
Je tournais la tête vers la gauche, d'où semblait provenir la voix. Je vis une silhouette se dessiner petit à petit, près de moi. Je plissais les yeux afin qu'ils puissent effectuer un focus convenable.
— Ah bah merde ! T'étais mieux flou ! dis-je lorsque ma vision redevint claire. Hey toi ! apostrophais-je un homme qui passait par là, remets moi un p'tit coup que je le vois plus !
Il s'éloigna sans m'écouter.
— Espèce d'ingrat ! J'te retiens !
— Mais tu vas la fermer ! s'énerva l'affreux près de moi.
— Tu comprendras bien vite que c'est pas possible ça mon mi... Non pas mon mignon non, me coupais-je en faisant la grimace et en secouant la tête.
Je remarquais à ce moment le petit sac en toile de jute qu'il tenait à la main. Ah bah j'avais la tête dans un sac en fait. Ceci expliquerait donc cela.
— Ah ! Elle est réveillée ! Parfait ! s'exclama une voix qu'il me semblait reconnaître à ma droite.
Tournant la tête, je reconnu le Capitaine de ce navire — oui parce que je venais seulement de remarquer être sur le bateau, déjà sur les flots qui plus est — s'approchant de moi à grandes enjambées.
— Pressé de me revoir on dirait ? dis-je, tout sourire.
— Tu n'as pas perdu ta langue à ce que je vois.
Je la fis claquer rien que pour lui prouver. Mes membres étaient engourdis d'être restés longtemps dans cette position. Cela devait faire plusieurs heures puisqu'il faisait à présent pleinement jour, et à en juger par la position du soleil, il était midi passé.
Je m'efforçais de ne pas penser à mes compagnons et à ce qu'il pouvait leur être arrivé. Je me souvenais parfaitement des mots qu'avait prononcés l'abruti à mes côtés lorsqu'il m'avait emmenée, il avait ordonné d'en finir avec eux lorsque nous serions partis... Ils ne pouvaient pas être morts, c'était impossible... Et pourtant quand je repensais au nombre d'assaillants qu'ils avaient, et en songeant qu'ils étaient blessés à mon départ, je craignais le pire. Ils devaient être vivants, il le fallait ! Jamais je ne pourrais continuer tout cela toute seule ! Jamais. Ils étaient devenus mes amis, que je le leur avoue ou non, mes protecteurs, mes guides. Depuis plusieurs mois, ils étaient constamment avec moi... J'avais besoin d'eux plus que jamais pour accomplir ma mission...
Mais pour cela, je ne devais pas penser à eux, ou à ce qu'il avait bien pu leur arriver. J'avais besoin de croire qu'ils allaient bien. Il fallait que je reste positive pour pouvoir me sortir de cette situation. Mes sentiments, mes peurs, mes doutes ne pouvaient pas entrer en ligne de compte. Seule ma colère, ma rage et ma force devaient m'aider. J'allais y arriver. Pour eux.
C'est armée de ce courage que je replantais mes yeux dans ceux du capitaine, refoulant mes larmes naissantes au plus profond de mon être.
— Pardonnez-moi si je ne peux pas vous saluer comme il se doit, je suis quelques peu... embêtée voyez-vous ! dis-je en gesticulant pour le lui prouver. Mais je pense que vous étiez déjà au courant non ?
Lentement, je parvins à me relever, faisant coulisser mes liens le long du poteau en bois. Etre debout était aussi douloureux que bienvenu. Et j'avais moins l'impression d'être insignifiante face à eux. C'était plus simple pour les affronter.
— Toujours aussi téméraire, je vais te faire passer cette envie, répondit-il en s'approchant de moi, se voulant menaçant.
Il était légèrement plus grand que moi.
— Facile à dire quand je me retrouve attachée ici. Tu n'en avais donc pas assez dans le pantalon pour me garder déliée alors même que j'étais inconsciente ? Quel homme je dois dire ! Enfin... Homme... Je me comprends !
Je le vis inspirer brusquement, visiblement énervé par ma réplique. Et oui... Attaquer la virilité d'un homme... Ça fonctionne toujours ! Quelques secondes passèrent et je le sentais réfléchir. Du coin de l'œil je pouvais également remarquer que l'autre homme trépignait d'envie de me faire la peau. Il ne bougeait probablement pas car il n'en avait pas reçu l'ordre. Bien. Brave bête.
— Bon on va se regarder longtemps comme ça dans le blanc des yeux où tu comptes porter tes couilles et me détacher ? dis-je après de longues secondes.
D'un signe de tête, il ordonna à son homme de me libérer. Je souris. Lorsque se fût fait, je massais mes poignets endoloris et, sans le vouloir, portais mon regard vers le subalterne, proche de moi. J'eus un mouvement de recul :
— Bordel, t'as vraiment pas une gueule de porte bonheur ! C'est encore pire vu de près ! Mais... T'es né comme ça ?! demandais-je, sérieusement.
Il avait envie de me frapper, je le voyais bien. Mais il n'en eu pas le temps, il fût congédié par son chef. Je me retournais vers ce dernier après m'être délectée de la scène.
— Bien. A nous deux, lui dis-je.
— Ne te mets pas trop à l'aise. Tu n'es pas en terrain conquis. Je suis le seul maître à bord, et tu es ma prisonnière. La seule raison pour laquelle tu es encore vivante, c'est que je compte bien te faire savoir quelle erreur tu as fait en libérant cette chose, que tu le regrettes bien. Après... Ton sort sera scellé.
— Ouh... J'en frémis d'impatience !
— Ne joue pas à la plus maligne. Mes hommes n'attendent qu'un geste, qu'un mot, de ma part pour te faire regretter tes actes. Surtout lui... ajoute-t-il en désignant un de ses hommes à l'opposé du ponton.
Je reconnu l'abruti que j'avais frappé dans la taverne lorsqu'il se tourna vers moi. Il n'avait pas l'air content celui-là.
— Bien. Laisse le moi, qu'on joue !
— Patience ma jolie ! dit-il en s'approchant très près de moi. Mes poings se serrèrent d'eux-mêmes.
— Le dernier qui m'a appelée comme ça est en train d'agoniser, et doit sans doute être proche de la mort, lui murmurais-je, très sérieusement. Alors je te déconseille de recommencer si tu ne veux pas finir comme lui.
Nous nous jaugeâmes quelques temps encore, sans prononcer le moindre mot.
Passant dans mon dos, il me dirigeât du plat de la main au travers de ses hommes. Ce contact m'irritait autant que ma présence ici.
Il m'emmena sur la proue. Je ne pus m'empêcher d'admirer le paysage. L'eau s'étendait à perte de vue. Plus aucune terre n'était visible, et le soleil était magnifique. Néanmoins, avec cette observation, il me revint à l'esprit que j'étais seule, au milieu de l'eau, prisonnière d'un groupe de pirates qui n'avaient sans doute pas vu de femmes depuis belle lurette. J'avais besoin de mes compagnons. Mais ils n'étaient pas là.
Reprends toi ma grande !
Je me tournais vers le capitaine, qui m'observait. De ma position j'avais vue sur tout l'équipage et ça m'allait très bien.
— La mer est calme n'est-ce pas ? dit-il en plongeant son regard derrière moi.
Je ne répondis pas, c'était purement rhétorique
— Profites-en tant que c'est le cas. Bientôt, tu constateras ton erreur. Et nous serons bien loin à ce moment.
— Que veux-tu dire ?
— Cette... créature, que tu as libérée, est la cause de la remontée sous la surface d'un monstre. La tuer aurait probablement cessé le carnage.
— Comment peux-tu être sûr que c'est de sa faute ? Et de quel monstre parles-tu ?
Il ricana. Apparemment j'étais drôle comme fille.
— Les sirènes règnent sur les mers et océans ! Elles les contrôlent à leur guise ! Tout ce qui s'y produit est le fruit de leur bon vouloir. Et concernant ce monstre... Comme je te l'ai dit, tu le constateras de toi-même.
— Ne vas-tu donc pas me tuer... Capitaine ? le provoquais-je.
S'il ne comptait pas m'assassiner, cela signifiait que j'avais peut-être une chance de m'en sortir.
— Oh crois-moi, je te réserve un sort bien pire que la mort. Même si je meurs d'envie de le faire moi-même.
— Ou bien serais-tu lâche ?
— Tu me plais bien... Tu aurais pu être ma compagne, dans d'autres conditions ! rigola-t-il. Mais il a fallu que tu te mettes en travers de mon chemin.
— A la bonne heure !
Il s'approcha de nouveau de moi, me bloquant contre le rebord du bateau.
— Et personne ne se met en travers du chemin de Jack Ren, le Serpent des Mers.
Je l'observais quelques secondes et éclatais de rire lorsque je me rendis compte du sérieux de sa déclaration. Son regard pris une teinte orageuse.
— Qu'est-ce qui te fait rire idiote ?
Me reprenant tout doucement, je répondis, les larmes encore aux bords des paupières.
— Mon pauvre... On dirait le titre d'un très mauvais téléfilm sans budget !
Son incompréhension fit redoubler mon hilarité. Je ne pouvais m'en empêcher.
D'un coup, je me pris une gifle monumentale qui me fit tomber sur le sol. Mon rire s'était stoppé net. J'avais senti ma lèvre craquer sous la violence du coup, ma vision s'était troublée et la douleur à l'arrière de mon crâne s'était réveillée. J'avais vexé le petit Capitaine. Ce n'était pas le premier, et probablement pas le dernier.
Je crachais un filet de sang sur le bois devant moi. Tant pis pour le côté glamour ! Du pied, il me retourna sur le dos avant d'appuyer la pointe de sa botte sur la gorge. Il me laissait à peine respirer. Penché au-dessus de moi, il reprit :
— Ne m'insulte plus jamais. C'est clair ? Tu ne sais pas à qui tu as affaire. Mais tu vas vite le découvrir.
Quelques-uns de ses hommes s'étaient réunis autour de nous, mais mon regard restait fixe dans celui du capitaine. Ma trachée commençait à être douloureuse et j'essayais de repousser son pied de mes mains. En vain.
— Enfermez là dans la cale, et attachez là comme il se doit ! ordonna-t-il à ses subalternes en me relâchant.
Je fus brutalement relevée et maintenue par trois hommes.
— Je compte rendre ton séjour chez nous des plus plaisants, j'espère que tu apprécieras mon hospitalité.
Je lui crachais un filet de sang au visage lorsqu'il fut à ma portée.
— Tu peux te la foutre au cul ton hospitalité, connard.
Il ricana en s'essuyant le visage.
— Je n'en ai pas fini avec toi. Sache-le. Mais ce n'est pas encore le bon moment pour ce que je compte faire de toi.
Je n'eus pas le temps de répondre que je fus emmenée de force dans la cale. C'était très sombre, seuls quelques rais de lumières filtraient au travers du bois. Et que dire de l'odeur ?
Une cellule se trouvait au fond du bateau et j'y fus attachée. Une chaine maintenait mes chevilles l'une contre l'autre. Deux autres maintenaient mes bras de part et d'autre de mon corps. J'étais maintenue debout en position de croix contre la paroi du fond de cette nouvelle cage. Ça allait être très inconfortable... Ca craignait.
Une fois qu'ils furent certains que j'étais bien attachée, ils s'en allèrent en verrouillant la porte de cette prison.
— Bande d'enfoirés ! Je vous ferais regretter ce que vous me faites, et ce que vous avez fait à mes amis ! criais-je tandis qu'ils s'éloignaient.
J'essayais de m'agiter, mais mes liens étaient solides et je m'épuisais plus qu'autre chose. J'étais encore dans une belle galère, pour ne pas changer.
— Retour à la case départ ma grande, me murmurais-je... Si seulement vous étiez là les gars...
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top