I. Le Simulatorium (Echo)
En face de moi, il y avait cette fille.
Elle semblait perdue dans ses pensées. Ses cheveux noirs contrastaient avec ses yeux bleus – qui avaient tendance à tirer sur le vert – et sa peau assez pâle. Le tout lui donnait une allure presque fantomatique.
Son regard ancré dans le mien ne se détourna jamais une seule seconde. Elle continuait simplement de me fixer, comme je le faisais.
Assise sur une chaise de couleur bleu, elle croisa les jambes et plaça ses mains au dessus de ces dernières. Un garçon était assis à ses côtés, les prunelles baissées sur une tablette. Ses cheveux étaient exactement comme les siens, un peu ondulés et aussi sombres.
Puis elle sourit et une voix rompit le silence dans la pièce.
Je détournai le regard du grand miroir et me levait, suivie de mon frère.
— Prête ?
— Il le faut bien, dis-je avec un sourire.
— Ne t'inquiète pas. Je sais très bien que ça va bien se passer.
Nous nous avançâmes près du bureau de l'accueil. Une jeune femme se tenait juste derrière, avec un tailleur gris. Les cheveux bruns attachés en un chignon, elle portait des lunettes noires. Elle semblait avoir la vingtaine d'années. Je lus ensuite son nom sur son badge : Isabel.
Cette dernière adressa un sourire à Samuel, mon frère, puis le dirigea vers moi.
— Comment tu te sens, Echo ? s'enquit-elle.
— Ça va, me contentai-je de dire.
— Bien. Quelqu'un ne va pas tarder à arriver pour t'accueillir.
Je hochai la tête et entrepris de fixer le grand hall du Simulatorium.
Les murs étaient tous peints en blanc. Seule la porte en verre laissait entrer la lumière naturelle. Sinon, de fausses fenêtres ornaient les murs, offrant de magnifiques paysages.
Mon regard dévia sur la droite, où se trouvait la zone d'attente. Un grand miroir renvoyait le reflet de la pièce et quelques chaises de couleurs différentes étaient disposées çà et là.
Le hall était alors tel que je l'avais toujours imaginé, moderne, grand, lumineux. Un peu comme le pavillon dans lequel nous habitions. Il m'inspirait confiance, comme si j'étais à la maison. Je pouvais reconnaître les mêmes couleurs ainsi que les mêmes senteurs. Une délicieuse odeur de freesia se dégageait d'ailleurs des fleurs entreposées dans différents pots.
Et dire que Samuel se trouvait exactement dans cette situation l'année dernière, découvrant le Simulatorium avec de grands yeux ébahis et le cœur battant trop vite. J'étais bien heureuse qu'il fût là avec moi aujourd'hui. C'était une chance qu'il ait un travail au sein du siège des Simulations, obtenu parce qu'il s'était montré incroyablement brillant lors du jeu.
L'été dernier, j'avais suivi ses exploits chaque jour, croisant les doigts afin qu'il parvînt à atteindre la fin d'un niveau avant les autres. Les Simulations étant diffusées tous les jours sur une chaîne spéciale heureusement gratuite ainsi que sur internet, j'avais eu la chance d'avoir un aperçu de ce qui m'attendait. Contrairement à lui, je savais un peu dans quoi je m'embarquais.
Néanmoins, savoir que les Simulations commençaient très bientôt me rendait nerveuse. À tel point que je me remettais en question. J'étais très différente de mon frère, plus mentalement que physiquement. Il avait cet air mystérieux, pour lequel une fille pouvait facilement, hélas, s'enticher. Plutôt beau garçon, il avait gagné des supporters grâce à son physique avantageux. Contrairement à moi, tout jouait en sa faveur.
Si l'on me mettait en face de quelqu'un qui ne savait pas que j'étais sa sœur, il n'était cependant pas impossible de le deviner. La ressemblance était flagrante sur nos traits du visage, mais psychologiquement, nous étions comme chien et chat. Nos cheveux étaient noirs de jais. Ses yeux étaient verts, les miens étaient bleus. Néanmoins, il était plutôt grand tandis que j'étais affreusement petite.
Samuel jouait bien plus aux jeux vidéo que moi. Il connaissait les principaux pièges communs à tous les jeux. Je n'en connaissais aucun. De plus, il était doté d'une excellente forme physique et d'un mental exceptionnel. Il avait toutes ses chances de gagner alors que moi, j'étais petite et menue. Peut-être rapide, mais pas assez forte si je me retrouvais par mégarde en face de quelqu'un comme lui.
Et c'était ce qui faisait la différence : je n'étais pas mon frère.
— J'ai peur de ne pas y arriver, lâchai-je finalement.
Je me souvins de cet épisode, Samuel était arrivé au niveau sept et avait dû se battre contre un autre garçon de son âge pour une raison qui m'échappait. Je me souvins de Sam, de son coup de poing envoyé dans la mâchoire de ce garçon. Je me souvins des coups qui pleuvaient et bientôt de la lèvre en sang de mon frère. Si ça m'arrivait, je n'étais pas sûre de gagner la bataille. Je ne me croyais même pas capable de faire du mal à quelqu'un délibérément.
— En plus, les autres sauront que je suis ta sœur. Ils vont se méfier de moi plus que la normale et vont sûrement vouloir se liguer contre moi...
Ça y est, la peur me tiraillait l'estomac. C'en était devenu douloureux.
— Ne sois pas défaitiste. C'est comme ça que tu te feras éliminer dès le premier niveau, rit-il doucement. Je te pensais bien plus optimiste que ça et beaucoup moins égocentrique d'ailleurs !
Il avait raison. Peut-être que personne ne s'intéressera à une gamine de dix-sept ans qui – soyons honnêtes – ressemblait à une fille de seize voire quinze ans. Je n'inspirais pas la peur. Je n'étais pas spécialement musclée. Les gens devant leur télévision me prendront d'ailleurs pour une poupée de porcelaine, prête à se briser à tout instant. Mais le fait était que j'étais nerveuse et que j'imaginais mille et un scénarios.
— C'est juste que là, je stresse.
— C'est normal, c'est humain d'avoir peur. J'étais comme toi. Assis sur ce même fauteuil, attendant qu'on me fasse signer officiellement le règlement avec mon empreinte digitale. Je ressentais exactement les mêmes sentiments. Tu as de la chance de savoir à peu près ce qui t'attend. Contrairement à toi, je suis parti dans le flou le plus total. Mais regarde, j'ai réussi. Pourquoi pas toi ?
Je n'eus pas le temps de répondre qu'Isabel nous fit signe de nous approcher. A ses côtés, toute aussi jeune, se trouvait une autre femme. Elle arborait un sourire rayonnant. Quand nous arrivâmes à sa hauteur, la couleur de ses yeux me frappa. Du cuivre. Etaient-ce des lentilles ou ses vrais iris ? Ses cheveux blonds coupés en un carré plongeant lui arrivaient en dessous de ses oreilles et j'eus une curieuse impression de déjà-vu. J'étais sûre d'avoir un jour aperçu cette femme quelque part et de connaître son nom, par la même occasion.
— Felicia ! fit mon frère en lui faisant une accolade.
Je compris à l'entente de son nom. Felicia Smoack. Elle était arrivée jusqu'au dernier niveau avec mon frère. Mais il avait finalement remporté le jeu. C'était donc de cela qu'il parlait ? On gagnait des amis ou peut-être plus à en juger le sourire qu'il lui adressait ?
— Comment tu vas ? s'enquit-il.
— Absolument bien ! Je suis toute excitée de jouer le rôle de guide cette année ! En plus, j'ai cru comprendre que tu nous amenais une participante ? Sawyer, c'est bien ça ? elle s'adressait désormais à moi.
Je hochai la tête. Elle le savait déjà.
— Mais je préfère que l'on m'appelle Echo, la corrigeai-je gentiment.
En effet, j'aimais davantage mon deuxième prénom que mon premier.
— D'accord. Enchantée, Echo Je suis Felicia.
— De même, répondis-je avec un sourire.
— C'est elle qui va tout t'expliquer concernant le fonctionnement du jeu, les règles... Si tu as des questions, c'est à elle que tu dois les poser, me renseigna Samuel.
— C'est ça, sourit-elle aimablement. Mais dis-moi, tu n'es pas trop nerveuse ?
— Ça va, mentis-je.
Je n'aimais pas mentir mais je n'avais pas envie de faire l'intéressante dès le premier jour au siège des Simulations. Je n'étais pas le genre à vouloir attirer l'attention sur moi. Pourtant, paradoxalement, c'était ce que je m'apprêtais à faire en participant à ce jeu.
— Combien sont déjà arrivés ? s'enquit mon frère et je compris qu'il parlait des autres joueurs.
— Avec Echo, neuf. Un regroupement est prévu pour seize heures et il n'est pas loin de quatorze heures. Le reste va bientôt arriver.
— Dans ce cas-là, je vais vous laisser afin de ne pas trop vous retarder, il sembla réfléchir. Mhm, Echo, j'essayerai de venir te voir avant le début du jeu, sinon je t'appellerai. D'accord ?
— Oui, répondis-je et il m'attira dans une étreinte.
— Aie confiance en toi et tout ira bien, me chuchota-t-il. Je crois en toi, ajouta-t-il avant de sourire et de partir en direction d'un couloir.
Aie confiance, Echo.
Nous prîmes ensuite la direction empruntée par Samuel quelques minutes auparavant, c'est-à-dire le couloir à gauche de l'accueil. Nous y trouvâmes un ascenseur et des escaliers. Cependant, puisque j'avais ma valise avec moi, Felicia me proposa plutôt de monter dans la cabine. Sage décision, selon moi. Même si ma valise n'était pas incroyablement lourde, s'il m'arrivait de tomber, c'en était fini des Simulations pour moi. Or, ce n'était pas un risque à prendre. J'étais bien trop maladroite. Je me voyais déjà trébucher sur mes propres pieds. Qu'est-ce qui m'a pris d'accepter de participer aux Simulations ? Je suis tellement gauche, pensai-je.
Felicia posa sa main à l'emplacement indiqué afin d'accéder à l'ascenseur. L'ordinateur put alors lire son empreinte digitale.
— Bonjour, mademoiselle Smoack, fit une voix autour de nous.
Et les portes de l'ascenseur s'ouvrirent. Felicia me fit alors signe de m'y engouffrer.
— A quel étage voulez-vous vous rendre ?
— Au deuxième, indiqua Felicia.
Quatre secondes après, les portes se rouvrirent.
Avant de sortir, en levant les yeux, je discernai un petit objet dissimulé dans un coin de la cabine. Une caméra. Je devinai que la sécurité au Simulatorium était une question de priorité. Après les soldats devant l'entrée, nous avions les caméras et les lecteurs d'empreintes digitales. A la rigueur, je trouvais ces derniers ordinaires maintenant. Néanmoins, j'avais oublié le fait que nous serons constamment surveillés. Et ça, Samuel s'était amusé à me le cacher.
— Donc ici c'est le deuxième étage, tu y trouveras les appartements des filles. Au troisième se trouvent ceux des garçons. Mais sauf autorisation, tu n'as pas le droit de te rendre là-bas.
Plus la visite avançait et plus l'impression d'être dans un camp militaire envahissait mon esprit. Je n'en avais vraiment pas l'habitude. Néanmoins, ça se comprenait. Les Simulations n'étaient pas qu'un simple jeu « télévisé », c'était plus que ça, bien plus. J'avais lu sur leur site internet qu'il avait fallu plusieurs années afin de concevoir et développer le jeu vidéo maintenant devenu très populaire dans tout le pays.
Nous marchâmes jusqu'à la porte de l'appartement numéro neuf et je devinai qu'il s'agissait du mien pour cette semaine de préparation.
— Pour accéder à ton appartement, tu disposes d'un lecteur d'empreinte digitale. Si tu te souviens, tu avais dû déjà posé tes empreintes durant l'inscription, il y a quelques semaines. Comme pour l'ascenseur, tu poses ta main droite sur le lecteur et tu attends que l'ordinateur t'ouvre la porte.
Je hochai la tête et suivis ses indications.
— Bienvenue, mademoiselle Hawkins.
Je souris. Ce truc était vraiment cool !
L'appartement était plus grand que je ne l'imaginais, mais il était toujours très clair et lumineux comme le reste du siège.
— C'est plutôt sympa, je ne m'attendais pas à ça à vrai dire, dis-je en posant ma valise dans l'entrée.
Suivie de Felicia, je m'avançai jusqu'à la baie vitrée pour observer la vue et je fus assez surprise de voir qu'il y avait un balcon. Et celui-ci m'offrait la vue d'un terrain d'athlétisme. Il m'était alors aisé de parvenir à la conclusion que j'allais probablement m'y rendre pour faire quelques tours de terrain.
Mais aussitôt, une pensée vint interrompre toutes les autres. Les Simulations n'étaient pas réelles. C'était un fait. Alors... pourquoi devrions-nous nous entraîner ?
— A quoi ça sert ? demandai-je en pointant du doigt le terrain qu'il y avait en bas.
— On va mesurer vos capacités.
C'était amusant comme Samuel s'était gardé de tout m'expliquer.
Puis, tournant la tête, je remarquai un petit canapé avec un écran mural. Allait-il me servir ?
— Tu auras sûrement l'occasion de revoir les exploits de ton frère, me dit Felicia comme si elle lisait dans mes pensées alors qu'en réalité, elle avait suivi mon regard.
— Ah bon ?
— On a décidé cette année de vous préparer davantage que les joueurs de l'année précédente. Les niveaux vont être un peu plus compliqués.
Un peu plus compliqués ? Ce n'était pas possible ! Moi qui m'inquiétais déjà parce que je ne voulais pas avoir affaire avec certains des niveaux qu'il a rencontrés... c'était encore pire. Si c'était réellement plus difficile, je n'étais pas certaine de rester en lice quand nous arriverons à la fin du niveau deux. Rien que de savoir que la difficulté allait grimper, mon pouls s'emballa. Je m'imaginai déjà là-bas, perdant tout espoir...
— Mais ne t'inquiète pas, vous serez vraiment bien préparés. N'oublie pas que rien n'est réel.
Rien n'était réel. J'avais tendance à l'oublier maintenant que j'y étais presque. Felicia avait raison, ce n'étaient que des Simulations. Nous serions seulement connectés au jeu vidéo. Nous aurons l'impression que ces niveaux seront réels alors que tout se passera dans nos têtes.
— As-tu des questions avant de « signer » ? me demanda-t-elle avec un sourire aimable qui montra ses fossettes.
Je comprenais pourquoi mon frère était tombé sous son charme, il fallait dire qu'elle était magnifique. Felicia était une jeune femme qui avait de la prestance. Elle n'avait rien à voir avec les filles de mon âge. Elle semblait d'autant plus vraiment adorable.
Elle me fit signe de m'asseoir sur le canapé et sortit une tablette de la taille de sa main de sa pochette bleue.
— Prête à déposer ton empreinte ?
Implicitement, elle me demandait si j'étais prête à faire face aux Simulations.
— Oui.
Ça voulait dire « non ».
Je pensai alors à Sam. Il avait fait ces Simulations. Il en était même revenu gagnant. S'il me laissait participer, c'est qu'il n'y avait aucun problème. Je lui faisais confiance. Aveuglément confiance.
Je m'entrepris alors de poser ma main sur la tablette.
— Bien, tu es officiellement une participante !
Felicia semblait presque autant excitée que moi.
— Passons maintenant à ton emploi du temps.
Sur ces mots, elle sortit une sorte de bracelet électronique avec un petit écran, presque comme une montre. Elle me le passa à mon poignet et appuya sur un bouton placé sur le côté.
— C'est pour te repérer, et te prévenir de quelque chose d'imprévu etc. De plus, ton emploi du temps est incorporé à l'intérieur. Par exemple, si tu as un entraînement en bas, la montre va sonner dix minutes avant.
— Pratique, remarquai-je.
— Plutôt, oui.
— Mais je pensais qu'on n'avait pas le droit de se promener seuls dans le siège ?
— J'allais y venir, vous n'avez pas le droit de vous balader seuls entre vingt-deux heures et huit heures du matin. Et si quelqu'un s'amuse à faire le rebelle, on le saura immédiatement. Ensuite, vous n'avez pas le droit d'accéder aux niveaux inférieurs sans en avertir l'accueil.
— D'accord, j'ai compris.
Elle m'expliqua rapidement le fonctionnement de la montre et lorsqu'elle eut fini, quelque chose sonna dans la pièce. C'était la sienne que je venais de remarquer à son poignet. Elle avait la même apparence que celle qu'elle venait de me donner. Tout le monde en avait une, alors ?
— Bon, quelqu'un vient d'arriver, je vais devoir te laisser.
— Pas de problèmes, dis-je en la voyant se lever.
— Prends le temps de déballer tes affaires et fais comme chez toi. Et n'oublie pas : Regroupement dans une heure dans la grande salle en bas ! Tu verras, c'est indiqué ! A tout à l'heure et ne sois pas en retard !
— A tout à l'heure ! la saluai-je avant qu'elle ne sortît de l'appartement.
Maintenant, j'avais une heure à tuer.
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