Un peu d'insouciance

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Pour la première fois depuis longtemps dans sa vie, Noa se sentait bien. Il avait posé le lourd sac de pierres qu'il se trimballait habituellement et se sentait léger. La légèreté de ses seize ans. Il ne pouvait s'empêcher de sourire à tout va. Ce qui n'était pas passé inaperçu auprès de ses amis. Adam était persuadé que c'était l'amour, et le couple qu'il imaginait, à tort, entre Noa et Isaia. Depuis leur soirée au cinéma, il ne cessait de l'ennuyer à ce sujet. Tristan jugeait au contraire que c'était l'euphorie pré examen qui le faisait craquer et s'inquiétait de sa santé mentale.

Noa, lui, pensait à Fourchette, qui venait chaque matin lui lécher le visage pour le réveiller. Il enfonçait alors son visage dans sa fourrure, se délectant d'avoir quelqu'un qui l'aimait sans conditions. Il pensait aussi à Simone et aux bons repas qu'elle lui préparait chaque jour. Il avait d'ailleurs poussé de cinq bons centimètres en l'espace d'un mois, ce qui était tout bonnement spectaculaire. Il avait peu à peu baissé sa garde, inconsciemment, comme un noyé qui reprendrait une goulée d'air après trop de temps passé sous l'eau. Il respirait enfin.

Ho, bien sûr, ses angoisses étaient toujours là, tapies dans un coin, prêtes à rejaillir au moindre accroc, à une remarque qui pouvait lui rappeler que les personnes autour de lui pouvaient, encore et toujours, disparaître et l'abandonner, mais il n'avait plus ressenti ce gouffre sans fond l'appeler, cette oppression qu'il avait sans cesse sur la poitrine.

Il ne s'en était rendu compte que récemment, tellement elles faisaient partie de lui, qu'elles l'avaient désertés. D'où cette sensation de légèreté inédite. Il sentait par moment l'adrénaline bouillir dans ses veines, une vague d'envie de vivre l'emporter au loin. Tout lui semblait possible, même si cela restait effrayant.

Sa mère lui avait envoyé un texto la semaine dernière, qui l'avait fait un peu replonger dans l'angoisse. Elle avait envoyé une photo d'elle sur la Côte, sans demander aucunement des nouvelles de Noa ou s'il s'en sortait. Le sourire maternel lui avait fait l'effet d'un poignard dans le ventre. Il avait revu l'espace d'un instant son inutilité dans le monde, la noirceur de ses pensées. Mais Fourchette était venu sur ses genoux, Noa avait posé le téléphone loin de lui et, bien vite ses pensées avaient été détournées. Il voyait à présent à quel point leur relation mère-fils était malsaine.

Il découvrait ce que c'était d'avoir quelqu'un qui nous attend le soir, qui se soucie de notre bien-être et il en appréciait chaque minute. Il redoutait en même temps que cela s'arrête. Pour ne pas y penser, il se concentrait à fond sur ses révisions pour le bac de français qui approchait à grand pas. Plus que quelques semaines et on y serait. Aujourd'hui, d'ailleurs, Sophie organisait une séance de révision chez elle.

Dans son salon à la décoration raffinée, un groupe d'adolescents se vautrait dans les canapés. Sophie avait pris les choses en main et préparé des fiches bristol colorées sur les poètes du XIXème au XXIème siècle, Chloé sur les romans et récits du Moyen âge avec notamment, l'étude du roman de Jules Verne « Voyage au centre de la Terre ». Les garçons étaient censés avoir préparé leur partie, à savoir : le théâtre, Molière et la littérature d'idées. Autant dire que seul Noa avait réellement bossé le sujet, Adam et Tristan se contenant de faire figuration.

Noa se racla la gorge avant de prendre la parole :

― Stendhal est donc l'auteur du roman « Le Rouge et le Noir » qui a été publié en 1830. Ce roman oscille entre romantisme et réalisme et décrit la relation entre Julien Sorel, le personnage principal issu du milieu militaire, qui gravit les échelons de la société, et Mme de Rénal, la femme du Maire de Verrières...

― Chiant comme la mort cette lecture... le coupa Adam.

― Vous ne voulez pas qu'on fasse une pause ? renchérit Chloé.

― Moi, j'abandonne, j'aurai jamais mon bac, affirma Tristan dépité par l'ampleur des révisions.

Noa abaissa ses fiches, cela faisait deux heures qu'ils étaient dessus, une pause n'était peut-être pas une si mauvaise idée. Il faisait une chaleur à crever dans le salon et de toute manière, personne n'imprimait plus rien. Il étira ses jambes et posa ses fiches devant lui, sur la table basse de bois épais.

― Ok pour une pause.

Tous se levèrent, se disséminant entre la cuisine pour se servir à boire ou les toilettes. Noa lui, ressentit l'envie de prendre l'air frais. Il sortit dans le jardin de l'imposante maison. Prendre l'air, il fallait le dire vite. La moiteur de l'atmosphère à l'extérieur était encore plus étouffante qu'à l'intérieur. Il se laissa tomber sur les marches d'un escalier de pierre qui reliait la fenêtre à une grande terrasse.

Plus tôt, ses amis avaient mentionné leurs projets pour les vacances d'été, ils envisageaient de partir camper quelques jours dans les Gorges de l'Ardèche. Comme à chaque fois, Noa avait ressenti un pincement. Il peinait déjà au niveau financier, alors partir quelque part était clairement hors de propos. Il passerait sûrement son été à zoner chez les uns, chez les autres, entre parties de jeux vidéo, travail au fast-food et soirées improvisées. Accablé, il poussa un long soupir.

― Un problème ? dit une voix provenant de l'autre côté de la clôture.

Son cœur fit un léger soubresaut en reconnaissant Isaia. Il remit machinalement sa mèche de cheveux sur le côté.

― T'en as pas marre d'espionner les gens ? répliqua-t-il.

― Ne te donnes pas trop d'importance non plus.

― Qu'est-ce que tu fais là ?

― Aux dernières nouvelles, j'habite ici, c'est plutôt moi qui devrais te demander çà, répondit-elle en se rapprochant de la clôture.

Noa l'imita machinalement et ensemble, ils marchèrent le long de la haie, si bien qu'ils se trouvaient à présent dans la rue devant la maison. Il ne put s'empêcher de reluquer son étrange accoutrement. Elle portait une salopette en jean, beaucoup trop large pour elle et des bottes de pluie, ce qui était pour le moins incongru par cette chaleur. Elle avait relevé ses cheveux courts en une demi-queue, ce qui dégageait son visage pointu. Noa ne put empêcher son regard de dévier vers les tatouages sur ses bras.

― Je révise le bac avec les autres, l'informa Noa.

― Tu veux pas plutôt aller faire un tour de vélo ?

Noa baissa les yeux. Il ne savait pas faire de vélo, on ne lui avait jamais appris, il n'en avait même jamais possédé.

― J'peux pas, je viens de te dire, je révise.

― Tu te dégonfles ?

― Bon, t'as gagné, je ne sais pas en faire..., avoua-t-il.

Il avait honte, mais cette information ne sembla pas rebuter Isaia. Elle attrapa le vélo qui était adossé à la clôture et lui fit signe de monter sur le guidon. Cette fille était timbrée, il n'y avait que cette explication. Noa était déstabilisé, il ne se voyait pas monter là-dessus et ne pouvait pas non plus disparaître de chez Sophie comme çà.

Isaia le fixait de ses grands yeux clairs. Elle avait passé une jambe par-dessus le cadre et s'était installée sur la selle. Noa l'observa quelques secondes, pesant le pour et le contre, puis se décida. Il galéra à grimper, faisant basculer le vélo sur le côté. Isaia riait. Ils s'y reprirent à plusieurs fois et au bout de plusieurs essais, la jeune fille arriva à pédaler.

L'air décoiffait Noa, lui faisant du bien dans cette chaleur étouffante. Il s'agrippait tant bien que mal au guidon, se sentant ridicule, mais aussi ridiculeusement vivant. Elle pédala un long moment, sortant du quartier aux maisons cossues, rejoignant la sortie de la petite ville aux abords des premiers champs à la périphérie. Elle stoppa dans un petit chemin bordé de cerisiers. Elle en cueillit une pleine poignée qu'elle tendit à Noa.

Les fruits étaient chauds et sucrés. Les deux jeunes se laissèrent tomber dans l'herbe haute sur le côté du chemin, à l'ombre des arbres. Noa observa une fourmi remonter le long de sa jambe, Isaia avait accroché des cerises à ses oreilles. Il put enfin à loisirs contempler les fameux dessins ornant les bras de la jeune fille. Malgré lui, il tendit le bras et de ses doigts effleura une rose. Il fit mine de se piquer le doigt sur les nombreuses épines. Sa main continua son voyage, touchant l'encre çà et là, puis s'arrêta sur un Vif d'Or, petite balle ailée du roman Harry Potter. Il fit semblant de l'attraper et de le laisser s'envoler. Il sourit.

― Tu aimes ? demanda-t-elle ce qui eut pour effet de le faire rougir.

Il retira sa main et choisit de ne pas répondre en mettant une cerise dans sa bouche et dissimulant son regard derrière ses cheveux. Il ramena ses genoux contre son torse.

― Pourquoi habites-tu avec ta grand-mère ? l'interrogea encore Isaia de but en blanc.

― Oh...

Noa fut pris au dépourvu par sa demande si franche. La plupart de ses amis ne posaient pas de questions. Il prit le temps de réfléchir, pesant le pour et le contre. Il avait bizarrement redouté qu'on l'interroge à ce sujet, mais avec Isaia cela ne le gênait pas. Comme la fois précédente, il fut surpris de se confier à elle si facilement.

― Ma mère est partie. J'étais seul. Simone est en fait ma voisine, expliqua-t-il.

― La connasse !

Isaia avait réagi vivement, la réplique était sortie toute seule, ce qui eut pour effet de faire rire Noa. Il éclata d'un rire si sonore qu'il en fut lui-même surpris. Isaia se joignit à lui et ils rirent longtemps, perdant leur souffle. Quelque part au fond de lui, la réaction de la jeune fille lui mettait du baume au cœur, sans qu'il ne sache trop pourquoi. D'habitude, il aurait cherché des excuses à sa mère, mais la jeune femme avait ouvert malgré elle une brèche et Noa s'y engouffra :

― Une connasse, ouais... Elle m'a lâché. Depuis mes treize ans, elle joue aux abonnés absents. Je suis le vilain petit canard dont personne ne veut. Je suis le gosse qu'elle n'a jamais désiré, le boulet de son existence.

Isaia se leva pour cueillir une nouvelle poignée de fruits juteux, puis elle lui en donna quelques-uns en se rasseyant, elle semblait réfléchir.

― Tu ne crois pas que c'est une chance plutôt ?

― Comment ça ?

Noa ne comprenait pas vraiment où elle voulait en venir. Il ne voyait pas trop en quoi grandir seul, sans pousser droit et être livré à soi-même, pouvait être un atout dans la vie.

― Ben ouais, la plupart des mères célibataires avec enfant jouent au petit couple avec leur gosse, je trouve ça glauque, limite malsain. Au moins, elle t'aura épargné ça !

Il faillit s'étouffer avec son fruit, mais elle marquait un point.



*****

Petit chapitre tout en douceur, plus long qu'habituellement. Noa commence à se détendre un peu même s'il reste sur ses gardes, n'hésitez pas à me donner votre avis et vos commentaires!

Prochain chapitre sûrement la semaine prochaine (mercredi ou dimanche...)

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