CHAPITRE 4

Plop ! C'est parti pour le chapitre 4, un peu plus zen et contemplatif que les précédents :D J'espère qu'il vous plaira ! Bonne lecture !

CHAPITRE 4

Théo mit enfin les pieds à Castelblanc un mois plus tard. Officiellement guéri physiquement, si ce n'était que sa boiterie, Victoria avait jugé important qu'il regagne la ville au plus vite pour aider à l'état des lieux. Il avait pris la route avec la première unité au départ de Fort Tigre, mais commençait déjà à regretter d'être parti aussi tôt. 

Le nouveau cheval qu'on lui avait offert au titre gracieux de la Lumière ne lui convenait pas. Ce n'était pas de la faute de l'animal, docile et bien dressé, mais il rejetait tout simplement sa présence, comme un sacrilège à sa compagne tombée au combat. De plus, c'était un étalon, et il n'avait pas franchement l'habitude de gérer une monture aussi imposante, surtout après plus de trois mois sans pratique. Le deuxième problème, ce fut la présence trop présente de ses compagnons de route. Il était le plus expérimenté d'eux tous et ils ne cessaient de le déranger pour des indications futiles, ou pour essayer de lui soutirer des informations sur ses voyages. Il perdit vite patience et un éclat de colère dans sa voix suffit à tous les faire déguerpir loin devant. Lui avançait à l'écart, mal à l'aise dans le groupe de soldats.

Après une courte nuit et la disparition de toute civilisation, il commença à se détendre légèrement. Le vent lui faisait du bien, et cette pseudo-libertée retrouvée le rassura. Il lui rappelait des souvenirs plus heureux, du temps où les aventuriers étaient des parias de la société et arpentaient les routes en se moquant du monde. Tout avait bien trop changé. Les rares groupes d'aventuriers qu'ils croisèrent en route n'étaient pas souriants. Les temps étaient durs pour eux : moins d'argent à se faire, moins de ressources, moins de personnes pour leur ouvrir la porte. Théo avait aussi connu ça à une époque et ne put s'empêcher d'être empathique. Il laissa même discrètement tomber une partie de sa bourse aux pieds d'un demi-élémentaire de forêt à la tenue craquée et à son compagnon nain si maigre qu'ils lui firent mal au cœur. 

Malheureusement, ce semblant de liberté ne dura qu'une petite fraction d'heures. Déjà, on lui remettait une laisse. L'ombre imposante de Castelblanc apparaissait déjà au loin et il savait qu'il ne pourrait pas quitter la ville avant longtemps sans raison valable. Certes, l'hiver approchait et en temps normal, il serait quand même resté avec ses compagnons. Mais toute idée d'enfermement le terrifiait aujourd'hui. Il garda malgré tout son sang froid et reprit la tête des opérations pour se changer l'esprit, surprenant ses compagnons de route débraillés qui se remirent en rangs serrés sur ses ordres. Cependant, le spectacle qui s'offrit à lui suffit à lui faire perdre toute confiance.

L'entrée de la ville était bordée de petits villages où Théo aimait se perdre plus jeune. Viktor y faisait régulièrement ses courses et lui échappait rapidement à sa vigilance. Il employait toutes ses connaissances en chasse pour l'éviter et faisait tourner le vieil homme en bourrique pendant plusieurs heures, jusqu'à ce qu'il perde patience et demande à la garde de le récupérer. Aujourd'hui, il ne restait plus rien des étals de fruits et légumes, des habitations aux toits colorés et des tentes des marchands. Tout avait été brûlé ou détruit. Les rares survivants agitaient faiblement leurs marchandises aux passants dans l'espoir d'avoir assez d'or pour manger ce jour-là. C'était aussi ici qu'il avait rencontré Mani, menaçant de se faire couper une main après avoir essayé de voler un haut-gradé de l'église. L'elfe lui manquait un peu et il n'avait pas reçu de ses nouvelles depuis trois semaines, ce qui l'inquiétait. Menki Dal se trouvait déjà dans la ville, le cœur brisé, et elle ne se remettait pas du départ précipité de son ami. Même si elle avait pardonné à Théo, qui avait fini par trouver une amie dans la jeune femme, il savait qu'elle allait mal et s'inquiétait sans cesse.

Elle n'était pas la seule. Lui avait cessé de répondre aux lettres de Grunlek depuis fort longtemps. Elles s'accumulaient dans son sac sans qu'il n'ose les ouvrir. Le nain savait très bien qu'il n'allait pas bien et avait essayé par plusieurs moyens de l'encourager à se livrer. Malheureusement, il avait fini par adresser une lettre à Victoria, désespéré, qui s'était empressée de tout lui dire sur son état et lui passer un savon pour l'avoir inquiété à ce point. C'est sûr que savoir qu'il avait tenté de tuer Mani et qu'il perdait la tête allait le rassurer. Parfois, la logique de sa sœur lui échappait. Heureusement, il était parti peu de temps après ça. 

Le passage du pont-levis fut complexe. Les chevaux devaient éviter les nombreux poteaux de métal qui le maintenaient encore debout. Les villageois d'ordinaire nombreux passaient en nombre restreint, leur bœufs et ânes tirés derrière eux. Théo fut immédiatement marqué par la catastrophe qui se présentait peu à peu sous ses yeux. La Haute-Ville était le joyau du royaume autrefois, et il n'en restait qu'un amas de gravas vaguement dorés. L'Eglise de la Lumière au loin s'était effondrée sur elle-même et son dernier étage, là où la dernière bataille s'était déroulée, semblait avoir explosé. Il n'en restait plus rien si ce n'était quelques cailloux. De nombreux paladins arpentaient la ville et offrait assistance aux différentes personnes qu'ils croisaient, sans différenciation de classe. Certains occupaient les enfants, d'autres réparaient tant bien que mal des trous béants dans les murs d'un petit commerce. La ville de son enfance ne ressemblaient en rien à ce qu'elle était jadis. Ironie du sort, seule la place des exécutions était intacte et avait de toute évidence servi récemment, puisque trois corps se balançaient au gré du vent. Il y avait certaines choses qui ne changeaient jamais.

Théo mit enfin pied à terre, dubitatif, devant le nouveau bâtiment de l'Église de la Lumière. En attendant la reconstruction de l'édifice religieux, les paladins avaient élu domicile dans l'aile est du palais royal, réservée d'ordinaire à l'armée et aux hauts-gradés de son ordre. Cette proximité avec les monarques du Cratère était assez inattendue, les deux factions se disputant sans cesse le règne de la ville. La famille royale gérait plutôt les affaires externes, tandis que l'Eglise de la Lumière gérait l'organisation de la ville. Ils se croisaient en réalité très peu, chacun ayant quelques querelles anciennes dans les tiroirs à l'encontre de l'autre. 

Menki Dal l'accueillit sur le parvis, presque soulagée de le voir. Elle le laissa mettre son cheval à l'écurie, puis le suivit dans sa chambre, au quatrième étage. Théo fut surpris en ouvrant la porte de découvrir une suite luxueuse et richement décorée. Le sol et le plafond étaient recouverts d'une moquette rouge pourpre, tous les meubles brillaient sous les peintures d'or. Sur la table de bois de pin, le plus cher du pays, un plateau repas l'attendait déjà, devant une gigantesque garde-robe où un costume noir avait été dressé sur un mannequin à son attention. 

"C'est la chambre du Troisième.

— Bah non, on est au quatrième étage.

— Le Troisième de l'Eglise de la Lumière, Théo... Victoria a pris sa décision, on dirait. J'ai été attribuée servante ici. Ma chambre est derrière la garde-robe. Je serais discrète, promis.

— Ne sois pas stupide. Fais comme chez toi. Je vois même pas ce que je vais faire de tout ça. J'ai toujours vécu avec une planche de bois pour dormir et une planche de bois en face pour poser mes affaires.

— Belle progression dans l'échelle sociale, se moqua gentiment la jeune femme."

Elle tira une chaise et s'installa. A son regard insistant et sa gestuelle nerveuse, le paladin comprit vite que quelque chose n'allait pas.

"Qu'est-ce qui se passe ?

— J'ai trouvé une bague d'émeraude sur ma fenêtre ce matin. C'est la marque de la Mêta-Lignée. Je crois qu'ils savent que Mani est à leurs trousses. Cet idiot va se faire tuer, je ne comprends pas à quoi il joue."

Théo ne répondit pas, mal à l'aise à l'idée de lui annoncer qu'il s'agissait en effet du plan de l'elfe. Il préféra se concentrer sur la mission qu'il lui avait confié avant de partir : la protéger elle. Ça, il savait faire. 

"Je vais poster un garde sous ta fenêtre jour et nuit. Tout se passera bien, tu verras. Ils ne peuvent plus te faire du mal publiquement, leurs visages sont plaqués dans toute la ville. Mani nous a laissé un carnet avec des descriptions physiques de chacun d'entre eux avant de partir pour éviter qu'ils recommencent.

— Je n'ai pas besoin de protection. C'est Mani qui a besoin d'aide."

Le guerrier ne sut quoi lui répondre. Il se laissa tomber sur la chaise à côté d'elle et étala sa jambe pour éviter que la douleur ne se réveille une nouvelle fois. Menki Dal ne le quittait pas du regard. Elle finit par pousser un soupir en comprenant qu'elle n'aurait pas de réponse à ses nombreuses demandes aujourd'hui et changea le sujet.

"Victoria a envoyé une liste de choses à faire ce matin, pour toi. Elle ne veux pas que tu t'ennuies. Elle a aussi fait commander une chouette pour lui transmettre tes rapports quotidiens. Le rapace arrive ce soir.

— Super, grogna Théo. Qu'est-ce qu'elle veut ?

— Un état des lieux du quartier bourgeois et une visite de la maison Silverberg."

Les doigts du paladin se crispèrent sur sa chaise. S'il y avait bien un endroit dans lequel il n'avait pas envie de retourner, c'était dans la maison familiale. Une atmosphère assez particulière régnait dans ce lieu qui avait bercé son enfance. La mort de son père avait brisé quelque chose à l'intérieur et plus rien n'avait jamais été pareil ensuite. Mais Victoria n'avait pas choisi ce lieu par hasard. A chaque fois qu'ils passaient en ville, les aventuriers déchargeaient leur trop plein de trophées à l'intérieur. Dans cette maison se trouvaient des bouts de chacun de ses amis, oubliés avec le temps ou simplement posés dedans comme des souvenirs. Il n'était pas certain d'avoir envie de découvrir sa maison effondrée avec tout ce qu'elle contenait ou pire, qu'elle ait été pillée. C'était comme un sanctuaire où chaque chose avait quelque chose de sacré. 

"Théo, est-ce que ça va aller ?

— Oui... Oui, je crois. J'en sais rien. J'ai pas mis les pieds là bas depuis un sacré bout de temps.

— Elle a aussi marqué de te reposer et prendre soin de toi. Tu as rendez-vous pour dîner avec la reine Timarée à huit heures. Victoria a fait venir ce costume pour toi, dit-elle en pointant le mannequin."

Théo se leva pour inspecter les vêtements. Le haut était un gilet noir aux manches bouffantes absolument ignobles, le bas un pantalon de velours et comble de l'horreur, il allait devoir marcher avec des talonnettes. 

"Mon armure convient très bien aussi. J'en ai demandé une, elle est où ?

— Victoria a fait retarder sa livraison à demain. Elle a dit aussi qu'elle savait que tu allais dire ça."

Théo grommela dans sa barbe. Les dîners diplomatiques, c'était tout sauf son fantasme. Les nobles avaient ce quelque chose d'un peu trop pompeux dans la voix qu'il haïssait au plus profond de son être. Il n'avait jamais vraiment eu de contact avec la famille royale, même s'il savait son père assez proche de cette dernière. Le dernier vague souvenir qu'il en avait était un dîner avec son père, Viktor et sa sœur alors qu'il n'avait que six ou sept ans. Il avait dû apprendre un manuel entier de bonnes manières pour éviter de froisser les richards. Il avait embrassé la princesse sur la joue à son arrivée et avait provoqué un scandale sans le vouloir. A ce qu'il paraît, un homme avait interdiction de toucher la princesse jusqu'à son mariage pour préserver sa pureté. Mais il avait été décidé qu'il n'était pas encore un homme et il avait juste été privé de dessert. Il n'en gardait pas franchement un très bon souvenir.

Désespéré, il leva les yeux vers le miroir. Cela faisait beaucoup à digérer pour ce soir et les marques de fatigue s'accumulaient sur son visage. Il se tourna vers Menki Dal, qui lui sourit gentiment en retour.

"Je suis sûre que tout va bien se passer. En revanche, tu devrais prendre un bain."

Il leva les yeux au ciel. Son lit l'appelait, mais le reste de la journée promettait d'être particulièrement longue.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top