CHAPITRE 3
SILVERBERG
CHAPITRE 3
Théo eut du mal à émerger des ténèbres. Une brise froide désagréable lui fouettait le visage et faisait trembler ses membres engourdis. Les yeux encore endormis, il détailla son environnement. Trois murs de pierre humides l'entouraient, le dernier était grillagé et ouvrait sur la cellule d'en face. Il poussa une plainte et se redressa avec précaution.Ses côtes lui faisaient mal et il se sentait nauséux. Il mit du temps à remettre des images sur sa situation, tout se mélangeait dans sa tête.
Il ne savait plus vraiment où il se trouvait, et ce simple sentiment fit naître en lui un début de panique. Les souvenirs, confus, s'entremêlaient. Etait-il à Kirov ou à Fort Tigre ? Pourquoi était-il attaché ? Qu'était-il arrivé à Lumière ? Sa respiration s'accéléra et il céda à la crise en quelques secondes. Il donna de grands coups dans les chaines qui lui retenaient les poignets et tomba de la planche en bois qui lui servait de lit. Il se mit à pousser des grognements de détresse alors que son regard allait et venait dans tous les coins de la pièce, complètement fou. A force d'acharnement, la chaîne se décrocha du mur. Sans prise pour se rattacher, il tomba en arrière et se cogna violemment la tête contre le mur. Il se recroquevilla sur lui-même. C'était là qu'elle entrait en jeu.
Soudainement, il ne put plus respirer. Ses bras, ses jambes s'étaient comme transformées en pierre. Il était incapable de bouger. Autour de lui, tout devint flou et il ne tarda pas à ne plus rien sentir. Il était perdu, il avait peur.
"Théo !"
La voix l'appela, il ne sut pas de quel côté elle venait.
"Théo ! Théo, calme-toi."
Les murs redevinrent nets, peu à peu. Victoria se trouvait devant lui, inquiète. Plusieurs paladins regardaient la scène derrière la grille, certains hilares, d'autres franchement effrayé. L'un d'eux avait même l'arme sortie, prêt à l'abattre s'il s'avérait dangereux. Il débloqua sa respiration et expira bruyamment. Son corps ruisselait de sueur et il tremblait de manière incontrôlée.
Victoria croisa les jambes et s'assit à côté de lui. Elle lui caressa les cheveux et lui chuchota des paroles rassurantes jusqu'à la fin de la crise, quelques minutes plus tard. Il finit par se calmer tant bien que mal et se redressa pour s'appuyer contre le mur. Il prit quelques secondes pour reprendre le contrôle de sa respiration avant d'oser un regard vers sa soeur, folle d'inquiétude. Elle lui écrasait la main comme si sa vie en dépendait.
"Tu m'as fait sacrément peur, idiot, grogna t-elle. Je suis désolée de t'avoir enfermé, je n'ai pas réfléchi.
- Je m'en remettrais. C'est rien, dit-il sur un ton qu'il ne croyait pas lui-même."
Ces crises l'angoissaient. Même s'il essayait de se persuader qu'elles diminuaient et que ce ne serait plus qu'un mauvais souvenirs dans quelques mois, il savait que ce n'était pas le cas. Un homme saint d'esprit n'arrêtait pas de respirer à la vue d'une épée ou d'un arc. Il essayait de rester digne et fort, mais il en crevait de peur. Un guerrier qui ne peut plus combattre ne sert plus à rien. Comment ferait-il s'il devait repartir à l'aventure ? Le moindre brigand pourrait le descendre sans qu'il n'y puisse rien. Mais la simple idée de rester toute sa vie dans un bureau de l'Eglise de la Lumière le terrifia et agit comme un électrochoc sur lui. Il repoussa la main de sa soeur et se releva. Ses jambes tremblaient encore, mais il se sentait mieux. Il s'en contenterait pour l'instant.
"Tu devrais voir un médecin, lui conseilla sa soeur.
- Non. J'en ai vu assez ces derniers jours. C'est pas ça qui va me tuer. Je peux remonter ?
- Je ne sais pas, tu vas tenter de retuer ce pauvre elfe ?"
Il baissa les yeux, coupable. Il avait presque oublié ce détail. Il allait devoir s'excuser, encore.
"Je suis désolé, je ne me contrôlais pas vraiment. Mais ça ira mieux maintenant.
- Va t'excuser auprès de lui, on en reparle tout à l'heure, dit-elle d'un air faussement sévère."
Il hocha la tête et quitta la cellule sans se retourner. Dans les couloirs de Fort-Tigre, il réfléchit à ce qu'il allait bien pouvoir dire à l'elfe, si seulement il voulait le voir. Mani était rancunier, il l'avait bien retenu après le détour qu'ils avaient dû faire pour sauver Menki Dal, la prêtresse dont il était vraisemblablement amoureux. La jeune femme subissait les humeurs de Mani, Théo le savait. Il l'avait croisé plusieurs fois en larmes devant la porte de l'elfe, avant de se resaisir brutalement et s'enfermer avec lui. Elle lui faisait de la peine. Mais l'elfe ne voyait plus tout ça depuis bien longtemps.
Arrivé devant sa porte, il se convainquit que c'était une mauvaise idée. Il voulut se défiler, mais un regard en arrière lui indiqua que Victoria le surveillait. Les bras croisés, elle le dissuada d'un seul regard de faire marche arrière. Il poussa un soupir et frappa à la porte. Celle-ci ne tarda pas à s'ouvrir sur Menki Dal qui lui adressa un regard autant surpris que méfiant. De toute évidence, elle savait.
"Je viens parler, dit-il calmement.
- Mani est fatigué, il doit se reposer."
Elle tenta de fermer la porte mais le paladin mit son pied sur le chemin. La prêtresse poussa un soupir avant de l'autoriser à entrer. La petite pièce était plongée dans l'obscurité. Mis à part quelques bougies, tout paraissait mort à l'intérieur. Menki Dal passa devant lui et s'installa sur une chaise en bois à côté de Mani. Elle reprit un point de croix sans lui accorder plus d'attention. Mani, lui, avait le regard braqué sur lui.
Son visage trahissait une certaine hostilité à sa présence. Même s'il ne disait rien, sa position était crispée et ses poings serrés. Une marque violacée faisait le tour de son cou, et l'on pouvait clairement voir les traces que les doigts de Théo avaient laissés. Il baissa la tête et s'en voulut immédiatement. Il n'avait jamais voulu aggraver son état et se sentait terriblement stupide.
"Mani, je..."
Il hésita, avant de lever le regard vers l'elfe, pour l'avoir yeux dans les yeux.
"Je me suis conduit comme un imbécile, excuse-moi. Je ne voulais pas te blesser, je ne sais pas ce qui m'a pris.
- Moi aussi, répondit Mani d'une voix éraillée. C'est de ma faute, j'aurais pas dû parler de Shin comme ça. Je sais que le sujet est sensible pour toi. Je le méritais.
- Non, répondit Théo. Tu ne le méritais pas. Je n'avais pas à m'emporter comme ça, peu importe le sujet."
Mani lui offrit un sourire à moitié tordu de douleur, mais il rassura un peu le paladin. L'elfe l'invita à s'asseoir d'un signe de main.
"J'ai reçu une lettre de Grunlek, lui dit l'elfe. Il m'a demandé si tu allais vraiment bien, puisque ta lettre était plein de mensonges."
Théo fit la grimace.
"Je lui ai dit qu'on allait tous les deux très bien pour pas l'inquiéter davantage. J'avais pas le courage de lui parler de ce qui se passe ici.
- T'as bien fait. Je ne veux pas qu'il s'inquiète inutilement. On s'en remettra, avec le temps."
Un silence plana. Mani tourna la tête vers la petite fenêtre qui donnait sur l'extérieur.
"Je pars demain, lâcha t-il comme si c'était une banalité."
Menki Dal bondit sur sa chaise.
"Pardon ? intervint-elle. C'est hors de question, tu as vu ton état ?
- Ce n'est pas une question, répondit l'elfe. Je pars. J'en ai besoin. Je deviens fou ici, et il a fallu que Théo manque de me tuer pour que je m'en rende compte.
- Mais tu ne tiens même pas debout ! Tu vas te faire tuer dehors !
- Tant pis. Il n'y a plus rien qui me retient ici."
Théo serra les dents de compassion lorsque la jeune femme colla la baffe de sa vie à l'elfe avant de quitter la pièce, en colère. L'espace d'un instant, Théo se demanda si elle n'avait pas réussi à l'achever en lui déboîtant la mâchoire, mais non, Mani se contenta de frotter énergiquement la joue.
"Tu vois, il n'y a pas que toi qui agit stupidement...
- Mais elle a raison, répondit Théo. Dans ton état, t'iras pas loin."
Mani chercha ses mots avant de se tourner vers lui, l'air grave.
"Je ne compte pas aller loin, tu sais. Je vais trouver Finéas et le tuer. Mais si je réussis, toute la Mêta-Lignée sera après moi et je serais assassiné dans les deux jours suivants. C'est un voyage sans retour. Je ne reviendrais pas.
- Tu es sûr de toi ?
- Oui. Je ne peux pas laisser cette ordure s'en tirer, et je ne peux pas t'embarquer, toi ou les autres, de nouveau dans mes problèmes sans risquer votre vie. Je veux juste te demander un service, un seul. Veille sur Menki Dal. Si je réussis et que je parviens à leur échapper, ils vont s'en prendre à tous ceux que j'aime et qui sont accessibles. Grunlek et Bob sont en sécurité, mais pas toi, ni elle. Ma décision va te paraître égoïste, mais j'en ai besoin.
- Je comprends. Je ne te jugerais pas là dessus. Fais simplement attention à toi."
Mani lui sourit. Théo hocha la tête et s'apprêta à sortir, quand il eut la surprise de voir Mani sortir de son lit, en tenue de voyage.
"J'ai menti, s'excusa t-il. Je pars maintenant, pendant qu'elle m'en veut. Ce sera... moins difficile. Pour nous deux."
Le paladin ne dit rien. Il l'accompagna jusqu'en bas de la tour et l'aida même à voler un cheval. Mani lui adressa un dernier signe de main avant de s'enfoncer vers les plaines au galop. Une fois hors de vue, Théo s'effondra au sol et se mit à pleurer de rage. Il venait de perdre la dernière chose qui le rattachait au monde des aventuriers. Désormais, il était seul.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top