CHAPITRE 29

Nous aventuriers arrivent enfin à Gorge Noire, la ville de Balthazar. Et tout ne va pas forcément être de tout repos eheheh.

CHAPITRE 29

Gorge Noire ressemblait en beaucoup de points à Castelblanc : de grands bâtiments tout en hauteur, une ville sous la régie de l'Eglise du Feu, des paladins à tous les coins de rues et de la pauvreté, visible partout où se poser leur regard. Tout n'était pas aussi doré et pimpant que la ville natale de Théo, mais le cadre de vie n'y paraissait pas excessivement mauvais non plus. 

Le groupe d'aventuriers fut stoppé sur le pont-levis par la milice locale. Balthazar avait déjà fait disparaître sa monture enflammée depuis un moment. Théo gonfla le torse pour bien faire ressortir le soleil doré de son armure. L'Eglise du Feu était un concurrent direct de son ordre, bien moins puissant et établi cependant. Les gardes accueillirent d'un très mauvais oeil ce défi évident d'autorité. Ils jetaient surtout des regards nerveux en direction de Balthazar, dont le visage était caché sous une grande capuche noire. Un troisième homme à l'armure de cuivre finit par s'avancer vers eux non-nonchalamment. Cheveux blonds taillés comme ceux d'un jouvenceau pré-pubaire, épaulettes pointues ridicules et les dents blanches et bien taillées, il puait le fils de nobliau mal-éduqué et arrogant entré dans les ordres uniquement parce que sa maman l'avait demandé. Il arborait le symbole de son Eglise sur le torse, des flammes au coeur d'un triangle, rappelant sinistrement l'arme anti-démons qui leur avait permis de faire pencher la guerre à l'avantage des humains bien des années plus tôt.

"Tiens, tiens, mais ce ne serait pas monsieur le Troisième de la Lumière hors de sa précieuse cité dorée ? Si on m'avait dit que les paladins de la Lumière sortait de leur juridiction ailleurs que pour faire la guerre, je l'aurais jamais cru ! Alors, Silverberg, on est perdu ?

— Laisse-moi passer, je ne veux pas de problèmes, répondit le paladin sur la défensive. Je ne suis pas là pour affaires, je suis en mission.

— En mission, rien que ça ! se moqua le garde, sarcastique. Mais dis-moi, c'est un joli nain que tu te trimballes. Ce n'est pas un peu contre-nature tout ça ?

— Vous vous adressez au roi Grunlek von Krayn, roi de Fort d'Acier et de tous les nains, répondit l'intéressé à sa place. Si vous ne voulez pas y laisser les plumes, je vous conseille de choisir vos prochains mots avec soin."

Leur adversaire claqua la langue, agacée, avant de s'approcher de Balthazar. Théo posa une main sur le pommeau de son épée, unique avertissement. 

"Si vous voulez passer, je veux voir sa tête. Les étrangers ne sont pas les bienvenues en ville, encore moins ceux qui dégagent une psyché démoniaque, cracha-t-il sèchement."

Sans prévenir, il tira la capuche du mage. Ses yeux s'écarquillèrent à la vue des écailles.

"Un démon ! Appelez la ga..."

Grunlek ne lui laissa pas le temps de finir sa phrase. Son poing s'encastra dans son armure et le fit valser comme une poupée de chiffon au-delà des murailles de pierre du pont. Il atterrit six mètres plus bas dans un bruit de goutte d'eau, en plein dans les douves. Incertains, les deux autres gardes dégainèrent leurs épées. Théo en fit de même et s'approcha, menaçant.

"Déguerpissez de là. Si je vous retrouve dans mes pattes, vous êtes morts."

Ils pâlirent avant de s'écarter pour les laisser passer. Balthazar replaça sa capuche correctement et ils purent enfin entrer dans la ville. Leur entrée n'était pas passée inaperçue et une petite foule s'était formée derrière la grille. De nombreux murmures furent perceptibles à leur passage, mais ils choisirent de tout simplement les ignorer. Ils n'avaient pas assez de temps pour imposer leur vision des choses ici. De plus, le garde tombé à l'eau ne tarderait pas à rappliquer pour se venger de sa trempette. 

Les rues étaient bondées en ce jour de marché, remplissant l'atmosphère d'odeurs variées et mal accordées. Les vendeurs hurlaient pour attirer les clients et ne remarquaient pas les jeunes voleurs qui se servaient sur leur stand avant de s'enfuir à toutes jambes. Le mage traînait de la patte, peu enthousiaste. Il expliquait de temps à autres les spécificités de certaines spécialités culinaires pour calmer la curiosité de Grunlek et Cyrielle, mais cela s'arrêtait là.

Il marqua bientôt un arrêt devant une vieille boulangerie aux murs carbonisés que Théo identifia rapidement comme celle qui avait marqué le début du développement de ses pouvoirs. Balthazar tira la grimace avant de reprendre la route la tête basse, mal à l'aise. 

Ils décidèrent de faire une halte dans une taverne pas trop miteuse pour prendre un vrai repas avant d'aller plus loin. Le mage vanta ses mérites avec un enthousiasme feint, signe de son anxiété grandissante. Théo laissa ses compagnons s'installer à une table, et, comme d'habitude vint passer commande. Du blé et du boeuf, du vin, et un gâteau aux pommes, ça conviendrait très bien. Il déposa les pièces d'or sur le comptoir et partit rejoindre ses amis dans le fond de la salle. Ils s'étaient mis à l'écart de la foule, cachés derrière des paravents, pour permettre à Balthazar de retirer sa capuche en toute sécurité.

"Laisse-moi deviner, grogna Grunlek en le voyant arriver, ils n'ont même pas de bière digne de ce nom ici.

— Môsieur le roi a trop abusé de son alcool de riche ? se moqua gentiment Balthazar. Et moi qui pensait que c'était un cliché sur ton peuple.

— Dis le mage ermite enfermé dans sa tour magique depuis six mois.

— C'est bas ça, même pour toi."

Théo s'installa à côté du mage, face à son écuyère qui ne perdait pas une miette de la conversation. Balthazar s'étira comme un chat et se débarrassa de sa cape d'un geste ample qui ne passa pas inaperçu des badauds à moitié saoul tout autour d'eux. Certains dévisagèrent méchamment leur groupe. Théo se tendit légèrement. Il n'aimait pas être regardé comme un animal de foire, et ils avaient plutôt intérêt à le comprendre rapidement avant qu'il ne sorte l'épée.

Le temps que l'aubergiste prépare leurs commandes, les aventuriers discutèrent de la suite de leur aventure. Même si lever la malédiction qui pesait sur Balthazar et Victoria était une priorité, ils n'en oubliaient pas pour autant la disparition des Codex. Ils devaient régler cette affaire rapidement sous peine qu'elle ne s'ébruite. Enoch s'en était déjà pris à la Tour des Mages, ce qui était très risqué étant donné le nombre de magiciens potentiellement obnubilés par le pouvoir qui y vivaient. S'ils ne reprenaient pas le contrôle de la situation, d'autres pourraient le faire à leur place. Aucun d'eux n'avait envie de vivre de nouveau la situation de l'Île des Intendants.

Le tavernier s'approcha d'eux, un plateau bien rempli. Il commença à poser les assiettes, avant de suspendre son geste à la vue du visage de Balthazar. Finalement, il reposa l'assiette sur son plateau et fit demi-tour sans dire un mot. Théo sentit la colère bouillir dans ses veines.

"Il y a un problème ? demanda-t-il agressivement. A ce que je sache, j'ai payé ce repas. 

— C'est un établissement respectable ici, siffla l'homme. On ne sert pas... ça, cracha-t-il en pointant Grunlek et Balthazar de la tête.

— Ah oui ?"

Théo se leva et bomba le torse pour paraître plus impressionnant. Il ignora copieusement Balthazar qui lui tirait le bras pour le forcer à se rasseoir. Tous les regards de la salle se tournèrent vers eux et les murmures commencèrent à s'élever. Au moins trois personnes quittèrent la pièce quelques secondes plus tard, certainement pour chercher des renforts.

"La discrimination contre les espèces magiques est interdite depuis l'Âge de Fer, sur tout le continent, récita Théo d'une voix sombre. Je vous conseille de poser ces assiettes et de retourner gentiment dans votre cuisine, ou vous n'aimerez vraiment pas ce qui va se passer ensuite, le menaça-t-il."

L'homme claqua de la langue. Il jeta le plateau sur la table, renversant la moitié du plat à côté et tourna les talons rapidement. Satisfait, le paladin retourna s'asseoir sous le regard nerveux de ses compagnons.

"Je vous l'ai dit, grogna Balthazar. C'est pas exactement comme Castelblanc ici. Il va falloir faire profil bas pour éviter de s'attirer plus d'ennuis. Je n'ai pas vraiment envie que notre passage retombe sur ma mère une fois que l'on sera parti. Je sais que c'est difficile et que ta fibre héroïque est blessée au plus profond de son orgueil, mais s'il te plaît, Théo, peux-tu arrêter de jouer les paladins vengeurs ?"

Le guerrier grogna pour toute réponse et commença à manger, suivi bientôt par le reste du groupe. S'ils devaient reprendre des forces avant de se faire charger par une troupe de paladins de l'Eglise du Feu, autant le faire maintenant. Si l'on écartait la salle qui se vidait peu à peu, la nourriture était bonne et tout se passa relativement bien jusqu'à l'entrée attendue des soldats des ordres. Les quatre paladins étaient précédés de l'idiot des douves, l'armure noire et les cheveux tâchés de tâches brunes malodorantes et disgracieuse. Son visage exprimait une certaine forme d'hostilité. L'aubergiste, de toute évidence persuadé qu'ils allaient gagné, observaient la scène de loin, provocateur. 

Théo termina son morceau de gâteau avant de se lever lentement. Balthazar poussa un soupir. La situation allait dégénérer. Encore. Le mage décida de reculer de quelques pas pour éviter de se prendre un paladin sur le crâne. Cyrielle et Grunlek, plus patriotes, se placèrent de chaque côté du paladin. 

"Vous n'êtes pas dans votre juridiction, Silverberg, grogna le garde. Vous n'avez pas à imposer vos hérésies dans notre ville. Les habitants sont effrayés par leur présence. Nous vous demandons de quitter les lieux sur le champ, ou je serais contraint de vous ôter la vie pour refus d'autorité.

— Ce ne sont pas tes trois guerriers et leur cure-dent qui vont me faire changer d'avis, tu sais. Je te retourne la politesse. Si tu ne veux pas t'étouffer dans ton propre sang dans trente secondes, casse-toi d'ici."

Le soldat dégaina son épée, Théo en fit de même et le chargea. Les deux paladins en armure lourdes s'effondrèrent sur une des tables et la firent céder sur leur poids, perdant tous les deux leurs armes dans la chute. Cela ne les arrêta pas. Ils utilisèrent leurs poings pour faire le plus de dégâts possible. 

Grunlek prit à revers ses complices, qui souhaitaient de toute évidence profiter de sa concentration pour l'abattre. Son poing s'abattit dans le ventre du premier, le projetant à travers le comptoir de l'aubergiste paniqué. Les deux autres chargèrent le nain. Cyrielle vint lui porter main forte et commença à parer les attaques.

Théo prit l'avantage rapidement sur son concurrent. Il était bien plus grand et musclé, ses coups faisaient plus de dommages, en particulier grâce à ses gants d'acier. Le visage de son agresseur était déjà boursouflé et sa bouche remplie de sang. Il lui claqua gratuitement la tête sur les restes de la table et l'abandonna à son sort pour venir en renforts à Cyrielle.

Il offrit un grand sourire à Balthazar, les bras croisés et le regard noir, avant de retourner de plus belle dans la mêlée. Il arracha un pied de chaise et l'abattit violemment sur le crâne de l'assaillant de son écuyère. L'homme s'écroula, assommé. Grunlek acheva lui aussi son opposant d'un nouveau coup en pleine tête. Le poing métallique traversa le crâne du soldat et aspergea de bouillie de cerveau et de sang l'aubergiste derrière.

La taverne était ravagée. Du sang coulait sur les tables, le plateau des aventuriers avait été explosé dans la bataille, et quatre corps jonchait maintenant le sol terreux. Le mage se rapprocha de ses compagnons et ramassa sa cape du bout des doigts. Elle baignait dans le sang. Théo s'excusa d'un regard, il sentait bien sa contrariété, mais ce n'était pas comme s'ils avaient eu le choix.

"C'est bon, vous vous êtes bien défoulés ? lâcha le mage, d'humeur moralisatrice. Quelle partie de "ne faites pas de vague" vous n'avez pas compris au juste ? Allez, reprit-il plus calmement. Barrons-nous d'ici avant qu'il ne nous arrive d'autres bricoles. On a des choses à faire."

Il prit la sortie, suivi de ses compagnons. Le reste de la journée se passa plus calmement. Le mage s'acheta une nouvelle cape, bien chère, en reprochant à Grunlek le combat de la taverne lorsqu'il fallut justifier le prix exorbitant. Théo de son côté fit nettoyer, aiguiser et polir ses armes pour les rendre plus efficaces. Il acheta également un nouveau bouclier, le sien étant bien abîmé. 

Le soir venu, pour plus de discrétion, les aventuriers se dirigèrent enfin vers la bâtisse des Lennon, où se trouvait vraisemblablement la mère de Balthazar. Comme les autres habitations, la maison était à étages et légèrement tordue. Les murs étaient anciens et la peinture blanche s'écaillait, signe qu'elle n'avait pas été rénovée depuis plusieurs années. Le mage resta bloqué devant la porte en bois, la main levée, prêt à frapper. Il se tourna vers ses amis qui l'encouragèrent doucement du regard.

Il frappa deux fois. Ils entendirent des pas dans la maison, couplé à des insultes sur l'horaire tardif des visiteurs imprévus. La porte s'ouvrit brusquement.

La femme aux longs cheveux gris qui leur ouvrit se figea instantanément. Elle porta une main sur son coeur et recula de quelques pas, le visage déformé par la surprise. Elle finit par hoqueter douloureusement, puis se jeta au cou de Balthazar. Le mage serra sa prise autour de sa taille, les larmes se mirent à couler également sur ses joues.

"Bonsoir, Maman."

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