Mots et destins croisés


Simone rentrait du marché, il devait être peut-être dix heures. Elle avait accroché sa veste dans l'entrée, comme d'habitude. Puis, elle avait rangé ses légumes dans le bac prévu à cet effet dans son réfrigérateur, sa baguette dans le sac à pain en tissu aux motifs provençaux. Elle avait hésité à sortir ses mots croisés, mais elle savait bien qu'elle n'arriverait pas à se concentrer.

Elle tendit l'oreille, il lui semblait avoir entendu un bruit, mais non. Elle se décida enfin à se rendre dans le couloir. En quelques pas, elle fut devant la porte. Elle hésitait. Puis, finalement, elle abaissa doucement la poignée et entrouvrit la porte légèrement. Oh, à peine un peu, juste de quoi apercevoir à l'intérieur.

Le gamin dormait toujours. La couette avait glissé un peu et Simone distinguait son visage dans la pénombre. Ses cheveux étaient plaqués sur son front, il avait visiblement transpiré, sa nuit avait dû être agitée. Son torse se levait et s'abaissait dans un souffle régulier. Simone referma la porte. Et maintenant ? Savoir que le gamin dormait chez elle lui faisait perdre un peu ses repères. Devait-elle le réveiller ? Il avait raté sa matinée d'école. Après moult tergiversions, elle décida qu'il avait plus besoin de dormir que de s'instruire.

Elle ne s'était jamais occupée de personne d'autre que d'elle-même et de son Georges, mais cela remontait à fort longtemps à présent. Elle se souvint, malgré elle, des cachets à préparer chaque matin pour son défunt époux, des innombrables rendez-vous à prendre. Pourtant une chose était sûre, Georges n'avait jamais essayé de se faire du mal volontairement.

La veille, Simone et Noa avaient mangé leur pot-au-feu en silence et le gamin avait filé dans la chambre d'appoint sans demander son reste. Simone avait mal dormi elle aussi, se posant mille et une questions. Le nouveau jour éclairait de manière plus vive encore que la veille son lot d'interrogations. Non, jamais au grand jamais, Simone n'avait été confrontée à pareille situation.

Elle finit par s'assoir à sa table, après s'être servi une tasse de café. Ce fut le moment où Noa apparut dans la cuisine. Il fixait ses pieds comme à son habitude. Simone prit les devants :

― Ah, tu es levé. J'étais en train de boire un café, tu en veux ?

― Je... heu... balbutia Noa.

De nouveau, il tirait sur les manches de son tee-shirt trop grand. Sauf qu'à présent Simone savait ce qu'il dissimulait.

― Prends toi un bol dans le placard, y'a du lait et du beurre dans le frigo. Fais comme chez toi.

Noa semblait complètement apeuré et perdu. Simone se leva lentement, faisant grincer la chaise lorsqu'elle la recula. Noa sursauta. Elle le contourna, ouvrit le placard et lui montra la pile de bols :

― Tiens c'est là, regarde. Assieds-toi.

Alors que le jeune semblait sortir de sa torpeur, il tira une chaise et s'installa à table. Simone posa le bol jaune devant lui, y versa du café. Elle récupéra le pain dans la panière en tissu, coupa une grosse tranche, qu'elle beurra. Elle hésita, puis recouvrit le beurre de confiture de prunes. C'était Madeleine qui lui avait donné le pot il y a un moment déjà, lors d'une après-midi cartes. Celle-ci avait un immense verger à l'arrière de sa maison et offrait souvent ses confitures aux autres joueurs.

Après un petit moment, Noa commença à manger. Il risqua un coup d'œil vers Simone avant de rebaisser le regard vers son bol. Il sembla se détendre après la première tartine, alors Simone en refit une autre. Puis, pour ne pas lui donner le sentiment qu'elle l'observait, elle sortit ses mots croisés.

― « Grabuge » en six lettres, réfléchit-elle à voix haute.

Penchée sur le journal, elle griffonna un mot sur sa grille. Du bout de son stylo, elle compta les cases du nouveau mot à trouver. Simone essayait tant bien que mal de se concentrer, portant toute son attention sur la feuille aux cases noires et blanches. Noa n'avait pas bougé.

― « Emmener quelqu'un de force », neuf lettres.

Elle resta longtemps sur le terme, ne semblant pas trouver la solution.

― Kidnapper, proposa soudain Noa.

Simone leva la tête pour le regarder. Elle compta les cases, le mot rentrait. Elle le nota.

― Pas mal, lui accorda-t-elle.

Ils continuèrent un temps à jouer, Simone énonçant les définitions et le nombre de lettres, Noa proposant des solutions. Au bout d'un petit moment, Noa se racla la gorge, un peu de rouge lui monta aux joues, mais il poursuivit :

― Je suis désolé. Pour hier soir, tout ça... J'vais pas vous embêter, je vais aller en cours. Ce soir je bosse et ensuite... Ensuite, je rentrerai chez moi.

― Ecoute gamin. Je te dirai bien que ça me dérange pas, mais ce que j'ai vu hier soir crois-moi, ce n'est pas bien normal.

Noa avait rebaissé les yeux à présent, il tirait encore plus fort sur les manches de son tee-shirt. Simone sentait qu'il allait falloir jouer finement pour ne pas l'effrayer davantage. Elle lui proposa un marché.

― Je ne vais pas te garder contre ton gré. Tu pourrais rester ici une semaine déjà, le temps que je m'assure que tu vas bien, et ensuite tu rentreras chez toi, si tu en as envie.

Noa poussa un bruyant soupir, qui abaissa ses épaules. Il capitulait. Simone le savait, elle commençait à le connaître un peu. Simone se leva de sa chaise et tapa dans ses mains :

― Allez, c'est décidé. Maintenant file à la douche le temps que je prépare le déjeuner, tu ne dois pas être en retard au lycée. Tu as déjà manqué la matinée. Il y a des serviettes propres dans l'armoire du couloir.

Lorsque Noa ressortit de la salle de bains, il semblait se sentir mieux, il esquissa même un léger sourire à Simone. Celle-ci avait préparé un trousseau de clefs pendant qu'il se lavait et les lui tendit. C'étaient celles de son cher mari Georges. Avec le porte-clefs qu'ils avaient ramené de leur périple à Lourdes, une petite vierge Marie. Noa le prit et le mit dans sa poche en la remerciant.

Il aida Simone à mettre le couvert et ils mangèrent en silence, retrouvant leurs habitudes de leurs petits dîners du mardi. Au moment de partir, Noa se racla la gorge, il tenait un carnet dans sa main. Il se balançait d'un pied sur l'autre, mal à l'aise. Il finit par présenter sa requête.

― Vous pourriez me faire un mot pour ce matin ?

Simone le fixa avec de grands yeux, sans comprendre. Puis elle percuta. Il voulait qu'elle justifie son absence du matin auprès du lycée. Ça alors ! Dans un sens, cette demande l'amusa et elle s'y plia, rédigeant une note dans le carnet de correspondance. Noa lut brièvement ce qu'elle avait noté, la remercia et rangea le carnet dans son sac à dos. Il lui indiqua qu'il finissait tard le travail, peut être vers les minuits. Ensuite, il partit, assez rapidement comme s'il fuyait.

Après son départ, Simone débarrassa le déjeuner, remit un peu d'ordre dans sa pièce à vivre. Enfin, elle prit place dans son fauteuil et s'endormit comme une souche. Il faut dire que les émotions de la veille l'avaient épuisée !


*****

Alors, comment trouvez vous que notre Simone ait géré l'après crise?

Je poste aujourd'hui au lieu de dimanche, oui rythme de publication anarchique, il y aura un chapitre par semaine, mais quand?? Suivez les annonces!

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top