VII. Joyeux Noël (Reyna)
J'ouvris les yeux comme si je venais de me réveiller d'une petite sieste et fus surprise de me retrouver ailleurs que dans le Simulatorium. A vrai dire, je ne savais pas à quoi m'attendre. Peut-être m'attendais-je à ouvrir les paupières à l'endroit même où je les avais auparavant fermées.
Mais à la place, je me retrouvais dans un endroit totalement différent, pourtant étrangement familier.
Ça ressemblait étroitement à un terminal d'aéroport. Un terminal décoré pour les fêtes de fin d'année.
— Reyna, tu es réveillée ?
Je tournai la tête et fis face à ma mère qui arborait un sourire.
— Je ne dormais pas.
Et c'était vrai. Ce n'était qu'une simulation. Mais elle ne pouvait pas le savoir.
— Ça fait une heure que tu dors, ma puce. On me la fait pas à moi !
Elle émit un petit rire que j'accompagnai ensuite. Tout semblait si réel, son sourire, sa voix. Même son rire était toujours aussi communicatif. Ses cheveux noirs étaient coiffés en un chignon défait, sûrement ne s'était-elle pas coiffée en l'espace de quelques heures. Ça me rappelait mon enfance et la manière dont elle se coiffait avant.
A un moment, je pensais qu'elle voulait ébouriffer mes cheveux mais à la place, elle redressa ce qu'il me semblait être un bonnet de Noël.
Mais pourquoi étions-nous dans un aéroport pendant les fêtes de Noël ? Attendions-nous quelqu'un pour fêter le réveillon ?
— Où est Calum ? demandai-je soudainement, après avoir pris conscience que mon frère n'était pas assis avec nous.
Peut-être était-ce lui prenait l'avion, et pas nous ? Peut-être était-ce lui que nous étions venues chercher ?
— Aux toilettes, notre avion ne va pas tarder à décoller.
Notre avion ? Nous prenions l'avion ? Je pouvais rayer mes dernières suppositions : nous n'attendions personne, nous allions au contraire partir.
J'avais pris une seule fois l'avion dans ma vie, à l'âge de six ou sept ans. Je ne m'en souvenais pas beaucoup. Juste que c'était affreusement long. Peut-être que cette simulation se basait sur un de mes souvenirs ? C'était plausible. Si je suivais mon raisonnement, je devais sûrement être à l'aéroport de Sydney et pendant les fêtes de Noël. D'ailleurs, beaucoup d'enfants portaient ces bonnets rouges et blancs.
Mais qu'est-ce que je faisais ici ? En quoi cette simulation consistait-elle ? Je ne comprenais pas ce que je devais faire. Pourquoi se baser sur un vieux souvenir ? Pourquoi l'aéroport de Sydney ? Pourquoi à cette période de l'année ?
Il fallait que je sache quel jour nous étions sans paraître étrange aux yeux des autres. Il fallait que je comprenne quel était le but de cette simulation.
— Je vais aux toilettes, informai-je ma mère tout en me levant.
Après m'être mise debout, je réalisai que mon corps encore engourdi était la preuve que j'avais dormi inconfortablement sur ces sièges. Alors qu'en temps normal, je n'aurais même jamais pu m'assoupir dans un tel endroit, avec un tel vacarme.
— Dépêche-toi dans ce cas !
Je filai alors, zigzaguant entre les voyageurs qui allaient enregistrer leurs valises ou qui allaient et venaient des toilettes et des restaurants. Plus je m'éloignai de ma mère plus l'impression de ne pas être à Sydney m'envahissait. Mes souvenirs remontaient à la surface un à un, et cet aéroport ne ressemblait aucunement à celui que j'avais gravé dans ma mémoire quand j'étais enfant.
Soudain, trop prise par mes pensées et mes souvenirs, je bousculai quelqu'un par inadvertance. A cause de moi, l'homme qui semblait être âgé d'une trentaine d'années fit tomber ce qui ressemblait à une tablette, mais en un peu plus petit.
— Excusez-moi, dis-je honteuse.
Ces choses-là n'arrivaient qu'à moi. L'homme que je venais de renverser me jeta un regard noir avant de ramasser ce qui lui appartenait. Ses yeux bleus me fixaient avec colère. Puis ses traits se radoucirent :
— Joyeux Noël, me souhaita-t-il avec un étrange sourire avant de s'en aller.
— A vous aussi, répondis-je avant qu'il ne s'éloigne trop pour ne pas l'entendre.
Les questions s'enchaînaient dans ma tête : était-il prévu à la base que je rencontre cet homme ? Que je le bouscule ? Ou avais-je dévié la simulation ?
Quand je finis par apercevoir les toilettes, je me dirigeai directement à l'intérieur.
Un miroir courait le long du mur – comme je l'avais souhaité, et je fus rassurée de voir que je n'avais pas changé. Mes cheveux avaient toujours leurs pointes teintées de bleu et ils m'arrivaient toujours en dessous des épaules. Rien de flagrant n'était différent. Même le bonnet de Noël que je portais m'était familier.
Je me glissai à l'extérieur après avoir miré mon reflet et être allée aux toilettes. C'était alors que j'aperçu un panneau indiquant la sortie. C'était sans surprise que je découvris que je n'étais pas à Sydney mais à Singapour.
Singapour, c'était en Asie du Sud-est. C'était même une escale entre Sydney et Londres si mes souvenirs étaient bons. Je compris donc que je revenais de Sydney. Singapour était une escale pour rentrer à Londres et nous étions actuellement le 25 Décembre. Ensuite, notre avion partait dans pas longtemps donc nous allions devoir embarquer assez rapidement.
Mais étais-je censée prendre l'avion ou rester ici ? Je n'en avais aucune idée.
— Les passagers du vol E045 en direction de Londres sont priés de se rendre à la porte d'embarquement T3 afin de procéder à la vérification des billets et à l'enregistrement des bagages.
L'annonce fut répétée et je décidai de revenir auprès de ma mère qui allait bien évidemment s'inquiéter si je ne pointais pas le bout de mon nez très vite. J'avais dans la tête de prendre cet avion, je ne pensais pas que ma simulation consistait à quelque chose à Singapour. Même si c'était très étrange comme situation. Qu'est-ce qui allait arriver pour mériter d'être une simulation ?
— Te voilà enfin ! s'exclama ma mère d'un ton qui trahissait son inquiétude, en me voyant revenir. J'ai bien cru que tu t'étais perdue !
Elle me sourit, soulagée et Calum en fit de même.
— Se perdre à seize ans, dans un petit aéroport ! se moqua Calum. En fait, ça m'aurait pas étonné en connaissait tes aptitudes à la course d'orientation au collège ! C'aurait même été marrant de devoir passer une annonce ! T'imagine un peu la honte ?
Il lâcha un petit rire moqueur.
— Calum, arrête d'embêter ta sœur !
Je lui tirai la langue, fière d'avoir ma mère de mon côté.
Une vingtaine de minutes plus tard, nous avions enregistré nos valises, et étions passés par le portique de sécurité. D'ailleurs, il me semblait différent d'aujourd'hui. C'était à cet instant que j'avais noté une différence dans presque tout ce qui m'entourait et que j'avais commencé à me poser des questions sur l'année sur laquelle se basait la simulation. Ce n'était définitivement pas en 2087, ni en 2088. C'était avant.
En montant dans l'avion, après un dernier regard vers Singapour, je ne pus m'empêcher de penser qu'il ne restait plus qu'à voir où cette simulation allait nous mener.
Prendre l'avion, c'était comme si je survolais tout, les problèmes, les conflits, la réalité, la vie. On surplombait le monde. On se défaisait de la pesanteur. On oubliait presque tous les malheurs, ceux des autres, les nôtres. On oubliait tout, jusqu'aux récents événements de ces dernière décennies.
Les cours d'Histoire au collège et au lycée m'ont ouvert les yeux à ce sujet. Rien ne pouvait nous empêcher de vivre une autre guerre, quelle qu'elle soit. Rien ne pouvait arrêter les conflits qui subsistaient malgré tout dans notre monde.
On ne pouvait effacer, ni les guerres mondiales, ni les guerres civiles, ni les attentats de nos mémoires. Même si nous ne les avions pas vécus, le monde était imprégné de cette tristesse, de cette violence. Nous vivions dans la peur de mourir à chaque instant, et pourtant, sans jamais prendre le temps de vivre pleinement.
Après environ quarante minutes, je réalisai que l'avion commençait à perdre de l'altitude. Procédions-nous déjà à l'atterrissage ? Qu'est-ce qu'il se passait ?
— Regarde, pourquoi on descend ? demandai-je à Calum.
Il haussa les épaules tout en se penchant en avant pour regarder par le hublot qui était à ma gauche. Il n'en savait pas plus que moi.
— Peut-être qu'on évite des perturbations éventuelles, supposa ma mère.
Pourtant, quelques minutes après avoir remarqué que nous descendions, les hôtesses présentes semblèrent soucieuses. Quelque chose était en train de se passer.
— Je vais aux toilettes, les prévins-je. Je reviens.
— Tu as encore envie ? se moqua Calum. Tu fais que ça !
— C'est pas ma faute si j'ai fini ma bouteille d'eau et que maintenant j'ai envie, rétorquai-je dans un mensonge.
Peut-être entendrai-je des informations et saurai-je ce qu'il se passait actuellement ?
Je me levais alors et m'entrepris d'atteindre l'arrière de l'avion afin d'aller aux toilettes. En passant, j'aperçu l'homme que j'avais bousculé, penché sur sa tablette de manière concentrée. Je me souvins de sa voix et de son étrange sourire. « Joyeux Noël » m'avait-il dit. Avait-ce un lien avec la simulation ?
Puis des voix s'approchèrent alors que j'entrais me « cacher ». Deux hôtesses parlaient à voix basse. Avant de fermer la porte complètement pour ne pas qu'elles me voient, je vis leurs visages inquiets.
— Ross n'a plus les commandes.
— Tu veux dire qu'il ne peut plus piloter ?
— Oui, quelqu'un d'autre contrôle l'avion.
Mon cœur se mit à battre plus vite, et le sentiment qu'il écrasait ma poitrine me pétrifia davantage. Qui avait pu prendre les commandes de l'avion ? Était-ce à distance ou bien un passager ?
— On va faire une annonce afin de rassurer tout le monde, Lucy. Préviens Ross pour qu'il dise n'importe quoi afin d'expliquer pourquoi on perd de l'altitude. Il faut impérativement empêcher les passagers de s'affoler et de paniquer. Sinon, ce sera encore pire.
Alors c'était ça la simulation ? J'allais vivre un crash d'avion ?
Quand je fus certaine que plus personne n'était derrière la porte, je sortis. Je jetai un coup d'œil à la place que l'homme occupait, elle était vide.
— Bonjour, ici le pilote Ross. J'espère que vous passez un agréable et confortable voyage à bord de...
Soudain, le message sembla se brouiller. Nous ne pûmes entendre la suite.
— Il se passe quoi ?
Puis le silence.
Les autres passagers de l'avion semblaient de plus en plus inquiets. Le pilote n'avait pas eu le temps de les rassurer.
Alors les hôtesses présentes prirent le temps de nous expliquer ce qu'il se passait – ou ce qu'elles voulaient que l'on pense qu'il se passait.
Arrivée à notre niveau, je reconnu Lucy grâce à son badge. Elle essayait de sourire mais elle était crispée.
— Tout va bien ? s'enquit-elle d'abord en se tournant vers ma mère.
Je jetai un coup d'œil à ma mère. Elle cherchait comment formuler sa question, je le voyais à son air pensif.
— Mais qu'est-ce qu'il se passe ?
— On évite des turbulences. On survole une zone avec des vents très forts et nous avons appris qu'une tempête se préparait. Vous comprenez, j'espère, qu'il est important de se mettre en sécurité avant tout. C'est pourquoi la base de contrôle a demandé aux pilotes de détourner la zone de dangers.
Lucy ne savait définitivement pas mentir. Ses yeux, son regard, ses traits, tout la trahissait. Même sa voix tremblait un tantinet. Malgré tout, on aurait pu mettre cela sur le compte de son jeune âge et donc du peu d'expérience qu'elle avait.
Ma mère sembla la croire et ne posa pas de questions. Même Calum qui était d'habitude impossible à tromper fut carrément soulagé. Je ne comprenais pas.
Un nouveau grésillement parvint à mes oreilles.
— Bien le bonjour, passagers, hôtesses, pilotes, et toutes autres personnes que j'oublie certainement. Ici Cole. Vous vous demandez certainement qui je suis. Vous ne me trouverez pas. Ma voix est modifiée. Tout ce que vous devez savoir est que vous vivez actuellement vos dernières minutes.
Des enfants, des parents, tout le monde affichait un air dévasté. Il n'était pas difficile de deviner que tout cela n'était pas une blague.
Le plus terrifiant était que ce mystérieux Cole faisait bel et bien parti des passagers. J'étais persuadée que tout s'était fait de l'intérieur même de l'avion.
— J'ai pris les commandes il y a de cela vingt minutes. Et dans très exactement dix minutes, il s'écrasera dans l'océan Indien. C'est fou ce que l'on peut faire avec une simple tablette, hein ?
Personne n'osait parler. Tout le monde était trop terrorisé. Je n'étais même pas sûre de réaliser l'ampleur de la situation. « Une simple tablette ». Était-ce l'homme de tout à l'heure ?
— Je vous souhaite donc un bon voyage, et un joyeux Noël.
Non ! Non ! Non ! C'était comme si j'avais laissé tout ça se produire.
Le message fut répété dans plusieurs langues et plusieurs fois les larmes me montèrent aux yeux.
Je ne voulais pas vivre ça.
Autour de moi, c'était silencieux. Certains se prenaient dans leurs bras, d'autres pleuraient. Devant moi, j'entendais quelqu'un laisser un message à un de ses proches. Et à ma droite, ma mère appelait mon père.
Les larmes coulaient d'elles mêmes.
— Je ne veux pas mourir, chuchotai-je. Je ne veux pas mourir.
Calum me serra directement dans ses bras même si les fauteuils rendaient cette entreprise très difficile. Presque broyée contre son torse, je sentais son cœur battre contre ma tempe. Il battait si vite.
Je ne savais pas comment faire pour empêcher ce qui allait suivre. Ma mère pleurait et n'arrêtait pas de nous répéter qu'elle nous aimait.
Tout ça ne pouvait plus continuer. Je fermai les yeux.
Nous étions si près de l'eau maintenant. C'était trop tard.
« Échec de la simulation » entendis-je dans ma tête.
Je battis des paupières et aperçu Elyas debout, contre le mur. Ce dernier me sourit, et la tension accumulée sembla faiblir et s'évaporer de mon organisme. Je n'étais plus dans l'avion, j'étais soulagée.
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