XXXI. Les extrémistes (Aleksey)

Chapitre 31

LES EXTRÉMISTES (ALEKSEY)

S'il y avait bien une seule chose dont j'étais absolument certain, c'était que je sauvais ma vie en enlevant celles des autres. Parce que pour avoir une chance de rester vivant, il ne fallait non pas se battre contre les extrémistes, mais en devenir un.

Autrement, on m'aurait éliminé de la même manière qu'on éliminait la plupart des personnes qui osaient sortir de chez eux afin de les défier.

Je savais donc que je protégeais ma vie en tuant ces gens que je croisais dehors, qu'ils fussent des joueurs ou de simples personnages créés par le programme Simulator.

Souvent, on abattait les fuyants – comme ils les appelaient – en les forçant d'abord à s'agenouiller puis en appuyant sur la détente. C'était rapide et efficace. Il suffisait généralement d'une seule et unique balle pour qu'ils tombent dans la neige dans un bruit sourd. On ne les entendait même pas crier.

C'était ce que je faisais à présent, pour ma propre survie.

J'étais moi-même passé à un cheveu de la mort, je le savais, mais j'avais eu de la chance. Je m'étais montré assez convaincant pour qu'ils décident de me tester et de m'envoyer dans cet hôpital pour le « nettoyer ». On savait tous qu'il s'agissait d'exterminer les fuyants cachés là-bas. Je n'avais pas refusé.

Et me voilà devant l'entrée principale de l'hôpital.

J'avais beau avoir du sang sur les mains, je ne me sentais aucunement coupable. Tout ce que j'avais fait, c'était pour me garder en vie. Alors s'il fallait tuer des gens, des enfants, des familles, je m'y résignais. Est-ce que ça faisait de moi un terroriste ? Un meurtrier ? Je sauvais simplement ma vie. La fin justifiait tous les moyens mis en œuvre, après tout. C'était ce que j'avais appris durant toute ma vie. J'avais appris à tout faire pour réussir, quelques que fussent les obstacles. Rien n'était insurmontable.

Tout à coup, j'entendis un grésillement qui me sortit de mes pensées. Ma main gauche vint prendre le talkie-walkie accroché à la poche arrière de mon pantalon et on prit aussitôt la parole. On allait me donner les ordres :

— Tu y es ?

— Je suis juste devant, dis-je après un moment de silence.

C'était un extrémiste, lui aussi. Il me surveillait et je savais qu'au moindre faux pas, j'étais mort.

— Bien. À toi de jouer. N'oublie pas : tu fouilles toutes les pièces.

J'étais obligé d'accepter et de jouer le jeu ; parce que désormais, c'était tuer ou être tué.

*

C'était long et ennuyeux. Je comprenais mieux pourquoi on m'avait refourgué cette tâche.

Entrer dans une pièce, vérifier que personne ne s'y trouvait, être à l'affût du moindre mouvement, du moindre bruit, puis ressortir bredouille. C'était loin d'être palpitant.

Au bout d'un moment, l'ennui atteignit son paroxysme et j'eus l'idée de consulter le classement. Mais je ne cachais pas que c'était aussi pour me rassurer en vérifiant que je faisais toujours partie des premiers. Heureusement, je l'étais toujours. Et mieux encore, j'occupais la première place, suivi de Reyna, Luke, Elyas, Ashton et Echo.

Ashton... lui qui était autrefois premier s'était ainsi retrouvé dans les derniers. J'avais d'ailleurs tué une fille – dont la mort ne l'avait pas laissé indifférent – et je l'avais laissé en vie. À quoi bon le tuer ? Ça ne servait à rien. J'avais gagné assez de temps pour remonter dans le classement et prendre sa place. Sa mort aurait été complètement inutile.

Quelque chose attira rapidement mon attention sur l'hologramme. Quelque chose avait changé sans que je ne sus dire quoi. Le classement était différent. Au fond de moi, je le trouvais étrange. En me concentrant, je compris ce qui causait ce drôle de sentiment : les éliminés avaient disparu. D'autant plus qu'il manquait un autre joueur... Thalia ! Thalia avait également été supprimée du classement ! Comment était-ce possible ? Que se passait-il ? Pouvait-on être éliminé avant même de finir un niveau ? Avait-elle déclaré forfait ? Avait-elle abandonné ?

Je secouais la tête, incertain. Était-ce au moins possible ?

Soudain, j'entendis du bruit. Quelque chose était tombé dans une autre pièce. Je n'étais pas seul contrairement à ce que j'avais cru.

Je fis aussitôt quelques pas en avant, effaçant le classement.

— Merde ! s'énerva quelqu'un, sûrement dû à la panique.

Comme si cette personne me sentait arriver. Comme si cette personne sentait qu'elle vivait ses derniers instants.

Je vis un jeune homme sortir de la pharmacie les bras chargés de médicaments et de bandages en tous genres. Lorsqu'il me vit, il fit tout tomber.

Enfin un peu d'action, pensai-je en pointant mon revolver dans sa direction.

Je savais ce qu'il me restait à faire.

*

J'étais resté un moment dans la pharmacie, à remettre en ordre ce que le fuyant avait fait tombé avant que je ne l'abatte. Il valait mieux pour tout le monde que tout reste à sa place. Je n'étais pas du genre à gaspiller de telles ressources. J'étais peut-être un extrémiste en période d'essai, je n'en restais pas moins humain. Je savais que ces médicaments pouvaient être utiles à d'autres.

Après avoir passé la porte de la pharmacie, au lieu de continuer ma route et de me rendre au deuxième étage, je restais sur place. Je me sentais étrangement observé. Y avait-il quelqu'un ? Ou était-ce simplement mon imagination ?

Je tournai la tête des deux côtés, forcé ensuite d'admettre que mon esprit me jouait des tours. Felicia en avait parlé succinctement lors d'une réunion : la paranoïa était un des effets que le jeu avait sur nous. Après tout, c'était normal. On se méfiait du moindre bruit suspect, de tout. Je ne pouvais faire confiance à personne et à l'inverse, les autres ne pouvaient pas compter sur moi. C'était aussi mon style de jeu. J'étais un solitaire invétéré. Un stratège. Le travail d'équipe, trop peu pour moi.

*

L'hôpital me semblait maintenant plus vide que jamais. Le premier étage avait été nettoyé, tout comme le rez-de-chaussée – où j'avais tué un adolescent de mon âge – et me voilà au deuxième. Personne ne s'y trouvait. J'allais et venais dans chacune des chambres, trouvant parfois les lieux lugubres. Ça n'avait plus rien d'un centre médical à présent. Et je n'avais qu'une hâte : partir au plus vite.

— Eh ! Aleksey ! Quelle surprise !

Je manquais ainsi de sursauter et de faire tomber mon arme.

— Elyas, dis-je tout en feignant d'être ravi de le voir alors que tel n'était pas le cas.

Le garçon était planté là, juste en face de moi. Il arborait un léger sourire. Innocent jusqu'à la moelle, quelle naïveté.

— Comment ça va ?

— Ça va, me répondit-il. Et toi ? J'ai vu que tu avais dégringolé du classement.

Quoi ? Comment ?

— Qu'est-ce que tu veux dire ? J'ai regardé tout à l'heure...

Il devait bluffer. C'était une ruse, forcément.

— Mais tu es avant-dernier, insista-t-il. Si tu ne me crois pas, vérifie.

Suspicieux, j'enclenchai l'hologramme et le classement s'afficha devant mes yeux. En effet, j'occupais l'avant-dernière place. L'avant-dernière !

Je devinai que j'avais dû perdre du temps en faisant le tour pour nettoyer les lieux. Et en ce moment-même, j'en perdais encore ! À cause de lui !

— Oh, je vois, exprimai-je finalement, prenant un ton nonchalant.

De toute façon, j'allais très vite remonter. L'ordre changeait continuellement, ça n'allait pas durer. Et puis, je ne craignais rien pour le moment. Elyas, lui...

— Bref, je ne m'attarde pas.

Tant mieux !

— Attends, le retins-je. Pourquoi es-tu soudainement dernier ?

— Exécution dans la rue, juste en face de l'hôpital.

Il haussa ensuite les épaules comme s'il exprimait une habitude.

Ah, les extrémistes. Voilà pourquoi j'avais pris la décision d'apparaître comme l'un des leurs. C'était beaucoup plus facile de cette manière.

— On se voit au prochain niveau, Aleks.

Ensuite, Elyas me tourna le dos et se mit à marcher en direction des escaliers.

Ouais, on se voit au prochain niveau.

Je tendis mon bras, mon arme ainsi pointée dans sa direction. Il ne me restait plus qu'à tirer.

La balle fila droit sur sa cible mais la manqua. Là où se tenait Elyas quelques secondes plus tôt, il n'y avait plus rien. Il venait de disparaître juste sous mes yeux ! Il s'était volatilisé. Il était parti ; effacé.

*

Je faisais les cent pas. Comment Elyas avait bien pu disparaître ? Pourquoi ?

Machinalement, une question traversa mon esprit : est-ce que ça voulait dire que j'étais le prochain ?

— Non ! m'époumonai-je à voix haute.

Je ne pouvais pas être le prochain ! Je devais remonter dans le classement !

Je sortis de l'hôpital rapidement. Il fallait que je me sauve. Je ne pouvais pas « m'effacer » à mon tour. Parce que je savais que ce n'était pas une bonne chose. C'était sûrement la fin des Simulations pour ceux qui se voyaient effacés et je ne souhaitais pas ça.

Je repensai alors à ce qu'Elyas m'avait appris. Il fallait que je vérifie à nouveau. Il fallait que je m'assure que je n'étais plus en danger.

Je fermai les yeux un instant, juste assez longtemps pour essayer de me calmer.

Puis j'affichai le classement.

Mes yeux se posèrent dessus et une vague de soulagement me heurta de plein fouet. L'ordre avait une nouvelle fois changé. J'étais troisième. Juste devant Luke et Echo.

Ainsi, sortir de l'hôpital était donc la solution pour remonter. Est-ce que ça voulait dire que j'avais manqué Luke et Echo ? Qu'ils se cachaient encore là-bas ? Pensif, je suivis mentalement le fil de mon après-midi. J'avais vérifié toutes les pièces... les étages... le rez-de-chaussée... Ah ! Mais pas le sous-sol ! J'avais oublié le sous-sol. S'ils l'apprenaient, j'étais mort. Ils ne devaient en aucun cas le savoir ! Si les extrémistes découvraient que je n'avais pas tout fouiller, j'allais finir comme les autres avant moi.

En mirant le classement, je ne pouvais que me demander quel était le but de ce niveau. Survivre, assurément. Et ensuite ? Combattre les extrémistes ? Les rejoindre ? Ce niveau était de loin le plus compliqué puisque notre rôle dans la Simulation nous était encore inconnu. Les niveaux précédents avaient été plus faciles dans la mesure où nous étions partis d'un point A pour rejoindre un point B. Ici, le point B semblait inexistant. Peut-être fallait-il attendre la nuit pour le découvrir ?

Heureusement, pour le moment, personne n'avait réussi à passer ce niveau. Un niveau d'autant plus difficile à cause de son contexte historique. Au moins, je n'étais pas le seul à me poser des questions. Je n'étais pas le seul sans réponse.

Malheureusement, si sortir de l'hôpital me permettait de rester en lice, un nouveau problème se posait. Me promener dans Londres, à cette période, à la tombée de la nuit, c'était me condamner à mort. Même si j'agissais comme un extrémiste, il n'était pas exclu qu'ils ne changent d'avis. Ils pouvaient décider de me tuer, et ce, à tout moment. D'ailleurs, les autres joueurs pouvaient aussi m'éliminer. Je n'étais pas en sécurité.

Tout à coup, j'entendis la neige craqueler derrière moi.

— Tu es sorti, constata une voix tandis que je me retournais rapidement, sous l'effet de la surprise.

Décidément.

Et malgré avoir entendu du bruit, j'avais été surpris. Mon père, en me voyant, me dirait que je n'avais pas l'étoffe d'un extrémiste, d'un tueur, d'un vainqueur. Il me traiterait de lâche, de faiblard, de tapette. Il me dirait aussi qu'il n'était pas fier de moi et qu'il ne le serait jamais.

Fuyant mes propres pensées, je revins à la réalité en croisant le regard de l'homme qui se tenait en face de moi, tout en comprenant qu'il s'agissait de celui qui était censé me surveiller.

— Tu en as tué combien ?

Était-ce une question piège ? Attendait-il un nombre exact de victimes ? Je déglutis.

— Un seul. L'hôpital était vide.

Je disais la vérité. Je n'avais pas eu à user de beaucoup de balles. Cependant, il n'avait pas besoin de savoir que j'avais oublié le sous-sol – là où se cachaient probablement Luke et Echo.

— Bien. Suis-moi.

Après quelques minutes de marche, nous nous engouffrâmes dans une ruelle peu éclairée qui débouchait sur l'endroit où l'on m'avait emmené plus tôt dans la journée. C'était une sorte d'impasse clôturée par de vieux appartements en briques. Un lieu assez calme et assez effrayant pour qu'aucun passant ne s'y aventure de son propre chef. C'était un des endroits où se réunissaient les extrémistes.

— Aleksey... Ravi de te revoir parmi nous.

Cette voix. Je pourrais la reconnaître parmi des centaines. Je tournai aussitôt la tête pour poser mes yeux sur la dernière personne que j'aurais imaginé trouver ici.

En face de moi se tenait mon propre père : Jonathan Dawson.

Il semblait avoir mon âge et pourtant, ne me ressemblait pas vraiment. Heureusement que les différences fussent si importantes, sinon il aurait trouvé cette ressemblance troublante. Trop étrange pour n'être qu'une coïncidence. Peut-être aurait-il exigé ma mort. Peut-être m'aurait-il tué lui-même.

— Content de t'avoir parmi nous, me lança-t-il en tapant dans mon dos amicalement.

Alors il avait été extrémiste ? Comment était-ce possible ? Il ne m'en avait jamais parlé auparavant...

Non ! Je secouai la tête légèrement, mouvement qui fût imperceptible à son regard. Mon père n'avait pas été extrémiste. C'était une Simulation. Rien n'était vrai. Ce n'était qu'une façon de m'affaiblir...

— Jonathan ! appela quelqu'un. Le plan tient toujours ?

Un plan ? Quel plan ? Qu'avait-il prévu de faire ?

Voyant mon air interrogateur, mon père éclaircit les choses :

— On fait sauter Buckingham Palace.

Quoi ?!

— Cette nuit, ajouta-t-il.

Je restais de marbre, totalement immobile face à mon paternel. Le pire, me dis-je, c'était qu'ils avaient réussi. Dans les livres d'histoire, il y avait des pages et des pages consacrées à cette attaque. Mais jamais je n'aurais imaginé que mon père puisse avoir un lien quelconque avec elle. Ou qu'il l'aurait orchestrée. Voilà pourquoi je préférais croire que ce n'était pas mon père et que c'était seulement le fruit de la Simulation. Mon paternel ne pouvait pas avoir de lien avec les extrémistes... ce n'était pas possible. Il n'avait pas pu être un des leurs, encore moins leur chef.

— Et tu viens avec nous, trancha Jonathan Dawson.

Quoi ? Pour de vrai ?

Pétrifié par ce qu'il venait de m'annoncer, je mis quelques secondes à réaliser.

J'allais participer à un attentat.

*

Holà ! J'espère que vous allez bien :)

Voilà le dernier chapitre d'Aleksey du tome 1 (oui, on se rapproche de la fin héhé). 

Qu'avez-vous pensé de ce chapitre ? Que pensez-vous d'Aleksey ? 

Il va se passer quoi ensuite à votre avis ? 

En tout cas, merci beaucoup pour votre soutien ! ❤


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