X. Salle secrète (Astra)

Je comptais les secondes depuis l'extinction complète des feux comme on compterait les secondes avant minuit le jour de l'an.

Mes paupières pourraient même être closes que rien ne changerait ma perception de l'environnement qui évoluait autour de moi. Seule la voix dans ma tête qui comptait les secondes jusqu'à s'en lasser résonnait en écho aux battements de mon cœur. Ce qui, je devais l'admettre, trahissait l'adrénaline qui se répandait dans tout mon corps. Je ne discernais rien, si ce n'étaient les contours à peine visibles de la pièce et de ses murs. Ce jeu, aussi banal pouvait-il être, semblait être un vrai exercice pour les Simulations. Sûrement, et j'étais certaine de ce que j'avançais, qu'ils nous avaient laissés y jouer pour cette raison.

Je n'avais toujours pas bougé, cherchant un endroit intelligent où me cacher, quand je sentis que quelqu'un approchait. Peut-être qu'Ashton ne prendra pas la peine de revenir ici ? Peut-être (et j'osais l'espérer) que c'était simplement un des joueurs qui revenait se fondre dans l'obscurité à cet endroit précis.

Je m'entrepris de me rapprocher du mur jusqu'à le toucher de mes doigts fins. Les paumes vers le sol, je me baissai pour me placer à quatre pattes. Je longeai ainsi les murs jusqu'à arriver dans un renfoncement, juste derrière un fauteuil. Cela semblait être la planque parfaite. Ma décision était prise : j'allais rester ici un moment.

Quelques instants plus tard, je ne saurais dire si combien de minutes s'étaient écoulées, des pas se firent entendre à nouveau. Et contrairement à la première fois où ils résonnèrent jusqu'à nous faire frissonner avant de s'évanouir sans un bruit, ils se firent plus distinctifs. Plus forts. Plus sourds. Mes sens étaient en alerte. Et malgré le contrôle que j'exerçais depuis le début, je tremblais presque de peur. C'était très angoissant, surtout dans un noir d'encre comme celui-ci. Il me rappelait d'ailleurs les tâches que je retrouvais sur les cahiers de mes grands-parents.

Écrire à la main, voilà un art qui avait disparu au fil des décennies et que je n'avais pas connu à proprement parler. Sauf peut-être quelques fois quand ma grand-mère m'apprenait à tracer ces lettres, dessiner ces formes liées entre elles. Elle me raconta un jour qu'elle-même l'avait appris de sa mère et qu'il se faisait aussi de plus en plus rare... jusqu'à complètement disparaître des mœurs à la naissance de ma mère. L'écriture se faisait maintenant de diverses façons : tactile sur écran, en dictée. Cela n'était même plus de l'écriture au sens propre du terme.

Un soupir. Celui d'Ashton sans nuls doutes. Ce dernier venait d'entrer, de sortir, puis de revenir. Comme s'il sentait la présence de quelqu'un sans toutefois pouvoir la prouver. J'étais soulagée de savoir qu'il ne pouvait pas me voir. Pour qu'il le puisse, il devait s'abaisser à ma hauteur devant le renfoncement ou alors se pencher au-dessus du fauteuil. Et selon moi, il ne le fera pas.

— Il y a quelqu'un ?

La phrase typique du chasseur dans ce genre de jeux ou d'un personnage en train de mourir de peur dans un film d'épouvante. Comme s'il s'attendait à ce que quelqu'un lui réponde à l'affirmative.

— Si je raconte une blague drôle, je vous préviens, vous allez rire. Et je saurai que vous êtes là.

Ashton était décidément un personnage amusant et singulier. Personne n'était comme lui. Un peu rebelle, avec un humour bien à lui... Personne ne pouvait rivaliser avec sa personnalité aussi particulière.

Ashton – qui n'avait pas trouvé de blague – finit par quitter encore une fois la pièce qui retrouva alors toute sa quiétude. Je fus un instant tentée de le suivre mais je me ravisai. S'il m'entendait ou sentait malencontreusement ma présence derrière lui, c'en serait fini du cache-cache pour moi. Un long silence plana dans la pièce et je fus surprise d'entendre un soupir. Le genre de soupir auquel on ne s'y attendait pas. Le genre de soupir qui me fit presque tressaillir. Un autre joueur était caché lui aussi dans la pièce. Si je venais de découvrir sa présence, peut-être n'avait-il pas encore perçu la mienne.

Malgré quelques doutes, j'étais persuadée que Michael était resté ici. Il n'avait pas suivi Luke comme je m'y attendais.

— Michael ? soufflai-je.

Un bruit sourd me fut envoyé comme réponse, suivi d'un « aïe ». Lui avais-je fait peur ? Je souris à cette pensée, un tantinet amusée.

— Qui est là ?

Sa voix semblait peu assurée et si la situation avait été moins angoissante, j'aurais éclaté de rire.

— Astra.

— Ah... Tu m'as fait peur. Je pensais être tout seul.

— Je te ferais dire que moi aussi.

De nouveau le silence, comme notre seul ami. Ou traître. Quand on pensait aux petits sons qui semblaient inaudibles mais qui pouvaient pourtant avertir de notre présence, oui, le silence pouvait être un traître vil et sans scrupules.

— Tu crois qu'il est parti ?

Il parlait de celui qui nous prenait en chasse.

— Je ne sais pas du tout, lui répondis-je. Mais je pense que oui, sinon il serait revenu. Il nous aurait entendus parler.

— Ouf. J'en pouvais plus. Il est passé si près de moi !

Je m'entrepris de sortir de ma cachette. Et juste au même moment, j'entendis un rire. Ashton riait gorge déployée. Il avait sûrement trouvé quelqu'un. Puis un autre rire accompagna le sien : celui de Reyna.

— Il a trouvé quelqu'un.

— Ouais.

Je me mis à sourire mais il ne le vit pas.

— Tu étais cachée où au fait ? s'enquit Michael.

— Dans un renfoncement, entre le mur et un fauteuil.

— Mais c'est bizarre qu'il n'ait pas autant fouillé la pièce.

— Il a dû croire qu'on n'était pas assez bêtes pour se cacher où le jeu a commencé.

— Sûrement.

Je quittai la pièce avant Michael, pensant qu'Ashton pouvait très bien revenir la fouiller de fond en comble. Mon instinct me poussait à partir et comme j'avais pour habitude de lui faire confiance, c'est ce que je fis.

Après autant de temps passé dans cette obscurité, je commençai à mieux discerner les formes et les contours. Tout semblait plus net. C'était déjà plus facile pour se déplacer dans le noir. Mais le tout restait angoissant. Ashton pouvait être derrière moi que je ne le saurais pas !

Soudain, une porte s'ouvrit à ma gauche. Je sursautai malgré moi.

— Ciel ! m'écriai-je avant de couvrir mes lèvres.

— Astra ? fit une voix dans un murmure.

— Echo ?

Cette situation était bien comique.

— Heureusement que t'es pas Ashton ! lui dis-je dans un sourire.

— Ouais. Tu m'étonnes... Mais en parlant de lui... il est toujours ici ?

— J'en sais rien...

Puis l'idée du siècle me vint en tête. Pourquoi ne pas s'amuser encore plus ?

— Ça te dirait de pimenter tout ça ?

Elle hocha la tête.

Echo me talonnait de près. Nous marchions au hasard, suivant les sons que l'on entendait, déambulant dans les pièces comme dans un labyrinthe. Nous cherchions Ashton. Parce qu'on l'avait à notre tour pris en chasse.

Mais au bout de quelques minutes, force était de constater que nous avions perdu la trace de notre chasseur. Il avait complètement disparu.

Le silence englobait la totalité du Simulatorium, nous noyant dans une atmosphère effrayante. J'avais presque envie d'arrêter et de rallumer les lumières.

— On fait quoi maintenant ?

— Il était là il y a quelques instants... c'est pas possible...

— Il est peut-être monté ?

— Les escaliers ne sont pas de ce côté, dis-je pensive. Ce doit être autre chose...

Soudain, Echo lâcha un petit cri de surprise. Et je ne la sentis plus à mes côtés. Elle avait elle aussi disparu. Le vide avait pris sa place.

— Echo ? T'es toujours là ?

Aucune réponse. Y avait-il une trappe dans le sol ? Ou une porte secrète ? Oui, ce devait être ça ! Comment aurait-elle pu disparaître autrement ? Il devait donc y avoir une poignée tactile, ou quelque chose qui y ressemblait.

Je posai alors mes deux mains sur le mur et les fis glisser à l'endroit où elle s'était appuyée. Rien ne se passa. Ce n'était pas possible !

Je m'appuyai alors contre le mur gris, frottant mon visage de mes doigts, pensive. Comment avait-elle ouvert la porte ? Et comment Ashton – s'il était là – avait lui aussi fait ?

Je sentis ensuite un clic et une porte s'ouvrit sans même que je sache comment j'avais réussi. Je fus même aveuglée par la lumière de la pièce secrète. C'était vraiment étrange ! Une pièce cachée avec une entrée dissimulée dans un mur ? Pourquoi avaient-ils besoin d'une chose pareille ?

— Astra, tu as finis par trouver un moyen de l'ouvrir !

Mais en réalité, ce n'était que de la chance.

Derrière Echo, je découvris Ashton. Évidemment ! Sinon, comment aurait-il pu disparaître ?

— On est où ? demandai-je en voyant Ashton en train de fixer des écrans.

— On dirait une salle de contrôle, me dit ce dernier.

La pièce n'était pas très grande, et des écrans de surveillance prenaient tout l'espace sur les murs. On y voyait tout le Simulatorium – même si le bâtiment était plongé dans l'obscurité.

— On est vraiment constamment épiés alors ?

Le bouclé hocha la tête avant de continuer :

— Et regarde, tu vois tous ces points ? Ce sont les autres !

Ashton rit en me pointant un plan qui ressemblait à celui dont nous disposions dans nos montres :

— Tu crois que ce serait de la triche de retenir leurs positions et d'aller tous les trouver ?

Son rire était tellement communicatif que je ne pus m'empêcher de sourire. Mais je n'eus pas le temps de lui répondre qu'Echo nous montra l'écran principal sur le bureau.

— Vous avez vu ?

— Qu'est-ce que tu fais ? s'enquit Ashton en la voyant se pencher sur l'écran transparent.

Je me postai à sa droite pour l'observer.

— Il y a un dossier à mon nom mais il est interdit d'accès sans mot-de-passe.

— Ne me dis pas que tu es en train d'essayer de pirater le compte ? m'enquis-je soudain paniquée. Je ne suis même pas sûre qu'on ait le droit d'être ici...

J'étais trop raisonnable et trop sage. Je reprenais mes esprits et me mis à penser qu'entrer quelque part sans une autorisation était une très mauvaise idée. Alors, essayer d'accéder à des fichiers protégés l'étaient encore plus. Mais ça n'avait pas l'air d'inquiéter Ashton ou Echo plus que cela – ce qui était fort surprenant.

— C'est pas vraiment pirater... puis... c'est le bureau de mon frère.

Je fus stoïque quelques secondes. Le bureau de son frère ? Samuel ?

— Comment tu sais ?

— Quand j'ai voulu entrer le premier mot-de-passe, ça a fait : « Veuillez confirmer que vous êtes bien Samuel Hawkins ». Je ne savais même pas qu'il travaillait là. Je le voyais plutôt dans l'étage A ou B.

— Tu as essayé ton prénom ? Le nom de ton chien ?

— Et tu l'encourages, toi ? fis-je à l'intention du bouclé. Si jamais on se fait prendre, on fera quoi ? Tu veux risquer notre disqualification ou je-ne-sais quoi ?!

Je croisai mes bras, puis soutenais mes propos à l'aide d'un regard sérieux. Echo se tourna vers nous. Elle avait arrêté de chercher des mots-de-passe.

— Dis-moi que ça ne te tente pas de découvrir ce qu'ils ont sur nous ?

Je baissai les yeux : il avait raison.

— Mais si on se fait prendre ?

— Parce que tu crois qu'ils vont s'amuser à nous enlever du jeu et tout ? Le truc c'est qu'ils ne peuvent pas ! Il est trop tard. Tout ce qu'ils peuvent faire, c'est nous faire peur. Voilà tout.

Il pointa la sœur du premier gagnant avec son index :

— Si elle arrive à déverrouiller le sien, on pourra déverrouiller le nôtre. Ça effacerait un peu le mystère, tu ne crois pas ?

— Mais Sam ne mettrait jamais ça, nous dit Echo dans un sourire. Je veux dire, il ne met que rarement des mots. Il met souvent une suite de nombres. Je l'ai déjà vu faire.

— Une suite de nombres ?

— Ouais. C'est bizarre mais il semblerait que ça soit son truc. C'est pour ça que j'ai essayé d'entrer sa date de naissance, puis la mienne, mas ça n'a pas l'air de fonctionner.

Ashton se pencha au-dessus de son épaule.

— Essaye la date de sa victoire aux Simulations.

— C'est pas bête... murmura la jeune fille aux cheveux d'un noir de jais.

Mais la porte s'ouvrit une nouvelle fois, nous surprenant tous, et empêchant Echo de faire le moindre mouvement. Elle se retourna et eut l'air gênée. Nous suivîmes son regard avant d'être frappés par celui de son frère.

— Vous pouvez m'expliquer votre présence ici ? fit la voix grave de Samuel et j'aurais pu jurer que s'il en avait été capable, il nous aurait pétrifié sur place.

Ses yeux verts envoyaient littéralement des éclairs.

— On s'est retrouvés là par hasard, avança sa sœur. C'est ma faute, j'ai actionné l'ouverture de la porte et ils m'ont suivie parce que je suis tombée.

Echo mentait pour nous protéger, et pour protéger en particulier Ashton qui était arrivé là le premier. Samuel hocha la tête, sûrement peu convaincu. Pourtant Echo mentait bien, mais peut-être la connaissait-il trop pour la croire ? Cette dernière semblait déçue, même honteuse. Je devais même avouer que je n'aimerais pas être à sa place.

— Rassemblez-vous dans le hall. Le cache-cache est terminé.

— Mais... commença Echo, peinée.

— Il va être l'heure du couvre-feu. Je vais rallumer les lumières pour que vous atteigniez vos appartements sans danger.

— Je suis désolée, ajouta Echo.

— C'était une effraction et vous serez tous les trois surveillés en conséquence. Maintenant, dans le hall !

La voix de Samuel était si autoritaire à cet instant que j'en eus des frissons.

Nous fîmes donc ce qu'il nous avait demandé, avant d'être rejoints par les autres. 

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