Salle de bains


TW: Attention, ce chapitre peut être choquant.



La table était mise et le pot au feu prêt. Simone regarda l'horloge murale égrener ses minutes. Dix-neuf heures dix. Le gamin était en retard. Cela ne lui ressemblait pas. Depuis que leur petit rituel du mardi soir s'était installé, Noa était normalement ponctuel.

A dix-neuf heures précises, il frappait à la porte. Simone se levait de sa chaise, un petit sourire aux lèvres et, de ses petits pas traînants, elle se rendait dans le couloir. Elle tournait la clef dans la serrure et ouvrait la porte sur le visage de notre adolescent. Souvent, il fixait le sol, tirait sur les manches de son pull, lâchait un « 'soir ». Puis il entrait et, même si son regard restait rivé au sol, semblait renifler l'odeur de la cuisine de Simone avec délices.

Puis, il semblait attendre l'autorisation de se mettre à table, que Simone accordait d'un coup de tête, et le repas commençait. Depuis quelques semaines déjà, la dame âgée et l'adolescent faisaient connaissance, semblaient s'apprivoiser. Elle, baissant un peu sa garde, se laissant attendrir. Lui, osant lever le regard, dire quelques mots. Oh, il n'était pas bien bavard le Noa, souvent Simone aurait eu envie de le secouer. Mais elle sentait qu'il ne fallait pas trop le brusquer, comme l'oisillon tombé de son nid.

Alors, elle redoublait d'efforts dans les recettes. Elle avait même ressorti le livre tout poussiéreux du vaisselier. Elle avait replongé avec émotions dans les pages de sa vie, les plats que Georges préférait et qu'elle n'avait pas cuisinés depuis si longtemps. Un homme reste un homme, malgré l'âge et Noa semblait aimer les mêmes mets que son défunt époux. Simone avait plaisir à imaginer quelle recette elle choisirait pour la semaine suivante, allant ensuite sélectionner avec soin les ingrédients au marché.

Mais voilà, la grande aiguille de l'horloge passa soudain sur dix-neuf heures onze et Simone commença à s'inquiéter. Une espèce de sentiment diffus se répandit dans sa poitrine, la prenant par surprise, elle qui n'était plus habituée à se préoccuper d'une autre personne. Ça l'énerva presque, tiens. Il ne pouvait pas être à l'heure le bougre ? Elle retourna devant ses fourneaux, remua distraitement le pot-au-feu, plia un torchon, aligna une fourchette sur la table.

A dix-neuf heures douze, elle ne tint plus. Elle prit sa canne et décida d'aller voir ce qui se tramait deux étages au-dessus. Elle allait lui expliquait que la ponctualité, c'était la moindre des choses, non mais ! Dans l'ascenseur, elle fulminait. Le pot-au-feu allait refroidir, ça n'allait pas du tout ! Elle se planta devant la porte du gamin et d'un geste vigoureux, sonna.

Le silence lui répondit. Elle avait quand même la sensation que l'appartement n'était pas vide. Mue par dieu sait quel sentiment, elle décida d'entrer. Il faisait sombre à l'intérieur, les rideaux étaient tirés, Simone ne se sentait soudain plus très assurée. Un mauvais pressentiment la prit.

― Noa ? appela-t-elle.

Les deux mains fermement cramponnées sur le manche de sa canne, elle avançait de pièces en pièces. Elles semblaient rangées, sans vie. Elle aperçut le sac de Noa balancé sur le sol et soudain, entendit un sanglot, semblant provenir du fond du couloir. Elle pressa le pas, même si son corps ne semblait pas y tenir.

Un rai de lumière filtrait sous la porte de droite, et ce fut celle que Simone poussa. Son cœur sembla s'arrêter. Assis sur le sol, les poignets ensanglantés, Noa était pris de sanglots incontrôlables. A côté de lui reposait un rasoir.

― Mais, qu'est-ce que tu as fait ? gronda Simone paniquée.

Il releva les yeux vers elle, semblant enfin s'apercevoir de sa présence. Simone lut une telle douleur dans ce regard que cela la transperça.

― J'ai mal, gémit-il.

Simone chercha du regard quelque chose pour faire une compresse, n'importe quoi. Une serviette mauve était pendue là, à sa droite, elle l'attrapa d'une main, tenant fermement sa canne de l'autre pour ne pas tomber. Son cœur battait vite dans sa poitrine. Elle n'allait pas faire un infarctus, ça n'était pas le moment ! Elle se secoua mentalement.

― Peux-tu te lever ? demanda-t-elle d'une voix plus âpre qu'elle ne l'aurait voulue.

― Je... je crois

― Assieds-toi, là-bas, sur la cuvette, je ne peux pas me baisser.

Noa fit comme demandé, laissant des traces de sang sur le sol, sur ses vêtements. Simone mouilla la serviette au robinet et la lui tendit.

― Applique ça sur ton poignet, veux-tu ? J'en prends une autre pour le deuxième.

L'adolescent avait les mains tremblantes. Simone regarda rapidement les coupures, elles n'avaient pas l'air tellement profondes. Mais, enfin, pourquoi s'infliger ça ? Elle vit aussi les stries blanches, témoins d'autres coupures plus anciennes. Le gamin semblait coutumier du geste, ce qui la peina profondément.

― Mais, pourquoi ? demanda –t-elle.

Cela la dépassait complètement. Elle qui avait vécu jusque-là une vie tellement paisible. Elle ne s'expliquait pas le geste.

― J'ai mal, gémit-il de nouveau.

― Ben normal, s'énerva-t-elle, tu t'es entaillé les poignets ! Tu t'attendais à quoi franchement ?

― Non, dit-il. Pas les poignets.

Simone le regardait sans comprendre. Les traits sur le visage de Noa étaient encore bouleversés. Il porta la main à son cœur et baissa les yeux, sa voix était hachée :

― J'ai trop mal... Des fois, c'est trop dur.

Simone accusa le coup, mais elle ne pouvait pas faiblir face à lui, hors de question. D'un geste presque hésitant, elle approcha sa main libre de la tête de Noa et effleura ses cheveux.

― Allez, allez... dit-elle maladroitement.

Simone, nettoya les plaies, désinfecta, pansa. Lui, ramassa le rasoir, nettoya le sang sur le sol, comme si quelque chose de normal venait de se renverser, effaçant les traces du malheur. Les vêtements souillés disparurent dans le bac à linge sale. Noa revenait de sa chambre après s'être changé quand la vieille dame sembla se décider :

― Tu prends des affaires, on descend, affirma-t-elle.

Noa enfila le pull, qu'il avait encore dans la main, et regarda Simone.

― Non, non petit. Tu fais un sac, tu ne restes pas ici ce soir.

Elle avait dit ça d'un ton sans appel, le fixant droit dans les yeux. Noa la jaugea du regard, puis il sembla abdiquer, Simone crut voir du soulagement dans ses yeux, ou quelque chose qui semblait lâcher prise. Il repartit dans la chambre.

Simone sentit ses jambes vaciller un peu sous elle, son cerveau tournant à cent à l'heure. Elle s'accrocha un peu plus fort au manche de sa canne. Et merde ! Dans quel pétrin s'était-elle fourrée... Que risquait-elle à aider ce jeune, mineur et sans parents responsables de lui ? Elle attrapa machinalement le pendentif en croix autour de son cou et se sentit apaisée. Si Dieu avait mis Noa sur son chemin, alors elle allait s'en occuper. Le gamin reparut devant elle, si grand mais si vulnérable, si jeune mais si vieux dans son regard.

― Viens, je t'ai fait du pot-au-feu.

La voix douce et grave de Noa s'éleva en réponse, un peu plus assurée.

― J'aime bien le pot-au-feu.




Voilà, j'ai posté aujourd'hui finalement, le prochain chapitre sera sûrement la semaine prochaine...

Si tu te sens désespéré, ne reste surtout pas seul, parles en.

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