VIII

UNE ATTAQUE (THALIA)

Felicia se tenait seule sur l'estrade. Elle avait le dos droit, les épaules alignées, une stature parfaite. En la regardant, postée de cette façon, je me remémorai la première fois que je l'avais vue. Je l'avais tout de suite admirée. Sa façon de nous accueillir, de nous rassurer, de nous présenter le Simulatorium... Et dire que j'étais tombée dans le panneau en pensant que rien ne nous arriverait...

Finalement, elle jeta un œil à sa tablette avant de prendre la parole :

— Comme vous le savez, il y a eu un accident avec l'une des navettes qui desservent le Simulatorium.

Elle fit une légère pause comme pour nous laisser le temps de comprendre. Cependant elle n'eut pas le temps de reprendre qu'Ashton lui coupa la parole :

— Est-ce qu'ils vont bien ?

Je me posais la même question. Les images qui défilaient à la télévision étaient toutes spectaculaires, presque irréelles. Si Luke, Echo et Michael s'étaient trouvés dans la navette... Alors je ne donnais pas cher de leur peau... Bon sang... J'avais peur. Peur que l'un d'eux soit mort.

— Malheureusement, nous n'en savons pas plus que vous, répondit Felicia. Les autorités ont refusé de nous donner plus d'informations. Tout ce que l'on sait c'est que quoi qu'il arrive, ils seront interrogés. Ils ne devraient rentrer que demain.

Ne pas savoir, c'était la pire chose au monde. Rester dans le flou, dans le doute, c'était affreux. Et si l'un des trois était vraiment mort dans l'accident ? Et l'on ne revoyait jamais Echo ? Ou Luke ? Ou bien même Michael ?

— C'était vraiment un accident ? voulut savoir Aleksey.

Il avait insisté sur le mot « accident » comme s'il était évident que ce n'était pas le cas. Felicia ne parut pas troublée pour autant. Comment faisait-elle pour gérer tous ces imprévus avec une telle aisance ? Luke était son cousin ! Comment faisait-elle pour ne pas trembler ? Et pourquoi n'avait-elle pas accouru sur les lieux ? Il était bien un membre de sa famille ? J'étais totalement stupéfaite. Soit c'était moins grave que ce que l'on craignait, soit Felicia ne nous disait pas tout.

— Comme je l'ai dit, on n'en sait pas plus que vous.

Ou vous refusez de tout nous dire.

— Sachez seulement que malgré tout, nous allons renforcer la sécurité du Simulatorium.

Renforcer la sécurité du Simulatorium ? J'échangeai un regard ahuri avec Astra. Ça voulait tout dire. S'ils éprouvaient le besoin d'augmenter la sécurité des lieux, c'est qu'ils avaient peur. Ce n'était pas un simple accident. La cyberattaque, le virus... ce n'était pas anodin.

— Et la troisième édition des Simulations sera reculée. Néanmoins, pour votre sécurité, vous devrez rester au Simulatorium plus longtemps que prévu – au moins jusqu'à la fin du contrat initial et si besoin, il devra être allongé.

La troisième édition reculée ?

Tout se bousculait dans ma tête. Pourquoi ? Pourquoi prendre la peine de tout stopper ? Comme si le temps s'arrêtait. Comme si nous étions vraiment en danger...

— Et si on ne veut pas rester ? s'enquit une voix derrière moi je ne reconnus pas immédiatement.

Mais en me retournant, je vis que c'était Dawn. C'est vrai qu'elle n'avait pas beaucoup de raisons de rester. Son placement dans le classement était loin d'être bon, elle ne connaissait pas beaucoup de personnes... elle n'avait l'air de s'entendre avec personne... sauf peut-être Kaloni. Mais Kaloni était Kaloni. Elle pouvait parler à n'importe qui. Même à Dawn qui nous prenait toujours de haut. Incroyable. Enfin bref, Dawn avait été la première à être éliminée et à sa place, je ne me serais pas sentie intégrée. J'aurais voulu filer, disparaître.

— Vous ne pourrez partir qu'au terme de votre contrat – comme il l'était spécifié initialement à votre arrivée.

Et elle n'en dit pas plus.

— Ils arrivent toujours à gérer les pannes, fit remarquer Aleksey après un instant, pensif. Depuis le temps que ça existe...

Je relevai les yeux, coupant court à mes pensées. Je vis que Reyna s'était tournée vers lui :

— Qu'est-ce que tu insinues ?

Il ne répondit pas tout de suite et le silence s'installa doucement dans la pièce, prenant ses aises. Tout le monde restait silencieux et semblait attendre qu'Aleksey prenne la parole à nouveau. Mais au fond, on savait tous ce que ça signifiait.

— C'était pas un accident.

Ces quelques mots que l'on avait pourtant déjà tous en tête semblèrent alourdir l'atmosphère. La tension dans la pièce était sur le point de m'étouffer. Il avait jeté un tel blanc que plus personne n'osait prononcer le moindre mot. Nous étions tous épuisés, stressés...

Et peut-être qu'on allait trop loin. Peut-être que nous n'avions pas encore suffisamment quitté l'univers des Simulations pour penser rationnellement. Le jeu nous hantait encore, il nous habitait toujours.

Alors, sur l'instant, je me dis qu'il y avait des chances que ce soit réellement un accident, une panne. Peut-être que finalement, oui, c'était un dysfonctionnement au sein du système des navettes. Ça pouvait être le cas.

Mais pourtant, au fond, j'avais l'impression que ce n'était pas ça. Je n'y croyais pas et Aleksey non plus.

— Tu veux dire que c'était planifié ? demanda Calum. Comme une attaque ?

— J'en sais rien, répondit Aleksey avant de hausser légèrement les épaules. J'en sais rien. Ce que je veux dire, c'est que ça pourrait être autre chose qu'un simple accident. C'est tellement rare aujourd'hui !

Il avait raison. Plus la technologie évoluait et moins il y avait des erreurs. Moins il y avait d'accidents et de pannes. Et quand il y en avait... on pouvait se poser la question de savoir si ce n'était pas autre chose.

— Admettons que c'était bien une attaque planifiée et tout, commença par dire Ashton, pourquoi viser une navette ? Je veux dire... c'est pas vraiment quelque chose à laquelle on pense en premier.

Je savais ce qu'il sous-entendait. Il aurait visé plus gros. Plus symbolique aussi.

— Non, en effet, admit Aleksey. Mais il faut penser autrement. Il y a des centaines de navettes dans tout Londres. Comme par hasard, c'est celle de Luke, Echo et Michael qui a été touchée. Vous ne trouvez pas ça bizarre ?

— Pourquoi nous viser nous ? demanda Dawn, complètement perdue.

Je tournai les yeux vers elle. En y pensant, c'était la première fois que je l'entendais parler aujourd'hui. Et à vrai dire, c'était étrange pour moi de la voir. Elle avait été éliminée au tout premier labyrinthe alors je ne m'étais jamais habituée à sa présence. Même depuis notre réveil, elle était rarement présente.

— Ils visent le Simulatorium, lui répondis-je néanmoins. Ils visent les Simulations.

À cet instant, tous les regards se posèrent sur moi. Comme si j'avais balancé quelque chose d'offusquant.

— Voilà enfin quelqu'un de sensé ! s'exclama Aleksey.

Si la situation avait été différente, il aurait reçu une insulte de la part d'Ashton, vu le regard noir que le bouclé lui lançait. Je dus m'empêcher de sourire malgré la gravité de notre discussion.

— Qu'est-ce que tu veux dire ? demanda finalement Calum.

Je finis par tout leur expliquer. Ce qu'on savait, Luke, Echo, Michael et moi sur le fameux commentaire que j'avais eu le temps de voir, sur nos hypothèses...

« Ce n'est pas fini. On finira par vous avoir et ce jour-là, les Simulations tomberont avec vous. »

Je ne cessai de repenser à notre discussion de tout à l'heure et à ce commentaire. C'est vrai, il était toujours dans ma tête. Je me le répétais sans arrêt, le décortiquant, le tournant dans tous les sens... Il ne quittait jamais mon esprit et plus le temps passait, plus son poids devenait lourd à porter sur mes épaules. Au fond, c'était comme garder un secret et de ne pas pouvoir le révéler à personne. Non, c'était même pire car je sentais au plus profond de moi que ce secret cachait quelque chose de plus affreux encore. Ce n'était pas simplement un commentaire. Non, il nous menaçait. Il menaçait les Simulations et par extension, nous étions tous en ligne de mire. L'accident, alors, ne pouvait pas être qu'une simple coïncidence. Et j'avais peur. Terriblement peur. Et si nous avions raison de nous inquiéter ? Et si nous avions raison de penser que c'était bel et bien une attaque ?

Je fermai les yeux.

Alors le pire pouvait encore arriver.