Le thé était servi, les pâtisseries posées sur la table de jeu, sauf qu'à l'inverse de d'habitude personne n'avait encore commencé à jouer aux cartes. Simone observait fébrilement la porte de fer de la salle communale, elle n'avait pu se résoudre à s'assoir, faisant les cent pas.
― Tu lui as bien remis le message ? demanda-t-elle à Gino pour la dixième fois peut être depuis qu'ils étaient arrivés.
― Mais oui, répéta Gino avec patience et douceur.
― Tu es sûr que c'était le bon gamin ?
Simone le fixait en triturant ses mains.
― Affirmatif Madame. Mèche dans les yeux, air perdu, mangeant un gâteau délicieux que j'aurai reconnu entre mille, soit dit en passant, et une main enturbannée. Y'en avait pas dix mille !
Simone se tourna alors vers Valentine, une petite dame âgée au visage pointu et au chignon de cheveux blancs tirés en arrière.
― Tu as bien les documents ?
Ce fut le moment où Madeleine prit Simone par les épaules pour la forcer à s'assoir.
― Bon, arrête de te mettre la rate au court bouillon, tu nous file le tournis. Thé ! ordonna-t-elle se tournant vers la plus proche de ses congénères.
Louise se précipita à petits pas vers la bouilloire et versa une grande tasse de Darjeeling, le préféré de Simone, elle ajouta quelques biscuits secs sur la soucoupe et amena le tout à cette dernière. Simone attrapa la tasse d'une main tremblante et la porta à ses lèvres pour en boire une gorgée. Elle sursauta vivement, manquant de s'ébouillanter, lorsque la porte de la salle s'ouvrit.
Isaia et Tristan venaient d'entrer à leur tour. Simone poussa un long soupir. Il y eut des embrassades et des présentations. Simone aurait pu jurer voir Louise se signer devant l'apparence tatouée de l'adolescente. Quelle Sainte Nitouche, celle-là, pensa Simone un brin irrité. Depuis qu'elle était arrivée cet après-midi à la salle, elle se sentait fébrile et angoissée.
Ses parents se retourneraient dans leurs tombes s'ils savaient. Elle faisait une entorse à toute son éducation (encore une fois !), se mêlant de la vie d'autrui, de ce qui ne la regardait pas, murmura sa conscience, qu'elle fit taire d'une gorgée de thé et de deux biscuits secs à la fois.
Isaia s'était assise à la table la plus proche et avait ouvert le porte document que Valentine avait emmené avec elle. Studieuse, elle prenait connaissance des informations qu'il contenait.
― Ah merde, dit-elle, il faut l'accord du responsable légal ?
― C'est même la condition sine qua none, indiqua Valentine.
― Mais !? C'est complètement débile ! Si le parent est défaillant justement et qu'il refuse de signer ?
Tristan, plutôt discret depuis leur arrivée, s'était penché par-dessus l'épaule de l'adolescente à ces mots. Isaia avait pris contact avec lui suite à la soirée fiasco de chez Sophie. Autour d'un café, ils avaient longuement parlé de Noa et de la situation avec sa mère. Tristan avait été choqué par les révélations de Noa avant qu'il ne perde connaissance, même si après coup, il admettait ne pas être si surpris que ça. Il avait eu comme une relecture de sa relation avec Noa. Il s'était repassé les moments ensemble, les soirées où Noa squattait chez lui, très nombreuses finalement, les sautes d'humeur de son ami, son acharnement à vouloir réussir en cours, les repas sautés à la cantine le midi... Oui, tout s'expliquait.
Tristan avait toujours un peu mal au ventre lorsqu'il repensait au baiser entre Sophie et Noa, mais le goût semblait à présent un peu différent. On ne pouvait pas réellement blâmer Noa, si ? D'autant plus que Sophie avait pris toute cette histoire à la rigolade, mettant l'acte sur l'effet de l'alcool. Noa aussi, mais bon... Noa, c'était Noa. Tristan avait peut-être encore une chance ? Isaia semblait avoir pardonné cette histoire, enfin, il ne savait pas trop, la jeune fille restait difficile à décrypter. Il se racla la gorge, et pointa une phrase sur le document :
― Et ensuite, il doit déposer le dossier au juge des tutelles, c'est ça ?
― Tout à fait, confirma Valentine qui avait travaillé de nombreuses années dans un grand cabinet d'avocat avant de prendre une retraite bien méritée. Je l'aiderai à monter son dossier. Si c'est ce qu'il souhaite bien entendu.
Ce fut le moment où la porte de fer de la salle communale s'ouvrit de nouveau en grinçant. Le concierge était censé mettre de l'huile depuis des mois, mais il en faisait le moins possible, bref les gonds restaient grippés. Noa apparut dans l'encadrement et resta un moment interdit devant le groupe formé devant lui. Il faut dire qu'ils étaient sacrément nombreux.
Il aperçut Simone, toujours assise sa tasse de thé à la main, elle lui adressa un sourire un peu coincé. Autour d'elle se massait une foule de petits vieux, ses adversaires aux cartes sûrement. Il haussa un sourcil, surpris en découvrant Tristan et Isaia, puis son regard se porta sur Gino. Il reconnut d'emblée le vieux papy du bus.
― Vous ? dit-il.
Gino remonta son vieux pantalon de velours côtelé et s'avança vers Noa en lui tendant la main, qu'il lui serra vivement :
― Gino, enchanté ! Nous n'avons pas vraiment eu le loisir de faire connaissance l'autre jour.
Noa s'approcha alors de Simone, qui se leva de son fauteuil. Noa avait oublié à quel point la vieille dame était petite, elle arrivait tout juste à son épaule. Elle fixait le sol. Noa la prit soudainement dans ses bras, elle paraissait si frêle. Il se recula d'un coup, gêné, recoiffa sa mèche de cheveux et reposa sa main bandée sur son ventre.
― Hum, bonjour Simone...
― Bonjour Noa, fit la vieille dame les joues à présent toutes rouges.
Isaia s'avança, puis Tristan, suivi de tous les retraités et chacun lui fait la bise, lui serra sa main valide. Noa ne comprenait plus rien. Toutes ces personnes de son entourage, qui n'étaient pas censées se connaître, était réunies ici. Puis Isaia ? La dernière fois qu'il l'avait vue, il s'était comporté comme le dernier des connards. Tout son cœur criait pardon, mais cela ne franchissait pas ses lèvres. Il croisa les yeux de la jeune fille et mit tout ce qu'il put dans son regard pour exprimer son ressentiment. Elle lui adressa un sourire et Noa se sentit soudain plus léger.
Simone se racla la gorge. Elle semblait avoir du mal à contenir son impatience. Noa reconnaissait l'air qu'elle arborait quand les choses n'allaient pas assez vite à son goût. Il s'interrogeait sur les raisons de cette petite réunion.
― Qu'est-ce que... ? demanda Noa.
― Oui, bon on commence, s'impatienta Simone. Valentine, les documents !
Cette dernière prit solennellement le dossier posé sur la table proche d'elle. Elle indiqua à Noa une chaise et l'invita à prendre place. Intrigué, Noa jetait des regards à la ronde, puis s'assit. Il prit le dossier devant lui et l'ouvrit. « Demande d'émancipation du jeune mineur », lut-il. Son cœur fit un bond dans sa poitrine.
― Tu n'es obligé à rien, indiqua Simone, soudain très mal à l'aise. C'est juste une option.
― Oui Noa, renchérit Valentine. Simone nous a informés de ta situation actuelle. Elle cherchait à te procurer une aide, si tu en souhaites une, bien entendu. Voilà, j'ai préparé ces documents, si tu souhaites en prendre connaissance. Ce n'est pas une décision qui se prend à la légère, il faut que ce soit mûrement réfléchi, et...
― Non, la coupa Noa. Non, c'est bon. Ne vous en faites pas. J'y ai déjà songé aussi.
Et, après un regard appuyé à Simone, il se plongea dans la lecture du dossier. Il régnait un silence de mort dans la salle, personne n'osait plus bouger. Isaia avait pris la main de Simone, ou bien l'inverse, qui pouvait le dire, et la broyait consciencieusement. Tristan ne disait rien. À plusieurs reprises, Noa posa des questions. Valentine l'informa, répondit patiemment. Madeleine se chargeait de distribuer du thé à tout le monde et Louise des petits gâteaux.
Lorsqu'il eut fini de lire, Noa referma le dossier tout doucement. Il posa une main dessus et poussa un long soupir.
― Je ne sais pas quoi dire...
― Alors ne dit rien gamin, fit Simone avec sa rudesse habituelle.
Noa eut un petit sourire, il leva alors les yeux vers elle et demanda :
― J'ai quand même une question... Je ne comprends pas... Pourquoi ne pas avoir glissé le message avec la part de gâteau au chocolat ? Ça n'aurait pas été plus simple ?
― Ah ! Je le savais, s'exclama Louise, c'était une idée de Madeleine.
― Hé, non, c'est moi qui l'aie suggéré, intervint Gino.
― Il faut brouiller les pistes, expliqua Madeleine, c'est comme les œufs. Ca ne doit pas être simple ! Pour pas retrouver les traces, tout ça... C'est comme ça dans l'inspecteur Clouseau.
― Qui ça ? demanda Noa complètement largué.
Simone se mit à rire, entrainant tout le monde avec elle. La vieille dame sentait toute la tension retomber. Noa était là, près d'elle. Il ne lui en voulait pas. Ses partenaires de cartes, ses amis, avaient été formidables, d'un soutien sans failles. Tout irait bien à présent, oui elle le sentait, tout irait bien. Gino expliqua :
― Inspecteur Clouseau, tu ne connais pas petit ? Il est Inspecteur de police à la Sûreté Française, il déjoue les complots ! Oui, bon, on s'ennuyait un peu à vrai dire, on a voulu pimenter un peu...
― Vous êtes un vrai James Bond, lui affirma Noa.
Il sentait lui aussi un sentiment diffus l'envahir, il ne savait pas le reconnaitre. Peut-être ne l'avait-il jamais ressenti ? Quelque chose comme de la sécurité, de la confiance, il n'aurait su dire. Il s'approcha de Simone alors que les autres personnes commençaient à se disperser et pour certains, distribuer les cartes pour débuter une partie.
― Merci...
― Bon allez, c'est bon, on ne va pas en faire tout un fromage.
Noa sourit. Il reconnaissait bien là la vieille dame. Il ne savait pas trop où tout ça le mènerait, sa vie semblait faite pour être compliquée, mais à présent il n'était plus seul, toute la différence se tenait là. Simone s'éloigna vite pour s'installer elle aussi à une table de jeu. Il tapa sur l'épaule de Tristan :
― Je.. Désolé mec. Je suis vraiment un gros nul.
― Ouais. Parfois. Pas toujours... Mais là, ouais.
― Pour ce que ça vaut, Sophie s'en fiche pas mal de moi. C'était juste, comme ça, pour de mauvaises raisons.
― Je sais. Je sais ca maintenant.
Tristan lui tendit son poing, que Noa cogna contre le sien.
― Sans rancunes ?
― Sans rancunes, admit Tristan. Par contre, tu refais ca une fois, je te pète ta gueule d'ange c'est clair ?
― Oh non, intervint Isaia, c'est moi qui m'en chargerait.
La jeune fille avait les poings sur les hanches. Ses yeux lançaient des éclairs. Elle avait beau avoir une toute petite carrure, là dans sa robe longue trop large pour elle, elle n'en restait pas moins impressionnante. Noa s'approcha d'elle et doucement, il attrapa une des mains crispées de la jeune fille pour l'amener à lui.
― Sais-tu pardonner les gros cons à gueule d'ange ? demanda-t-il.
― Seulement s'ils font pénitence une vie entière.
― Ouch, c'est dur, dit Noa, mais mérité. Je te demande pardon Isaia.
Leurs yeux se mêlaient, Noa savait qu'il avait déjà obtenu son pardon plus tôt, dans leurs échanges de regards, malgré cela son cœur battait à tout rompre. Il se pencha vers les lèvres de la jeune fille.
― Ah non ! s'exclama-t-elle, un baiser volé, ça ne marche qu'une fois.
Noa se recula et lâcha ses mains, triste et résigné.
― Cette fois, c'est moi qui t'embrasse.
Elle se mit sur lapointes des pieds et, enroulant ses bras contre son cou, lui roula une pelledigne d'un film romantique. Les retraités se mirent tous à applaudir, et Noa etIsaia prolongèrent leur baiser sous les acclamations.
*****
Voilà pour le chapitre de la semaine, honnêtement je ne suis pas sûre de moi du tout là dessus, ca manque clairement de relecture, bref je pose ca là comme ca, n'hésitez pas à commenter!
Cette histoire touche à sa fin. Je ne sais pas encore si il y aura un chapitre intermédiaire ou si je balance mon épilogue direct derrière, l'avenir nous le dira!
Bises
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