Chapitre 27
Simone resservit une large part de tarte à Noa. Elle sortait du four il y a peu et embaumait toute la cuisine. Elle essuya ses mains noueuses sur son tablier.
― Mange, c'est important ! assena-t-elle comme une vérité indiscutable.
Noa avait la bouche pleine et acquiesça, de toute manière, avait-il déjà essayé de contredire la vieille dame ? Il avala, mais une boule se forma dans sa gorge. Il essuya ses lèvres avec la petite serviette brodée à son nom et la reposa à côté du rond de serviette de bois. Il repoussa d'une main son assiette. Son autre main était depuis hier libérée de son bandage. Les points de suture avaient été retirés et laissé place à une cicatrice toute neuve et rouge.
― Je ne peux plus, il faudrait pas que je vomisse sur l'examinateur...
Ce disant, il tira avec nervosité sur ses manches. C'était plus par habitude, il n'acceptait pas d'exposer à tous les stigmates de ses scarifications, même si il ne ressentait plus le besoin à présent de se mutiler. Beaucoup de choses s'étaient passées depuis ces derniers jours. Il attrapa par le ventre le petit chat qui passait près de lui et blottit son nez dans sa douce fourrure.
― Miaou, fit Fourchette.
― Emporte en une part, insista Simone.
Elle s'était levée pour emballer un morceau de tarte dans du papier aluminium. Elle s'arrêta et observa un instant le spectacle devant ses yeux. Un adolescent à la mèche de cheveux lui tombant devant les yeux, occupé à gratouiller le chaton derrière ses oreilles. Son cœur fondait.
― Allez, dit-elle, file, il ne faudrait pas que tu sois en retard à ton oral de français.
Oui, il s'en était passé depuis cette fameuse rencontre dans la salle communale. Noa avait pris son courage à deux mains et contacté le numéro sur le formulaire de prévention suicide de l'hôpital. Son cœur avait battu à tout rompre. La personne au téléphone avait été d'une extrême gentillesse. Il avait pu poser des mots sur son mal être, son envie d'en finir parfois. L'admettre à voix haute l'avait secoué, mais également aidé. Il avait bénéficié d'une écoute, il s'était senti considéré, il avait vu une porte de sortie dans la noirceur de sa vie. Bien sûr tous ses soucis ne disparaîtraient pas comme par magie. N'est pas Harry Potter qui veut... Il faudrait du temps, beaucoup de temps. Et d'autres rendez-vous, sans aucun doute.
Et puis il y avait Simone. Sa présence signifiait tout. Jamais personne n'avait fait ce qu'avait entreprit la vieille dame pour Noa. Depuis le fameux mardi, cent fois il avait relu le dossier d'émancipation. L'idée avait pris racine un peu plus. Il n'avait pas menti, souvent dans sa solitude extrême, il avait voulu en finir, couper tous les liens avec cette mère néfaste qu'il aimait malgré lui. Toujours, il avait eu peur. Comment survivre seul dans ce monde ? Simone avait été l'élément déclencheur, la certitude qu'il serait épaulé et soutenu.
Il avait contacté Valentine, l'amie de Simone et ensemble, ils avaient rassemblé des documents. Isaia et Tristan l'avaient accompagné à chaque fois. Noa se leva et attrapa le petit paquet d'aluminium préparé par Simone qu'il glissa dans son sac. Ce matin, avant de descendre prendre son petit déjeuner au rez- de- chaussée, dans l'appartement qu'il considérait plus comme chez lui que son propre appartement, il avait fait quelque chose de dingue.
Il avait regardé sa mère dans les yeux, longuement, sans baisser le regard. Elle était assise dans la cuisine sombre, sa tasse de café dans les mains, ses longs cheveux noirs défaits sur ses épaules. Puis, il avait posé le dossier d'émancipation sur la table. Sa main tremblait mais son intention était sûre.
― Tu signeras, avait-il dit. C'est mieux pour nous deux.
Elle avait lu l'intitulé. Le silence était à couper au couteau. Elle n'avait pas fait de scène, n'avait pas spécialement réagi. Leurs yeux s'étaient dit bien plus en quelques instants que les dix-sept dernières années. Il y avait de la honte, de la colère, du ressentiment puis une forme de résignation, de l'acceptation, peut-être un peu d'amour quand même ? Puis, doucement, il avait ramassé son sac, et sans un regard en arrière, il était sorti de l'appartement.
Simone le tapota sur le bras, le ramenant à l'instant présent.
― Oh, gamin, arrête de rêvasser, bon dieu. Tu vas être en retard ! Ne crois pas que je vais te faire un mot cette fois !
Noa sourit et se pencha pour embrasser la joue ridée et douce de Simone. Il réajusta la bandoulière de son sac sur son épaule. Il se retourna vers elle.
― Je viens bien manger ce soir ?
Les deux se passaient à présent de l'accord de la mère de Noa. Ils avaient repris leurs petits rituels.
― Ben bien sûr ! Tu ne crois pas quand même que je vais passer l'après-midi à cuisiner pour que tu me laisses en plan ? Quelle ingratitude les jeunes de nos jours...
Dans sa tête elle avait tout prévu, le menu de l'entrée, une belle salade de tomates de saison agrémentée de feuilles de basilic fraiches du jardin de Madeleine, la plat de résistance, un rôti de veau et ses petits légumes cuits dans leur jus, puis un flan à la vanille en dessert. Elle se réjouissait d'avance d'aller faire ses emplettes au marché, imaginant Noa en plein oral de baccalauréat.
Elle anticipait déjà son retour, le récit qu'il lui ferait. Aurait-il oublié de mentionner tel auteur, une date, une référence ? Serait-il au contraire fier de sa prestation ? Ils mettraient le jeu télévisé en fond sonore, Simone donnerait les mauvaises réponses, Noa la reprendrait, elle râlerait et ils riraient. Ils donneraient le gras de viande à Fourchette, elle avait même prévu une petite bouteille de mousseux pour fêter la fin des examens !
Bien sûr, Noa avait prévu de sortir avec ses amis ensuite, mais il avait consacré un temps particulier pour tous ces instants insignifiants et précieux avec elle, que demander de plus ? Elle toucha sa joue où il avait déposé un baiser un instant plus tôt. Il avait laissé la porte d'entrée entrouverte.
― Et ne ferme pas la porte correctement surtout !
À petits pas, elle se dirigea vers la porte d'entrée mal fermée, elle vit la silhouette dégingandée de l'adolescent disparaitre au coin de couloir et elle ferma la porte. Elle porta la main à la petite croix autour de son cou. Elle souriait.
*******
Et voilà, le dernier chapitre de cette histoire est posé...
RDV la semaine prochaine pour l'épilogue, j'espère que vous avez aimé l'histoire de Simone et Noa autant que moi. Merci de votre lecture, commentaires et encouragements qui m'ont portée!
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