Epilogue


Un homme au pardessus beige sortit du bus. Il avait sauté du marche pied d'une démarche souple et élégante. Tout dans son apparence transpirait une confiance en la vie. Peut-être était-ce dû à ce sourire subtil qui relevait les coins de sa bouche ou à l'éclat pétillant de ses yeux noirs ? Il était jeune encore, toutefois quelques petites rides au coin des yeux trahissaient la proche arrivée de ses quarante ans.

Il prit un instant devant la grille. Il leva les yeux, enfonça ses mains dans les poches et respira l'air frais de cette journée d'hiver. Il avait sous son bras un petit bouquet enveloppé de papier. Puis, d'un pas décidé, il poussa le portail de fer donnant l'accès au cimetière. Il ne venait pas souvent et pourtant, il connaissait chaque allée. Il suivit la principale, aux graviers qui crissaient sous ses pas et, du regard lisait les inscriptions sur les tombes de chaque côté. Puis il la vit. La tombe de « Robert Dufond ». Il tourna à droite, puis à la toute petite sépulture de « Madeleine Fournait », fauchée à l'âge où l'on débute à peine sa vie, il prit à gauche. C'était là.

À côté du visage bienveillant d'un homme qu'il n'avait jamais connu, avait été ajouté un petit médaillon. Une vieille dame au visage acariâtre, mais au regard si perçant qu'elle semblait vous mettre à nu, apparaissait dans une photo, à présent un peu fanée.

― Salut Simone, murmura Noa.

Il n'était pas triste, au contraire, un sentiment de reconnaissance et de joie enflait dans son cœur. Il s'agenouilla pour arracher quelques mauvaises herbes. Il entendait presque les remontrances de Simone depuis l'au-delà, s'il avait laissé ce pissenlit planté là. Il attrapa un petit vase de grès vert et le vida des précédentes tiges fanées. Il entreprit alors de déballer son petit bouquet de pivoines blanches et l'arrangea tant bien que mal dans le récipient. Il reposa le vase sur le marbre et recula pour regarder l'effet.

― Ça devrait te plaire, dit Noa. Ca devrait vous plaire, corrigea-t-il.

Simone n'aurait pu être mieux qu'à présent, allongée près de l'homme qu'elle avait aimé, leurs deux âmes unies par-delà la mort.

Simone avait quitté ce monde il y a une dizaine d'années déjà, mais pour Noa, elle serait toujours présente. Elle faisait partie de lui, de sa vie, de l'homme qu'il était devenu. Oui, tout avait commencé un jeudi, devant les boites aux lettres d'un vieil immeuble, et devant une soupe de légumes chaude. Noa ne pourrait jamais oublier le tournant qu'avait pris sa vie, grâce à la générosité et la bienveillance d'une vieille dame pétrie de solitude, au moins autant en manque d'amour que lui.

Son regard se perdit au-delà des tombes, il avait de nouveau dix-sept ans. Les évènements s'étaient enchaînés suite à sa demande d'émancipation. Il ne pouvait dire si sa mère avait bien accueilli la nouvelle à l'époque, mais elle avait signé les papiers, les libérant l'un et l'autre d'une situation lourde et étouffante. Elle avait disparu de sa vie, comme à son habitude. Ils se revoyaient de temps à autre, elle était devenue une meilleure grand-mère pour sa petite fille qu'une mère pour Noa. Leur relation demeurait bancale, bien que maintenant apaisée. Noa ne lui en tenait pas rigueur, jamais.

Noa était reparti vivre chez Simone, du moins jusqu'à la fin de son année de terminale. Cela avait été une année douce et réparatrice, Noa avait grandi cette année-là. Dans son souvenir, il savourait chaque minute d'insouciance qui lui avait été accordée, pour enfin être un enfant, puis un adolescent plein de vie. Il sourit au souvenir de ses amis, Tristan, Adam, leur bande de copains. Puis Isaia, son premier amour, la douceur de sa peau et de ses baisers. Jamais elle n'avait porté de jugement sur lui, il ne l'en avait aimé que plus. La vie les avait ensuite séparés, Noa voyait de temps à autre des nouvelles sur son fil d'actualité des réseaux sociaux.

Grâce à sa mention très bien obtenue au bac, Noa avait pu recevoir une bourse pour ses études secondaires, qu'il avait suivies dans la grande ville la plus proche, il avait ensuite voyagé en Europe et en Asie, se découvrant lui-même au travers des cultures étrangères.

Ses pensées se perdirent encore plus loin, le jour d'une chute dans un couloir et d'un bas à découper. Saurait-t-il jamais si cela avait déclenché sa vocation ? Noa était devenu infirmier. Il aimait son métier, s'occuper de ses patients, leur apporter un peu de chaleur en même temps que les soins. Quelle ironie qu'il ait choisi justement ce métier, qu'il avait si longtemps attribué à la mère fantasmée et bienveillante qu'il s'était créé dans son imaginaire.

L'homme qu'il était à présent devenu s'agenouilla devant la pierre tombale. Du plat de sa main, il caressa la froideur du marbre. Il y a dix ans, alors que Simone poussait son dernier souffle, Noa avait découvert avec stupeur qu'elle lui avait tout légué. Son appartement, son compte en banque, même un petit terrain boisé non constructible où Noa aimait aller se promener. Il se souvint, non sans émotion, avoir vu Simone vieillir, jour après jour. Il avait été témoin de ce long voyage vers la fin. Elle avait tour à tour perdu ses amis et sa vitalité. Elle était devenue une dame frêle, conservant toutefois son foutu caractère. Elle était sortie de moins en moins, jusqu'au dernier jour, où elle s'était éteinte dans son fauteuil usé.

Une larme perla au coin de son œil, ce n'était pas de la tristesse. Plutôt de la gratitude. Noa et Simone s'étaient trouvés, dans leur solitude, ils s'étaient mutuellement réparés et offert une famille. Son seul regret était que Simone n'ait pas pu rencontrer sa fille. Noa éprouvait une telle joie auprès de la famille qu'il s'était créée. Tout ça, c'était en partie grâce à la vieille dame.

― Tu la verrais, murmura Noa au marbre froid, une vraie crapule ! Elle te ferait tourner en bourrique c'est certain. Tu sais, que pas plus tard qu'hier, elle fait la recette de ta tarte aux pommes, tu sais, celle de ton vieux cahier rouge. À même pas sept ans ! Elle a ajouté quelques tâches aux tiennes sur les pages. Je suis sûr qu'elle va aussi devenir une bonne pâtissière. À chaque fois, rien qu'à l'odeur chaude des pommes, je repars des années en arrière...

Noa gardait de ses jeunes années chez Simone de vieilles expressions désuètes dans son vocabulaire, ce qui ne manquait jamais de faire sourire sa femme d'ailleurs. Il chérissait dans sa mémoire tous les repas pris ensemble, ces moments de silence après avoir délicieusement mangé. Que reste-il des personnes lorsqu'elles nous quittent, si ce n'est les souvenirs partagés ? Il caressa encore lentement du bout des doigts la pierre tombale, eut un sourire en observant une dernière fois les photos dans les médaillons, puis, doucement, se releva.

Il remit ses mains dans les poches de son pardessus beige, sa femme et sa fille l'attendaient pour manger. Après un dernier coup d'œil par-dessus son épaule, il prononça à voix mi haute :

― À bientôt !

Puis, d'un pas plus allègre, Noa prit le chemin de la sortie, le soleil hivernal baignant son visage de lumière. La grille émit un fort grincement lorsqu'il franchit l'issue du cimetière. Il ne s'assit pas à l'arrêt de bus, non, il resta bien droit à fixer un point vers l'horizon. Il sauta plus qu'il ne monta dans le véhicule. La vie n'attendait pas, et il avait hâte de la poursuivre.



FIN






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J'espère que vous aurez aimé cette histoire autant que moi! J'ai vraiment galéré, me décourageant souvent, postant mes chapitres sur le fil, sans aucun filet de sécurité, j'ai posté les 6 derniers chapitres sans avoir écrit le suivant, ce qui m'a forcée à écrire vite parfois... Mais je suis assez contente du résultat finalement, j'ai aimé mes personnages et surtout vous les partager!

J'ai déjà une autre histoire en tête, que j'avais commencée à écrire, mais je vais me laisser plus de temps cette fois ^^

Merci à tous mes lecteurs, ceux qui m'ont lu à peine un chapitre était posté, ceux qui ont mis des petites étoiles, des commentaires magiques qui m'ont fait vibrer! Merci à vous tous!!

A très bientôt!

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