Chapitre 1
— Bree ! Dépêche-toi ! On va encore être en retard !
Comme à son habitude, ma meilleure amie, Lina, me criait dessus pour que je me bouge. Cette très chère demoiselle était arrivée chez moi en fin d'après-midi, après avoir terminé sa journée de travail.
Il était 21h30 et nous devions rejoindre nos amis dans un de nos bars préférés pour 22h. N'étant pas un modèle de rapidité — mais n'en ayant surtout rien à faire — je pris tout mon temps, pas très motivée pour une énième soirée passée à boire. Pas que cela me déplaise, loin de là, c'était disons une routine que je commençais à haïr de plus en plus ces derniers temps. Par contre, que quiconque ose me dire que je suis alcoolique et il ferait la connaissance de mes deux poings !
Je sortais juste de la douche. J'étais encore enroulée dans ma serviette de bain, plantée devant ma penderie, essayant de choisir ce que j'allais mettre. Je n'étais ni coiffée ni maquillée. Je tournai brièvement le regard vers mon réveil. Elle allait me tuer.
— Non mais t'es sérieuse là ?
Elle venait de passer sa frimousse dans l'encadrement de la porte et avait vu à quel stade j'en étais.
— T'énerve pas, tu sais très bien que je ne vais pas mettre longtemps à terminer !
— On arrive toujours les dernières, Bree !
— On garde toujours le meilleur pour la fin, non ? répondis-je en lui faisant un clin d'œil qui la fit rire.
— Toujours à te faire désirer, ironisa-t-elle.
— N'importe quoi, je suis juste lente. Et si tu as quelque chose à dire à ce propos, parles-en à mes gènes !
— Mon œil ! Avec les parents que tu as, c'est impossible d'avoir cette excuse !
Elle n'avait pas tort, c'était loin d'être crédible. Mon père était d'origine mexicaine et militaire de surcroît. Autant dire qu'il n'était pas un modèle de lenteur. Ma mère, quant à elle, était Irlandaise et institutrice, une de celles qui sont toujours à fond dans leur travail, une vraie pile électrique. Allez savoir comment ces deux-là avaient pu se trouver. Mais ne dit-on pas que les opposés s'attirent ? En même temps, il est aussi connu que ceux qui se ressemblent s'assemblent. Expressions de merde, bonjour ! Moi, je détenais un savoureux mélange des deux caractères de mes parents. Je ne tenais jamais en place, enfin, quand je le voulais du moins. Pas comme ce soir. Et pour me supporter, il en fallait du courage
— Allez ! Je vais t'aider, faut qu'on se grouille un minimum, me pressa-t-elle, tandis qu'elle entrait dans ma chambre.
— Pas la peine, je vais m'en sortir, tu sais, la rassurai-je en sortant mes affaires du placard et en me dirigeant vers la salle de bain pour me changer.
— Et fais un effort ! Je sais que t'es gâtée par la nature mais mets toutes les chances de ton côté si tu veux séduire l'homme de ta vie ce soir !
— Ouais, donc tant que tu y es dégote-moi un carrosse et un âne. Un âne avec des ailes, et qui parle. Plus classe que ces foutues princesses !
— Ah ah, très drôle ! Tu ne pourras pas passer ta vie seule Bree, tu changeras d'avis, tu te mens à toi-même. Et puis il finira par t'avoir, à force.
Elle parlait de l'un de nos amis, Alex, qui me tournait autour depuis des années, à l'inverse de moi.
— Il peut toujours essayer, s'il a du temps à perdre.
Je sortis de la salle de bain, vêtue d'un jean slim noir accompagné d'un t-shirt avec une épaule dénudée de couleur rouge, légèrement décolleté.
— Tu n'arrêteras jamais avec tes jeans ?
— Non, le confort avant tout ma grande ! Et te plains pas, j'aurais pu y aller en jogging ! répondis-je, tout sourire.
Je la détaillais en disant cela. Nous ne pouvions pas être plus différentes. Elle était assez petite, je l'appelais parfois affectueusement « Minuscule », elle détestait ça, et plus elle s'en énervait, plus j'y prenais plaisir. Oui, j'étais une personne assez chiante, mais c'est ce qui faisait mon charme. Enfin, moi je trouvais. Chacun son truc.
Elle avait les cheveux au carré, blonds et lisses, ainsi que de beaux yeux verts. Ce soir, elle portait une robe moulante bleu saphir, qui lui allait d'ailleurs à merveille, assortie de vertigineux escarpins noirs. Un maquillage simple finalisait le tout. En même temps, elle n'avait pas besoin d'en ajouter plus, elle les ferait déjà tous tomber raides.
Je complétais ma propre tenue en enfilant mes bottines en cuir noir, avec un talon tout de même, pour faire plus « femme » à ses yeux. Enfin, surtout pour m'éviter de me prendre une Lina enragée sur le coin de la tronche parce que je n'aurais pas fait assez d'efforts.
Je séchai rapidement mes cheveux et les laissai tomber naturellement dans mon dos. Pas de chichis, je préférais. Lina insista pour que je maquille un peu, ce que je fis pour lui faire plaisir. Et j'enfilai mon perfecto en cuir noir, la base. Ma base.
Je me dirigeai vers mon miroir pour voir ce que cela donnait. Le look me plaisait, décontracté, confortable, et a contrario, suffisamment habillé pour changer de mon allure habituelle sans trop en faire. De ma mère, je tenais ma silhouette fine et ma haute taille. Mais dans l'ensemble, j'avais presque tout hérité de mon père. Mes cheveux noirs de jais tombaient en ondulant jusqu'au milieu de mon dos. Ma peau, métissée, typique de mon côté mexicain, et mes yeux noirs ressortaient grâce au maquillage. Je remercierais bien mon amie pour ce détail, mais cela lui ferait trop plaisir. Elle s'approchait d'ailleurs de moi dans le miroir, j'aurais presque ri de nos différences. Comment pouvions-nous être amies ? Je dirais que les chances étaient presque aussi grandes que pour mes parents. Et pourtant nous étions inséparables depuis l'école élémentaire.
Lina attacha autour de mon cou un collier, celui dont je ne me séparais jamais. Un collier avec les plaques militaires de mon père. Si j'avais pu ne sortir qu'avec ça, je l'aurais fait, mais le naturisme n'était pas trop mon truc, et ça risquait de ne pas passer inaperçu en ville.
— Parfaite. Maintenant oust !
Je regardai à nouveau mon réveil : 22h. Ça allait, j'avais déjà fait pire niveau ponctualité.
— Allons-y, Minuscule, la taquinai-je en lui claquant les fesses.
Elle me frappa l'épaule et je rigolai. Je pouvais être très pénible quand je le voulais, c'est-à-dire à peu près tout le temps.
J'attrapais mon sac et nous sortîmes.
***
Après environ une demi-heure de trajet, en taxi, nous arrivâmes devant notre bar. Il était assez réputé et possédait son propre videur qui gérait la file d'attente interminable. Nous ne nous dirigeâmes même pas vers cette cohue, mais directement vers l'entrée : quand je disais que nous étions des habituées, je ne mentais pas. Nous étions connues de cet endroit, et nos amis devaient déjà se trouver là. Dany, le videur, nous fit un clin d'œil et nous laissa passer.
— Ils sont déjà à l'intérieur.
Je vous le disais !
— Merci, Dany ! lançai-je en souriant.
Nous partîmes vers le fond du bar, en esquivant les fêtards qui s'amassaient de part et d'autre de la piste de danse. Cet endroit tenait plus d'un night-club que d'un bar, mais le propriétaire, en parfait irlandais, persistait à le faire appeler ainsi, alors soit, je n'allais pas contredire mes origines. Sans difficulté, nous repérâmes notre table habituelle, occupée par nos trois amis. Ils se levèrent dès qu'ils nous virent. Je fis le tour des trois pour les saluer. Lina et moi avions rencontré ces trois garçons au lycée et nous étions depuis lors devenus inséparables. Cela faisait donc dix ans que nous les connaissions. Kévin était le petit-ami de Lina et je devais dire qu'ils étaient parfaits ensemble. Ils s'installèrent l'un à côté de l'autre tandis que je prenais place entre Max et Alex.
— On a déjà passé commande, puisqu'on savait que vous ne seriez pas à l'heure, annonça Alex avec un sourire taquin à mon intention.
— Me regarde pas comme ça, j'y suis pour rien, moi !
Tous me regardèrent, amusés.
— Oui bon, ça va, c'est rien trente minutes, admis-je.
— Ouais, c'est pas le pire que t'aies fait, c'est sûr, me répondit Alex.
Mes amis se mirent à rire.
En effet, il m'était déjà arrivé d'avoir presque trois heures de retard. Pour ma défense, j'avais travaillé tard ce jour-là. Sauf qu'ils n'avaient jamais accepté cette excuse et, depuis, j'étais cataloguée dans la catégorie escargot croisé avec une limace. D'un glamour incroyable si vous voulez mon avis. Heureusement que je bavais moins !
Nos boissons arrivèrent, une première tournée de bière, c'était donc un début de soirée tranquille, nous trinquâmes. Il était vrai que j'avais le lever de coude facile. J'aimais bien l'alcool, sans pour autant en abuser, mais je refusais jamais un petit verre offert. En même temps, j'étais aidée par mes origines. Sans faire d'amalgames, les Irlandais tenaient plutôt bien la pinte, la Saint Patrick m'ayant pas mal permis de m'entrainer étant plus jeune. Aujourd'hui, je détrônais tous mes amis dans des concours de « celui qui tiendrait le plus ». Ils n'osaient d'ailleurs plus participer à cette compétition avec moi. Ces lâches. Je m'étais tout de même quelques fois interrogée sur ma capacité à ne ressentir que très peu les effets de mes beuveries. Mais bon, je n'allais pas m'en plaindre.
— Alors, t'as croisé un autre de tes protégés cette fois ? me demanda Max, à mes côtés.
— Non, pas pour l'instant, je crois qu'ils n'osent plus trop venir ici maintenant.
— Tu m'étonnes, tu fais peur quand tu commences à jouer les mères poules, railla Alex, déclenchant l'hilarité générale au souvenir de mes fameuses altercations avec ces jeunes.
Mes « protégés » en question étaient mes élèves. J'étais professeur au lycée ! Qui l'eût cru ! Ma mère m'avait transmis l'amour de l'instruction et mon père, l'amour du sport, alors j'étais donc devenue professeur de sport. Mes étudiants étaient importants pour moi et j'étais attentionnée envers eux. À plusieurs reprises j'en avais trouvé quelques-uns qui n'étaient pas en âge de venir ici évidemment, tentant de s'incruster dans ce bar, et je les avais vite remis à la page. Ils ne m'en avaient jamais tenu rigueur, bien au contraire. De par mon éducation, j'étais le genre de professeur strict et ferme, mais j'étais d'un autre côté prévenante et compréhensive. En ce moment, nous étions en plein cœur des vacances estivales : donc la plupart d'entre eux étaient partis rejoindre leurs proches et les autres ne prenaient plus le risque de venir ici, sachant qu'ils pouvaient croiser mon chemin. C'était fou comme le bouche-à-oreille fonctionnait bien dans ce genre de situation !
***
Après avoir passé une bonne soirée ici, et une partie de la nuit, nous sortîmes. J'étais celle qui était le moins imbibée et donc plus à même de gérer les choses. J'appelais un premier taxi pour Lina qui rentrait avec Kévin, et un deuxième pour Max et Alex qui étaient colocataires. Ce dernier, désinhibé par l'alcool, avait une nouvelle fois tenté quelques approches que j'avais gentiment repoussées.
J'étais loin d'être à la recherche d'une quelconque relation. Je ne savais pas encore si cela était réellement lié à mon désir d'indépendance, au fait que je ne sois pas prête ou si j'attendais le prince charmant — mais chut, n'en parlez pas à Lina. Je ne croyais pas au coup de foudre et tout le tralala des contes pour enfants, il me fallait avouer qu'au fond de moi — très profondément — j'espérais toujours pouvoir trouver ce que mes parents avaient eu la chance de connaître.
Pour l'instant, le célibat me convenait. Je savais que je n'étais pas facile à vivre et que le pauvre « prince charmant » s'en mordrait les doigts. Au fond, et pour être sincère, je rêvais d'aventures, comme dans les livres que je lisais. Je ne voulais pas, ou plus, d'une vie tranquille, posée, calme et routinière. Mais c'était mon lot quotidien et il fallait faire avec, au grand dam de mon moral en constante baisse.
Après leur avoir dit au revoir à tous — et les avoir mis dans leurs taxis respectifs —, je montais dans le mien en direction de mon appartement et d'un lit bien chaud. Une fois la porte passée, je jetai mes clés sur le meuble à l'entrée, parce que c'était quand même plus drôle que de les accrocher. Après une douche tiède et revigorante, je fus prise d'une sensation d'enfermement bien familière. Depuis quelques mois, j'avais du mal à rester confinée ici. J'avais besoin de bouger, de profiter du grand air. Alors exit le lit bien chaud. Il était 4h du matin et je décidais de sortir pour courir un peu et me détendre. Qui de sensé ferait ça après une telle soirée ? Moi.
J'embarquais simplement mes clés, mon téléphone et, en moins de temps qu'il ne fallait pour le dire, je me retrouvais dans la rue.
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