XI. Cauchemar (Ashton)
Jamais je n'aurais imaginé que tout pouvait s'arrêter d'une seconde à l'autre et qu'en cherchant à comprendre les Simulations, on s'en éloignerait. Avant aujourd'hui, je n'avais jamais songé une seule minute que nous pourrions risquer beaucoup en désobéissant aux règles. Mais nous voilà aujourd'hui, Echo, Astra et moi, réunis pendant que les autres étaient à l'entraînement. Samuel et Felicia avaient même invité Ryker Powell à se joindre à eux, celui qui supervisait nos exercices, afin d'avoir un effectif équitable. Parce que Ryker n'avait pas grand-chose à faire dans ce petit incident.
J'étais assis sur une chaise, jouant avec mes doigts en attendant le verdict. Astra et Echo m'entouraient, j'étais donc l'élément central. Ce qui était vrai, parce que j'étais le premier à être entré dans cette salle. Mais contrairement à ce que tout le monde pourrait penser, je ne le regrettais pas une seule seconde.
J'échangeai un regard avec Astra, elle baissa la tête. Elle, elle regrettait amèrement d'être entrée. D'ailleurs, pourquoi l'avait-elle fait ? C'était un point que j'avais complètement mis de côté. Pourquoi les filles m'avaient-elles rejoint ? Il y avait une raison à cela, surtout qu'elles étaient censées être cachées.
— Ça va ? demandai-je silencieusement.
Astra hocha la tête avec un sourire timide. Ouais, elle regrettait.
Le pire, et je devais l'admettre, c'était que nous ne savions rien de ce qui allait se décider. On attendait le verdict comme on attendrait l'annonce de notre mise à mort.
J'avais même peur que la salle de conférence où se déroulait ce « conseil » puisse être la dernière pièce du Simulatorium que nous verrions.
— Vous devinez les raisons de votre présence ici, n'est-ce pas ? s'enquit Samuel.
Je ne pus empêcher les souvenirs de la veille affluer dans mon esprit. Et je le vis, lui, Sam, ouvrir la porte et nous prendre en flagrant délit. Comment avait-il su notre présence dans son bureau ?
— Ashton, dis-moi, sais-tu pourquoi tu es ici ?
— Bien-sûr.
Mais la véritable question était : croyait-il la version de sa propre sœur ou non ?
— Raconte-nous ce qu'il s'est passé dans ce cas, m'intima Felicia.
Mais je ne pouvais pas raconter une autre version que celle d'Echo.
— Comme vous le savez déjà, Echo est tombée. En fait, elle s'était appuyée contre le mur après que je l'ai trouvée. Et elle a actionné l'ouverture de la porte. Astra était tout près, elle a entendu le petit cri qu'Echo a poussé en découvrant la pièce. On pouvait pas la laisser, alors on est entré...
— Ashton, on sait très bien que c'est un mensonge. Dis-nous la vérité. Que s'est-il réellement passé ? insista le garçon aux cheveux noirs.
Je fus plongé dans mes souvenirs, malgré moi.
J'avais déjà trouvé Reyna et Dawn. Elyas n'était pas loin, je l'avais entendu rire quand j'avais chanté. Puis j'avais décidé de l'avoir par surprise. Je marchai à tâtons dans les couloirs, la main droite glissant le long des murs. J'avais même cette étrange impression que l'on me suivait. Mais ce n'était pas possible : j'étais le seul chasseur. Après m'être retourné plusieurs fois, je me suis arrêté. Cette impression devenait de plus en plus insupportable. J'étais alors complètement adossé au mur. Jusqu'à ce que je finisse par terre la seconde d'après. J'avais poussé un râle rauque, je m'étais fait mal au dos. Sûrement allais-je découvrir des bleus le lendemain.
— Oh, merde ! C'est quoi ça ?
Puis quelques secondes après, Echo faisait son entrée, atterrissant debout mais complètement paniquée. Elle ne connaissait donc pas l'existence de cette salle secrète. Elle me raconta qu'Astra n'allait pas tarder. On ne fit même aucune remarque sur le cache-cache en cours, comme si nous étions hors du jeu, hors du temps.
— Ashton... ajouta la blonde aux yeux cuivrés.
Mais non, j'étais décidé à rester fidèle aux filles et à ne rien raconter.
— On sait très bien ce qu'il s'est passé, renchérit Ryker avec un rictus amusé. Ce que tu fais là ne te protège en aucun cas. Tu ne protèges personne.
Cette phrase prononcée par Ryker montrait à quel point mon visage et mes expressions m'étaient traîtres. Cependant, comment étaient-ils si sûrs de ça ? Comment Ryker, Samuel et Felicia pouvaient-ils connaître la vérité ? Une vérité pas si lointaine de ce que nous avions conté jusqu'à présent. Et face à mon regard interrogateur, il ajouta que c'était grâce aux caméras. Bien-sûr ! J'avais oublié ce détail. Un détail pourtant que nous avions détesté en voyant ces écrans de surveillance, en nous sentant épiés comme jamais. Comment avait-on pu l'oublier ?
— Si vous le saviez, pourquoi me le demander ?
Samuel échangea un regard avec Felicia.
— Avouer ses fautes est pardonnable. Tu es le premier, le plus âgé ; tu as embarqué les filles dans cette histoire. Tu es le seul responsable. Si tu n'es pas capable d'avouer tes erreurs, alors les Simulations se verront obligées de voir trois de ses joueurs abandonner.
Astra et Echo s'échangèrent un regard inquiet qui me heurta de plein fouet. Alors, on allait être éliminé du jeu, par ma faute ?
— Les Simulations, c'est l'irréel. C'est un labyrinthe dans lequel vous vous perdrez si vous n'êtes pas honnêtes avec les autres, et donc avec vous-même. Parce que vous serez l'autre. Vous ne serez plus nécessairement la même personne dans le jeu.
Felicia ajouta :
— On a connu cette impression de se perdre. Faire face à des situations dangereuses ou folles, où on frôle la mort. Nous n'avons jamais connu la mort dans les niveaux, mais elle n'est pas impossible. Vous n'êtes pas invincibles. Personne ne l'est. On a connu des joueurs qui sont devenus tout à fait l'inverse de ce qu'ils étaient originellement. Vils, cruels, méchants. Pour gagner. Alors si maintenant vous n'êtes pas capables d'avouer une faute, comment allez-vous supporter les niveaux où vous en ferez continuellement ?
Alors ce moment allait vraiment arriver, ce moment où ils allaient nous renvoyer chez nous.
— Cette décision est dure à prendre. Vous le savez autant que nous. Mais nous nous voyons obligés de changer les règles en supprimant vos trois participations.
— Qu'est-ce que vous cachez pour nous renvoyer ?! m'emportai-je.
Mais on ne m'écouta pas.
— Astra, Echo, Ashton, vous repartez dans l'après-midi.
J'ouvris les yeux rapidement, complètement bouleversé à cause de ce rêve étrange que je venais de vivre. Un cauchemar qui pourtant pouvait s'avérer être réel aujourd'hui. Je ne voulais pas partir. Je jetai un coup d'œil à ma montre qui affichait 6h30. Il me restait une heure trente avant de prendre mon petit-déjeuner. Je décidai alors d'aller prendre une bonne douche pour me débarrasser de la transpiration qui me collait à la peau et pour effacer les souvenirs de ce songe qui semblait pourtant si réel. Comme si j'avais vécu une Simulation. Depuis que j'étais ici, j'avais d'ailleurs l'impression que tout s'amplifiait. Je ressentais plus de choses, je vivais plus de choses, et je rêvais. D'habitude, je savais quand je rêvais, et là, ça n'était pas le cas.
L'eau chaude sur mon corps me fit le plus grand bien et je me détendis une bonne demi-heure avant de finalement sortir.
C'était le vendredi matin, le lendemain de mon anniversaire et du cache-cache. J'avais donc envie de prendre des risques jusqu'au bout si j'étais destiné à ne pas participer aux Simulations. J'avais envie de sortir pour aller courir même s'il n'était pas encore huit heures. J'avais juste besoin de prendre l'air, de sentir le vent tiède sur mon visage pendant ma course.
« Accès refusé » fit l'ordinateur quand j'essayai d'actionner le déverrouillage de la porte afin de me rendre à l'extérieur. Je soupirai. Pourquoi tout semblait être contre moi ?
— Alors comme ça on se promène ?
La voix me fit sursauter.
— Aleksey, dis-je. Toi aussi tu te promènes, lui fis-je remarquer.
— Pas faux. En fait, je m'ennuyais et j'ai vu sur ma montre qu'un petit point gris était sorti de sa chambre...
— Eh bien, je cherchai juste à aller courir.
— Mais c'est fermé.
— Comme si j'avais pas remarqué, ironisai-je.
Aleksey me détailla de ses petits yeux qui le faisaient passer pour quelqu'un de sournois, de fourbe. Et son regard me mit mal à l'aise.
— Qu'est-ce qu'il s'est passé hier ? Toi, Astra et Echo êtes impliqués dans quelque chose, hein ?
Mais avant même que je ne puisse répondre, il reprit :
— Vos trois points ont disparu pendant quelques minutes hier. C'était bizarre.
Je haussai les épaules, las de vouloir lui expliquer.
— Ce n'est pas important.
— Ce qui concerne les Simulations nous concernent tous, Ashton. Si tu es impliqué, on l'est tous.
— On n'est pas dans un film, Aleks. C'est pas comme ça que ça marche.
— Contrairement à ce que tu crois, si ça marche comme ça. Les Simulations, c'est pas rien ! Ça peut déterminer ton avenir ! C'est une porte qui s'ouvre sur un millier de possibilités ! T'as pas l'impression qu'ils nous cachent des choses ? Pourquoi ils ont gardé Felicia et Sam ? Où sont les autres participants ?
Qu'est-ce qu'Aleksey racontait là ?
— Mais tu pars loin ! Ils sont simplement chez eux. Pourquoi tu crois...
Aleksey m'intima de me taire.
— J'ai compris. Ils t'ont demandé de rien dire, c'est ça ?
Je ne dis rien. Il pouvait croire ce qu'il voulait, tant qu'il me lâchait avec cette affaire.
— Dans ce cas, je ne t'embêterai pas plus longtemps à ce sujet. Mais je te propose un truc.
— Un truc ?
Il s'appuya contre le mur et croisa ses bras. Il avait le même regard que lors des premiers entraînements, quand on venait de se rencontrer.
— Une alliance. On oublie les filles. On se la joue en duo. On essaye d'aller le plus loin possible. Toi et moi savons qu'il nous est possible de gagner. Ce sera juste plus sympa à deux.
Il était hors de question que je m'allie à quelqu'un, surtout pas avec lui.
— C'est bon pour moi, dis-je tout de même.
Il ne me mettra pas de bâtons dans les roues de cette manière et je n'aurai pas à me préoccuper de lui de sitôt.
— Cool. Je suis content de t'avoir comme allié, Ash.
Il me serra la main, scellant ainsi notre alliance.
Dans quoi m'étais-je embarqué ?
Pour la première fois depuis le début de la semaine, nous étions tous assis à la même table. L'ambiance était plutôt détendue et chacun riait aux blagues de l'autre. Ça me permettait de penser à autre chose. Enfin, quand on ne nous posait pas de questions sur ce qu'il s'était passé la veille. Heureusement, les filles étaient rentrées dans mon jeu, et nous leur avions fait croire que nous n'avions pas le droit d'en parler. Ce qui était sûrement vrai, après tout.
Dawn était assise à ma droite et nous parlait de son frère qui était batteur dans un groupe. Je ne l'écoutai pas vraiment, elle nous l'avait déjà raconté. Sincèrement, j'espérai que cette fille soit la première éliminée. Elle n'avait même pas l'allure pour jouer. Elle faisait trop... fausse ? Oui, c'était le mot juste. Elle ne me semblait pas si sincère qu'elle le prétendait, un peu comme Aleksey.
Puis je remarquai le changement de couleur de cheveux de Michael. Ils étaient maintenant violets. Étant donné qu'il était en face de moi, je lui fis signe avant de montrer mes propres cheveux et de lui adresser un pouce vers le haut.
J'aimais bien Michael, il était cool. En plus, nous avions les mêmes centres d'intérêt.
— Voici vos profils, nous dit Felicia. Ils seront entrés dans vos montres dès le début des Simulations, c'est-à-dire lundi. Mais vous aurez un accès à ces derniers dans le hall. Vous verrez en passant tout à l'heure !
Elle me jeta un rapide coup d'œil. Pas le moindre signe d'une réunion privée ou ne sais-je encore. Donc rien de ce qui s'était passé dans mon rêve n'arrivera vraiment ? Je fus soulagé.
— Demain et dimanche seront vos jours de repos avant lundi. Profitez-en pour regarder la première édition des Simulations ou pour vous détendre avant les hostilités.
Le cœur plus léger, je pris soin d'analyser chaque profil, m'imprégnant de chaque information concernant mes adversaires, définitivement prêt à jouer – prêt à gagner.
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