Fossé générationnel
Noa se pencha pour ramasser la dernière assiette qui restait au milieu de la table, il la déposa dans l'évier et récupéra l'éponge afin d'essuyer la table. Simone avait encore cuisiné pour quinze, bien qu'ils ne soient que deux et il avait l'estomac bien rempli, se sentant somnolent. Le jeune avait passé sa matinée à réviser pour les épreuves du baccalauréat qui approchait à grand pas.
Simone alluma l'écran noir devant elle à l'aide de sa télécommande usée, de ses doigts de moins en moins agiles, elle appuya sur différents boutons afin de trouver son programme, et Noa s'installa près d'elle sur le canapé. Alors qu'elle tentait de donner les réponses de son jeu à voix haute, Noa attrapa son téléphone portable et commença à tapoter l'écran. La vieille dame lui jeta un coup d'œil en biais.
Si on avait dit à Simone qu'arrivée à presque quatre-vingt ans, elle se poserait des questions d'éducation, elle n'en aurait pas cru une miette ! La retraitée et l'adolescent avaient plus ou moins trouvé un rythme de croisière dans leur étrange colocation. Simone appréciait la présence tranquille de Noa chez elle, avoir de nouveau un but à sa vie, une raison de se lever le matin. Que c'était agréable de converser avec une autre personne que son poste de télévision !
Il n'en demeurait pas moins quelques incompréhensions, un fossé générationnel parfois. Le gamin, par exemple, se levait à ses heures plus que tardives ! Si l'avenir appartenait à ceux qui se lèvent tôt, alors disons que c'était mal barré pour Noa. Il émergeait de sa chambre, des fois vers midi. Cela aurait même pu être plus tard encore si Simone n'y mettait pas son grain de sel, à faire du remue-ménage pour le réveiller, dès son retour du marché. L'immeuble aurait pu s'écrouler que l'adolescent n'aurait pas bougé d'un poil.
Une autre chose agaçait Simone au plus haut point. Le gamin pouvait passer des heures les yeux rivés sur son téléphone portable. Oh, il ne faisait rien de mal, il restait prostré sur le canapé, le cou complètement tordu et cela faisait enrager Simone. Parfois, il avait même un casque vissé sur les oreilles, totalement coupé du monde. L'émission de Simone était terminée depuis un moment que Noa n'avait pas bougé.
― Dis-moi ? Tu n'as rien de mieux à faire ? Allez hop, éteins-moi ça et va vider les ordures, lui intima-t-elle.
Noa se leva pour obtempérer, elle le suivit des yeux alors qu'il récupérait le sac poubelle et se dirigeait vers la porte. Après, il n'était pas bien embêtant. La plupart du temps, il se faisait discret, Simone avait le sentiment qu'il tentait de faire oublier sa présence. Il disait oui à tout ce qu'elle demandait, elle entendait rarement le son de sa voix.
Par moments, elle avait remarqué ses sautes d'humeur. Ce n'était pas violent, mais Noa alternait souvent entre une humeur très maussade ou au contraire une étrange euphorie. Simone n'aurait su dire si c'était normal ou non, après tout son adolescence remontait à quelques temps à présent, puis on ne se posait pas tant de questions à l'époque.
Simone se remémora ses seize ans. Ses parents l'autorisaient à aller au bal du village et même ceux alentours parfois. Elle s'y rendait avec ses amies, elles prenaient leurs bicyclettes et pédalaient sur les petites routes bordées de champs. Elle se souvint de se sentir grisée, par la vitesse du deux roues et l'excitation de la soirée à venir. Pour se farder, elles utilisaient un peu de farine sur leur visage, mordaient leurs lèvres et pinçaient leurs joues. A l'époque, Simone avait des vues sur un certain Pierre. Elle sourit à son souvenir. C'était un jeune homme de son âge, il avait une stature élégante, ses cheveux toujours bien peignés. Elle espérait toujours qu'il lui offre une danse.
Simone aimait la valse mais, ce qu'elle adorait par-dessus tout était le fox trot. L'ambiance des bals étaient toujours très festives, il y avait un orchestre vivant, la musique était chouette. Ça swinguait, on savait s'amuser à l'époque !
C'était bien avant qu'elle rencontre Georges, après elle n'avait eu de yeux que pour lui. Il avait demandé sa main à son père, débarquant dans le magasin parental un samedi, tout endimanché. Par une chaude journée d'été, elle lui avait offert son premier baiser. Et bien des années plus tard, son dernier. Comme il lui manquait ! Chaque jour, elle sentait son absence. Elle avait eu la chance de connaître le grand amour, celui qui, après quarante ans de mariage, vous fait sourire dans le noir lorsqu'il vient s'allonger à vos côtés dans le lit.
Leur vie avait été paisible, oui. Juste entachée par un immense manque. Simone revivait l'interminable attente pour fonder une famille. Oh, comme elle l'avait attendu cet enfant, celui qui ferait d'elle et Georges, des parents. Il y avait eu des fausses couches, plusieurs même, dont une très tardive qui avait anéanti son cœur, cela n'avait plus été vraiment pareil ensuite. Elle avait observé le ventre de ses sœurs, de ses amies s'arrondir quand le sien demeurait plat et sans vie. Elle s'en était longtemps voulu, de ne pas être capable de porter un enfant. Puis un jour, Georges, qui parlait peu, lui avait dit qu'elle était sa famille, avec ou sans enfant et si elle acceptait de vieillir avec lui et uniquement lui, il serait déjà le plus heureux des hommes. Par ses mots, il avait su apaiser sa souffrance.
La porte claqua derrière elle, la faisant sursauter. Noa revenait de sa mission poubelle. Simone perçut dans son regard le flou des mauvais jours. Cela ne la rassurait pas tellement, un frisson la prit au souvenir dérangeant du rasoir, encore bien présent à son esprit. Elle se sentait impuissante à son mal être. Ils n'avaient pas rediscuté de l'incident qui avait précipité leur cohabitation. Simone ne savait pas si elle devait, ni comment aborder le sujet, alors elle faisait comme on lui avait enseigné dans son enfance : elle n'en parlait pas. Enfin, avec Noa sous son toit, elle pouvait au moins s'assurer qu'il n'allait pas s'ouvrir les veines de nouveau.
Noa s'était rassis dans le canapé et avait repris son portable en main. Simone, elle, attrapa sa canne et son sac à main.
― Je pars jouer aux cartes, lui dit-elle.
Oh oui, qu'il était agréable de savoir qu'il y aurait quelqu'un chez elle lorsqu'elle rentrerait. Malgré toutes les inquiétudes que cela engendrait. Une petite voix au fond d'elle lui intimait de ne pas s'attacher, qu'elle jouait un jeu dangereux, elle n'était pas la mère du gamin, loin de là. Que ça pouvait être rébarbatif, la voix de la conscience...
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Voilà pour le petit chapitre du jour, ils sont assez courts en ce moment ^^. Désolée de mon manque de régularité, quoiqu'il en soit, sachez que même si cela prend du temps, cette histoire sera terminée et postée, j'ai tout mon plan en tête! bisous à vous et je vous souhaite le plus doux des étés possibles malgré les circonstances...
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