Douceur de vivre


― Bon, allez je vais rentrer, annonça Simone.

Ses compères de cartes la regardèrent étrangement. Cela faisait à peine une heure tout au plus que la partie de belote avait commencé.

― Déjà ? demanda Gino.

― Tu n'es pas malade au moins ? s'inquiéta Louise.

Simone ramassait déjà son assiette de petits gâteaux. Elle était vide, elle ne restait jamais bien longtemps remplie, ceci dit. Elle recula sa chaise dans un fracas, remis son gilet de flanelle gris. Elle se frotta les poignets pour soulager ses rhumatismes.

― Mais non ! Qu'allez-vous encore chercher là ? J'ai des choses à faire, voilà tout !

― Des choses à faire ?

Tous la regardaient comme si elle perdait la raison. En même temps, elle était toujours la première à se plaindre des journées interminables, de la vieillesse qui s'étend telle la file d'attente du supermarché un samedi après-midi. Et la voilà qui quittait une partie à peine commencée ? D'autant plus qu'elle perdait, elle n'aurait jamais pris le risque de partir avant d'avoir pris sa revanche. Il en allait de sa vie d'habitude !

Ses amis s'échangeaient des regards, s'exhortant muettement à parler. Ce fut Gino qui se lança, réajustant d'abord ses lunettes sur son nez.

― Tu as des soucis Simone ? Tu peux nous les confier...

Simone s'arrêta de ranger ses affaires pour leur faire face. Gino avec ses lunettes et son pantalon toujours trop remonté, Louise et son air hébété, Madeleine les cartes toujours à la main. Elle ne comprenait pas où ils voulaient en venir. Des soucis, mais quels soucis ? C'était plutôt eux qui perdaient la boule, si vous vouliez son avis !

Elle continua de rassembler ses affaires avant de se saisir de sa canne. Ils commençaient à lui pomper l'air avec leurs questions. Tout allait très bien, elle ne voyait pas pourquoi ils se mettaient dans tous leurs états pour une partie de cartes avortée. Elle avait assez joué pour aujourd'hui. Le gamin avait laissé entendre qu'il aimait le rôti de porc et elle avait envie d'en cuisiner un ce soir.

― Ah si tiens, vous pouvez m'aider, leur dit-elle.

Les trois retraités affichèrent un sourire soulagé. Quoi que leur dise Simone, bien sûr qu'ils allaient trouver une solution ! On se serre les coudes entre joueurs de belote, la solidarité à la vie, à la mort. Si elle avait un problème, ensemble ils sauraient le résoudre. C'est donc toute ouïe, qu'ils se penchèrent en avant pour écouter la requête :

― Quel accompagnement mettriez-vous avec un rôti de porc ?

Le silence fut tel qu'on aurait entendu une mouche voler.

― Pas d'idée ? dit Simone, dommage...

Et sur ces mots, elle quitta la pièce, non sans avoir crié à haute voix « A la semaine prochaine ! ». Gino, Louise et Madeleine se regardèrent interloqués, sans savoir que penser de l'étrange comportement de leur amie.

Simone s'en alla gaiement, elle flânait dans les rues, l'esprit toujours concentré sur son plat du soir. Des patates peut-être ? Ah oui, des rattes iraient très bien avec. Ces petites pommes de terre très goûtues avaient toujours un franc succès. Et une salade verte ! Allez hop, ce fut décidé.

Elle prit plaisir à choisir ses ingrédients chez le primeur, puis chez le boucher. C'est toute guillerette que Simone arriva chez elle, son sac cabas bien rempli. Elle posa ses victuailles sur la table de la cuisine. Elle entendait du bruit en provenance du salon, le gamin, était déjà rentré, un sourire monta à ses lèvres ridées. Elle passa la tête par l'entrebâillement pour voir Noa assis par terre.

Entre ses jambes, un chaton roux aux poils tout hirsutes jouait avec une fourchette. Noa leva les yeux vers Simone, un grand sourire lui barrait le visage, ses yeux brillaient.

― Il était devant la fenêtre du salon à miauler quand je suis arrivé. Il est trop mignon pas vrai ?

Simone ne répondit pas, elle observait la scène, jamais elle n'avait vu tant de joie dans les yeux du petit. Noa continua :

― Je lui ai donné du lait, il était affamé le pauvre !

― Oui, oui, tu as bien fait.

Le petit chat mit un coup de patte dans la fourchette qui glissa plus loin dans un bruit. Apeuré, il alla se cacher sous le canapé. Noa se leva et tout doucement, passa sa main sous le meuble. Il l'attrapa l'animal précautionneusement avant de le serrer contre son cœur. Tout en le caressant, il lui chuchotait des petits mots pour le calmer à l'oreille. Simone ne sut pourquoi mais cela la toucha. Dans un endroit de son cœur qui n'avait pas vibré depuis longtemps.

― On peut le garder Simone ? S'il vous plaît ?

C'était bien la première fois que Noa lui demandait quelque chose et même si elle l'avait voulu, elle n'aurait pas eu le cœur de refuser.

― Il n'a pas de famille, personne pour s'occuper de lui. Il veut juste un peu d'amour, hein mon beau ?

Noa s'adressait au chat plus qu'à la vieille dame.

― Et comment vas-tu l'appeler ? demanda Simone, scellant ainsi de ses mots le destin du félin.

Le jeune homme réfléchit un instant avant d'annoncer :

― Fourchette !

C'est ainsi que Fourchette vient rejoindre sa nouvelle famille. Ah, comme ils étaient bien tous ensemble ! Le chaton dormait sur la courtepointe aux pieds de Noa, il était le catalyseur de nouvelles conversations entre Noa et Simone, leur lien quand le soir tombé, il passait d'un genou à l'autre pour quémander des caresses, le déclencheur de marques d'affection. Il jouait avec le stylo des mots croisés de la vieille dame, avec les feuilles d'exercices de Noa lorsqu'il révisait pour le bac.

Oh oui, faite de bons petits plats et deronronnements, la vie pouvait être si douce parfois...



******

Je ne sais pas pourquoi les chatons ont une fâcheuse tendance à s'immiscer dans mes histoires? Merci à ceux qui me lisent encore, faites du bruit, besoin de vous! J'ai enfin passé mon blocage et recommencé à écrire, ouf, quel soulagement!

Encore, un tout petit chapitre ici, le prochain sera bien plus long!

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