XV. Un perdant (Aleksey)

Tourner en rond. Autrement dit : être perdu. C'était ce que j'essayais d'éviter, mais en même temps, ce qui revenait me frapper de plein fouet. J'étais irrémédiablement en train de me perdre dans ce labyrinthe. Chaque miroir, chaque chemin, tout se ressemblait. Il m'était impossible de me repérer. Enfin, seulement sans ma montre. Je n'y avais pas pensé jusqu'à maintenant, mais cette dernière pouvait m'être d'une aide très précieuse. J'avais été sûrement trop concentré sur ce premier niveau que j'en avais oublié l'essentiel : l'outil sans lequel la victoire devenait un mirage.

13h14. Le lancement avait été fait à 11h. Le temps avait filé à une telle allure. Pour moi, il ne s'était écoulé qu'une heure. Pas deux. J'avais l'impression pourtant que le temps semblait s'arrêter. Parce que le ciel gardait toujours cette même couleur. Parce que le soleil ne brillait pas au dessus de nos têtes. Ce n'était, après tout, qu'une sorte de lumière artificielle. Un jeu vidéo. Pas la réalité. Ce n'était pas réel. Et je devais m'efforcer de m'en souvenir. Parce que c'était ce qui faisait la différence entre nous, adversaires. Parmi nous, il y avait : ceux qui s'en souvenaient et ceux qui n'arrivaient plus à dissocier ce qui était réel de ce qui ne l'était pas. C'était ce que j'avais compris en regardant la première édition.

Inutile de préciser cependant que je faisais partie de la première catégorie, celle des gagnants.

Je découvris plusieurs nouvelles fonctionnalités mais ne me concentrais que sur une seule d'entre-elles : le classement.

J'appuyai sur le bouton central en bas de la montre et l'hologramme me montra le classification complète. Mon premier réflexe fut de me trouver parmi ces portraits et ces noms. C'était avec une certaine déception que je compris que j'étais septième. Pas dans les cinq premiers, non, septième. Je ressentais quand même la satisfaction de ne pas être dans les derniers cela dit. De ne pas être en « danger ».

Je réalisai alors que le dernier – ou devrais-je dire la dernière – était Reyna. La sœur de Calum. Ce n'était pas une énorme surprise. Ce n'était pas comme si c'était Ashton ou bien Luke, voire même Astra qui était à cette place. Enfin, tout pouvait encore changer.

— Aleksey ? fit une voix derrière moi, manquant de me faire sursauter.

Je me retournai, après avoir enlevé le classement de mon champ de vision, pour apercevoir Kaloni.

— Kaloni, dis-je platement, feignant de ne pas avoir eu aussi peur et ralentissant mon rythme cardiaque.

Elle avait les cheveux attachés, comme lors des entraînements. C'était étrange de la voir comme ça, surtout quand je savais qu'elle détestait être coiffée de la sorte.

— Tu es perdue ?

— Qui ne l'est pas ?

Je haussai les épaules.

— Je ne le suis pas.

— Tu es septième. Tu es perdu.

Kaloni marquait un point.

— Pas faux.

— Cela dit, je ne suis même pas sûre qu'Ashton sache où il se trouve réellement. Il doit être aussi perdu que nous, ajouta-t-elle.

En effet, Ashton était le premier dans le classement et Kaloni avait peut-être raison. Il était probablement aussi perdu que nous l'étions.

Le silence repris place.

— Tu veux faire équipe avec moi ? s'enquit-elle, me voyant pensif.

— Non. Je préfère la jouer solitaire pour le moment.

Elle hocha la tête et passa devant moi avant de prendre le chemin de gauche. A cet instant je me demandais s'il ne valait pas mieux de la suivre. Puis la réponse se fit évidente. Non.

Elle disparut alors de mon champ de vision assez rapidement, ne laissant seulement comme trace de son passage qu'un léger parfum fruité. Elle sentait comme en vrai.

Je ne pris pas le chemin de gauche, mais celui du milieu, marchant pendant quelques minutes avant de m'arrêter. Je devais savoir si j'avais pris la bonne direction. Je devais savoir si j'avais pris la bonne décision.

Le classement réapparut devant mes yeux et je fus déçu de voir que j'étais tombé à la huitième place tandis que Kaloni était montée à la cinquième. Alors qu'elle était huitième il y avait de cela quelques minutes ! Désormais, Echo et Luke étaient devant moi. Je regrettais de ne pas avoir suivi Kaloni. Je regrettais. Vraiment. Quel abruti. J'aurais dû vérifier le classement au moment où elle avait pris cette direction. J'aurais alors su qu'elle était sur la bonne voie !

Je soupirai. J'avais encore mes chances de grimper dans le classement. Rien n'était encore joué. Enfin, pas avant que les premiers n'arrivent au centre du labyrinthe.

Après presque une heure, je fus ravi de voir que j'étais remonté dans le classement. Maintenant, après chaque nouvelle direction que je prenais, je vérifiai si un changement s'opérait. Et heureusement, c'était le cas. J'étais désormais à la quatrième position, derrière Ashton, Astra et Kaloni. Désormais, Michael était tout à la fin : le dernier. Je ne pouvais pas imaginer le choc que ça causerait à Luke s'il venait à perdre son meilleur ami dès le premier niveau.

Personnellement, je n'avais rien à craindre de ce côté-là puisque je ne tenais à personne ici. Et qu'à l'inverse, personne ne se souciait assez de moi pour qu'il soit touché par une éventuelle mort, défaite ou quoi que ce soit d'autre.

— J'y crois pas, Aleksey, que tu ne sois pas plus rapide ! C'est vrai, à cette allure, tu auras perdu avant même d'avoir atteint le centre du labyrinthe !

Cette voix... Elle résonnait partout autour de moi, comme si les miroirs me la renvoyaient.

— Reprends-toi !

La voix devenait obsédante.

— Tu peux faire mieux ! Beaucoup mieux !

Je fermai les yeux, certain que ces vilaines pensées s'en iraient.

— Ouvre les yeux ! Sois un homme !

Mais je les maintenais closes, avec l'ultime souhait que tout ça partirait.

— Tu n'es qu'un perdant, Aleksey.

Non. Non. Non.

— Un perdant qui ne peut s'approcher étroitement de la victoire qu'en trichant comme un lâche.

J'ouvris les yeux pour affronter mon propre regard. Mes yeux étaient plus sombres que d'habitude. Je ne me reconnaissais plus. Alors c'était ça les Simulations ? C'était ça le labyrinthe ?

— Je ne suis pas un perdant, dis-je avec conviction.

Mon reflet éclata de rire et son ricanement résonna jusque dans mes entrailles.

— Mais qui essayes-tu de convaincre ?

Personne, pensai-je. Personne.

Ces paroles, elles ressemblaient tant à celles que prononçait mon père.

Je revenais du lycée en navette, comme d'habitude, puisque je n'habitais pas au centre-ville. Les yeux fixés sur le paysage qui défilait devant moi, je n'éprouvais qu'une envie : sortir de là au plus vite. Et à vrai dire, j'avais envie de m'enfuir d'ici, de la maison, de tout. Je n'avais pas envie de faire face à mon père, de faire face à ma vie. Les iris maintenant plongés dans des souvenirs lointains et effacés, j'essayai de me rappeler comment était la vie quand ma mère était encore là. Mais rien n'y faisait, plus les jours passaient, moins j'avais de souvenirs.

Plus les jours passaient, plus je redoutais de rentrer à la maison.

Mon père n'était pas encore rentré du travail, alors j'étais parti manger un morceau avant de m'enfermer dans ma chambre. Moins j'étais proche de lui, mieux c'était. Puis je commençai mes devoirs avant d'entendre finalement la porte claquer. Avant que finalement, mon corps tressaute comme à son habitude. C'était bête, mais mon père n'avait jamais semblé éprouver une once de bienveillance envers moi, ou encore de l'amour. Je devinais que la principale raison était le départ de ma mère qui l'avait anéanti. La seule femme qu'il ait jamais aimée l'avait quitté du jour au lendemain, le laissant seul pour élever leur fils de cinq ans.

Je ressemblais beaucoup plus à ma mère qu'à mon père alors ce dernier avait tendance à me détester et à vouloir que je sois différent. Que je sois comme lui. Il ne voulait pas que je ressemble à cette lâche, incapable d'élever son propre enfant. Tombé dans une sorte de dépression, il me criait tout le temps que si ma mère était partie, c'était à cause de moi. Parce que j'étais un enfant trop difficile. Et plus les années passaient, plus je m'en persuadais.

Mon père n'était pas foncièrement méchant, il avait essayé de m'élever du mieux qu'il avait pu et avait fait en sorte que j'eusse des bonnes notes et que je finisse un jour premier de classe – ce qu'il n'avait jamais été. Il avait simplement voulu que je sois plus fort, plus intelligent, et surtout différent de ma mère, sans même y croire une seule seconde finalement. Mais aujourd'hui, tout ce que je voulais c'était lui prouver qu'il ne me connaissait pas. Et que les Simulations, je pouvais les gagner. 


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