Simone


 Lentement, elle se leva de son fauteuil de velours marron élimé. Cela faisait bien longtemps que la rapidité ne faisait plus partie de son vocabulaire. Elle massa ses poignets endoloris et sa hanche craqua. « Maudite articulation » pensa-t-elle. Elle se déplaça vers sa table où elle posa son journal, le pliant soigneusement. Plus tard, elle ferait les mots croisés, comme d'habitude. A force de les faire tous les jours, elle connaissait certains mots par cœur. C'est vrai qu'ils n'étaient pas très variés mais finalement, ça avait un petit côté rassurant.

Ce matin, comme tous les matins, elle avait été au marché, prit ses fruits et légumes du jour, puis chez le boucher où il lui avait remis sa pièce de viande de la semaine, mise de côté exprès pour elle, elle appréciait l'attention. Elle avait fini son tour par un arrêt chez le boulanger pour la baguette. Le tout n'avait pris que vingt minutes. Pourtant, elle s'appliquait à marcher doucement, prenait du temps pour mettre sa veste, nouer son foulard autour de ses cheveux gris perle, attraper sa canne. Si elle avait de la chance, elle croisait quelqu'un de sa connaissance, alors elle perdait cinq minutes de plus à parler météo ou derniers ragots.

Elle était née juste après la grande guerre. La deuxième guerre mondiale. Un enfant du baby-boom. Oh, ils étaient nombreux de sa génération. Ses parents étaient une famille modeste de commerçants mais, Simone et ses sœurs n'avaient jamais manqué de rien.

Son père n'avait jamais été très bavard, aimant sa tranquillité. Leur mère disait souvent que la guerre changeait un homme et lui était revenu un peu fichu. Pas dans son corps mais, dans sa tête. Dans le souvenir de Simone vivait un grand homme bon mais taiseux, au regard souvent voilé. Sa mère parlait de toute manière assez pour deux. Cette différence ne les avait pas empêchés d'avoir des enfants. Trois filles. Simone était la dernière survivante de cette famille bien qu'elle soit l'aînée. Marie et Louison étaient décédées il y a quelques années. C'était à n'y rien comprendre.

Simone aimait son prénom. Les Simone c'étaient de fortes têtes : Simone de Beauvoir, Simone Veil... Oui, Simone était fière d'appartenir à « cette espèce-là » comme elle le disait. On disait souvent d'elle qu'elle avait un fichu caractère. « Simone et son fichu caractère », voilà une phrase souvent entendue, pourtant ses intimes savaient bien qu'au fond d'elle se cachait un grand cœur. Il ne lui restait toutefois plus tellement de proches pour en attester à présent. La vie devenait triste lorsque la plupart de nos amis et de notre famille sont allongés six pieds sous terre.

Il y a près de dix ans déjà, Simone avait également perdu son mari, un foutu cancer du côlon les ayant privé d'une jolie retraite ensemble. Elle et Georges formaient un couple à l'ancienne, ils ne causaient pas beaucoup, aimaient se chamailler, mais on pouvait lire entre eux un amour discret, sans chichis. Ils n'avaient jamais eu la chance d'accueillir un enfant. Il fallait faire avec à l'époque et Simone avait appris à vivre, un grand vide au sein de son cœur. Elle avait été une tata mais, n'avait plus tellement de contact avec les enfants de ses sœurs à présent.

Ils avaient habité toute leur vie à la campagne, tenant la petite épicerie du village. Georges s'occupait des commandes et Simone de la vente et la clientèle. Elle n'avait jamais aimé la campagne, elle son rêve c'était la ville. Bruyante vibrante, vivante. Aussi, lorsque son mari était décédé, elle n'avait pas hésité très longtemps à vendre leur maison de pierres, mal chauffée et isolée de tout, et était partie vivre vingt kilomètres plus bas, en ville.

Aujourd'hui, la solitude des vieux jours lui pesait. Des jours semblables, tous les mêmes, qu'on vit les uns après les autres en se demandant à quoi bon. Simone, bien qu'à l'aube de ses quatre-vingt ans n'attendait plus rien de la vie. C'était triste à dire, mais elle l'acceptait. Un jour après l'autre, remplis de petits rituels, pour ne pas trop voir le vide.

La pendule, dans son tic-tac régulier indiquait à présent dix heures quarante-cinq. Alors, elle ressortit son faux filet du frigo, dépliant l'emballage cellophane rose aussi agilement que lui permettaient ses doigts plein d'arthrite et commença à cuisiner. Elle prit une poignée d'haricots verts et s'assit à sa table de formica pour commencer à les équeuter. Elle avait le coup de main mais encore une fois, elle essayait de ne pas aller trop vite. Elle décida d'ajouter une pomme de terre, elle la ferait rissoler, ça accompagnerait bien les haricots. Puis elle coupa un oignon, elle n'aimait pas, cela lui faisait toujours piquer les yeux.

Une fois tout préparé, elle sortit lentement ses ustensiles du placard sous l'évier. Et un gros morceau de beurre, au diable le cholestérol, elle s'en fichait pas mal. La cuisine au beurre c'est la meilleure ! Elle fit d'abord revenir ses oignons, puis ajouta ses haricots. Dans une autre poêle, elle lança les dés de pomme de terre. Une fois, les légumes cuits, elle réserva tout ça sur le côté et entreprit de cuire la viande. Le morceau se mit à grésiller dans la poêle. Alors, Simone pris une assiette de porcelaine blanche bordée de bleue, vestige de son service de mariage avec Georges, des couverts tout dépareillés et un verre à moutarde recyclé en verre à eau.

A midi moins le quart précises, elle versa le tout dans son assiette, alluma le poste de télévision et commença à manger. Elle se coupa une bonne tranche de pain. Le soir, elle s'accordait parfois un petit verre de rouge mais le midi, c'était de l'eau. Georges lui buvait un petit verre à chaque repas, c'était bon pour la santé, disait-il. Le silence lui pesait, emplissant chaque recoin, n'avoir personne avec qui discuter aussi mais, la télévision remplissait bien son rôle. Simone aimait bien râler sur les participants de ses émissions préférées. Des fois, elle donnait les réponses, elle se fâchait contre le candidat lorsqu'il se trompait et se sentait un peu plus vivante.

Puis commençait l'après-midi. Traitre et longue après-midi. Simone aimait bien le mardi car elle jouait aux cartes, mais nous n'étions pas mardi. Le jeudi, elle se rendait au cimetière. Mais nous n'étions pas jeudi. Et Simone n'avait pas assez d'idées pour chaque jour de la semaine. Alors elle faisait une sieste, installée dans son fauteuil, les pieds posés sur sa table basse. La sieste occupait une partie du temps, mais il fallait être vigilant et ne point trop dormir, sans quoi le sommeil vous fuyait la nuit, et ça c'était hors de question ! La journée était déjà bien assez longue comme ça sans se rajouter des insomnies !

A quinze heures, elle alluma le poste de télévision et le téléfilm commença. Les scénarios étaient bien toujours un peu les mêmes, mais comme Simone avait la mémoire qui flanchait, cela n'était pas trop gênant. Elle se servit une tisane bien chaude de verveine. Des fois c'était de la marjolaine. Elle ne buvait plus de café depuis longtemps, pour éviter les insomnies justement. Cet après-midi, une histoire romantique à souhait était diffusée sur la sixième chaine. Tout y était, le scénario cousu de fil blanc, l'homme prêt à sauver la demoiselle en détresse. Simone était bon public.

Enfin, le soleil déclina dans son petit appartement du rez-de-chaussée, indiquant la fin de la journée. Simone s'extirpa difficilement de son fauteuil et commença son rituel de préparation de la soupe. Elle éplucha les pommes de terre, les carottes et le navet, lava et coupa les poireaux. Puis, tout cela fut mis à revenir dans la grande casserole, elle couvrit ses légumes d'eau et bientôt une bonne odeur se diffusa dans toute la cuisine. Une louchée fut servie dans une assiette de porcelaine creuse. Elle mangeait peu le soir.

Une fois la soupe avalée, ce fut l'heure de la toilette. Un brin de nettoyage, à l'ancienne, pas de douche tous les jours. Simone se glissa dans sa chemise de nuit longue à fleurs et enfila ses pantoufles avant de reprendre sa place dans le fauteuil pour le film du soir. Il y avait de moins en moins souvent de bons programmes, pensa-t-elle. Avant Simone aimait la lecture, mais elle y voyait de moins en moins bien, et déchiffrer chaque lettre, chaque mot, chaque phrase la fatiguait grandement.

Elle finissait souvent par s'assoupir devant le programme, et se réveillait transie de froid au milieu de la nuit, pour finalement se trainer jusqu'à sa chambre et se glisser sous l'épais édredon. Ainsi passaient les jours de Simone, lentement et dans un immuable recommencement.




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Merci à ceux qui me suivront sur cette nouvelle histoire, pour être honnête elle est encore en cours d'écriture (j'ai pour le moment 13 chapitres... Je compte sur vous pour me motiver à écrire!), je verrais si je poste 1 ou 2 fois par semaine, pour vous mettre dans l'ambiance, le prochain chapitre sera en ligne ce week-end.

C'est un style un peu différent, dans l'écriture que ce que j'ai proposé auparavant, voilà j'espère que vous aimerez Simone et Noa autant que moi

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