CHAPITRE 28

Il est temps de reprendre le fil de notre aventure après cette petite aparté sentimentale. Après tout, tout ne peut pas être tout le temps gentil et mignon, pas vrai ?

CHAPITRE 28

L'immense forêt qui entourait les quatre aventuriers s'étendaient à perte de vue. Théo aimait cette ambiance, l'impression d'être seul au monde et de ne dépendre que des caprices de la nature. Ils marchaient depuis quatre jours à présent et aucun obstacle n'était venu tâcher ces retrouvailles improvisées. La matinée était déjà bien entamée, il faisait beau et tout se passait bien. 

Avachi sur son cheval de flammes, Balthazar était plongé dans un grimoire. Le paladin pouvait le voir froncer les sourcils de temps à autres sur certains passages difficiles, ou encore l'entendre réciter des formules étranges qui provoquaient de petites étincelles de couleur différentes de temps à autres. Grunlek tenait la conversation à Cyrielle, ravie d'en apprendre davantage sur le peuple nain et ses spécificités. Théo les écoutait d'une oreille distraite, concentré sur la route, la carte étalée devant lui.

Tout se passait trop bien.

Le cri de détresse d'Eden perça brutalement l'espace. Le glapissement avait été court mais puissant. Ils tendirent l'oreille, inquiets. Très vite, des grognements agressifs se firent entendre, signe d'un combat intense. Quelque chose venait d'attaquer leur amie.

Grunlek bondit du cheval et disparut immédiatement vers la source du bruit. Les trois autres aventuriers descendirent de cheval pour le suivre. Ils coururent cinq bonnes minutes entre les arbres, à suivre les sanglots et les hurlements de rage de la louve de plus en plus forts à mesure qu'ils se rapprochaient. Lorsqu'enfin, essouflés, ils débouchèrent dans la clairière, ils trouvèrent le nain au chevet de sa protégée, couchée sur le flanc. Un corps étranger dépassait de sa hanche. Ce n'était ni une flèche, ni une épée, plutôt le prolongement organique tordue d'une créature qui n'avait rien d'humain. C'était noir comme du charbon et haut comme une grosse branche d'arbre.

Malgré la douleur, l'animal continua de grogner furieusement après un buisson, les babines retroussées. Affolée, elle jetait des regards entre le nain et les arbres. Théo se tendit en comprenant brutalement l'urgence de la situation. Ils étaient dans une clairière. A découvert.

"Grunlek, prends ta louve. On se tire d'ici, dit-il d'une voix autoritaire. On n'est pas en..."

Une énorme masse sombre bondit hors des fourrés. Théo sortit son épée et fit un pas en avant. A sa droite, Balthazar avait déjà invoqué une boule de feu, sur ses gardes. La bête n'avait pas de forme fixe. Son corps ressemblait à celui d'un énorme fauve, mais sa tête était celle d'un serpent, surmonté de grandes cornes enroulées. La queue de scorpion qui se balançait derrière elle était dotée d'un dard gigantesque. Dans sa main, Théo sentit son bouclier s'emballer de manière trop familière. Cette chose puait la psyché modifiée, et pas n'importe laquelle : celle d'Enoch.

La bête feula. Son dard se crispa brutalement et une fléchette semblable à celle plantée dans le flanc d'Eden traversa la plaine pour se ficher dans le bouclier du guerrier. Au bruit de vapeur que l'arme produisit, il comprit qu'elle contenait de l'acide. Grunlek blémit en voyant ça et retira d'un geste rapide celui coincé dans Eden. La louve gémit de douleur. Elle se releva magré tout, oreilles plaquées en arrière, et boîta pour fuir la scène. Théo n'eut pas trop de mal à comprendre pourquoi. Elle était issue de magie blanche, tout comme lui, et l'aura maléfique de la créature entrait en conflit avec sa nature la plus profonde.

"Qu'est-ce que c'est que cette merde ? demanda Théo au mage.

— J'en ai pas la moindre idée. Mais c'est vraiment pas bon. On ne peut pas risquer de laisser cette saloperie se promener à sa guise."

La bête poussa un rugissement sauvage et chargea droit vers le paladin. Grunlek l'intercepta au vol d'un magistral coup de poing qui la renvoya au tapis. Sous la force du coup, la carcasse chitineuse qui la recouvrait s'était fendue. La créature rebondit sur ses pattes et prit quelques instants pour jauger ses adversaires. Ses yeux passèrent de Cyrielle à Balthazar, les plus proches, sans se décider. Le pyromancien profita de son hésitation pour lancer le plus gros cône de flammes que ses amis n'avait jamais vu. Le monstre disparut dans le brasier et se mit à hurler d'une voix si forte qu'elle mit les aventuriers à terre, contraints de se boucher les oreilles. Le cri pouvait être entendu à des kilomètres à la ronde sans problème.

"Achève cette saloperie ! cria le mage à Théo."

Le paladin attrapa son épée à deux mains et attendit que Balthazar lui ouvre un passage dans le feu. Il abattit violemment son arme sur la tête du monstre qui ne le remarqua qu'au dernier moment et esquiva de justesse. Il siffla comme un serpent à sonnette, toujours en feu et abattit son dard à quelques centimètres de lui. Théo le trancha net d'un agile coup d'épée, ce qui intensifia le hurlement de la créature.

"Mais ferme ta gueule ! cria le guerrier élégamment."

Il souleva son épée comme une massue et la planta dans le dos de la créature. Il appuya de toutes ses forces et lui transperça la poitrine, l'éclaboussant d'une bouillie verdâtre. La bête s'affaissa sur elle-même, morte. Le paladin resta immobile quelques secondes, avant de se laisser tomber à côté de la bête, épuisé. Le reste du groupe s'avança timidement pour le rejoindre.

Balthazar donna un petit coup de pied dans la cuisse de la bestiole, le visage tiré d'une grimace dégoûtée.

"C'est pas naturel et ça pue la psyché détournée. Même les manticores ne sont pas aussi moches.

— C'est un nouveau cadeau de ton père, je suppose ? demanda Grunlek. S'il sait qu'on est sur la route, ce n'est pas bon signe. On risque de mettre en danger les personnes qui croisent notre route.

— J'en doute, marmonna le mage. Par rapport à ce qu'il a envoyé à la Tour des Mages, c'était presque un chaton. Soit il économise sa puissance pour autre chose, soit sa propre psyché est trop endommagée et ne lui permet pas de récupérer comme il le voudrait. Dans une grande ville envahie de gardes armés, envoyer une bête qui fera des dommages mais se fera tout de même abattre serait une perte d'énergie stupide. Il ne reproduira pas l'erreur de la Tour des Mages. On doit en profiter pendant qu'on le peut.

 — J'espère que tu as raison, grogna Théo en s'essuyant de visage. Il faut reprendre la route."

Les autres acquiesçèrent. Après s'être occupés d'Eden, dont la blessure fut vite oubliée grâce aux soins de Théo, ils coururent après les chevaux, paniqués après l'attaque, pendant un quart d'heure avant de pouvoir enfin se remettre en route. Ils avancèrent dans un silence pesant, chacun réalisant peu à peu qu'ils s'embarquaient de nouveau dans une quête risquée qui pouvait leur coûter cher en cas d'échec. Ils avaient presque tout à y perdre, et pourtant, c'était bien eux que le destin avait choisi encore une fois pour l'accomplir.

Théo serra les dents en sentant sa blessure brûler dans son dos. L'attaque et les roulades au sol avaient fini par réveiller la douleur même avec le sort. Il se garda bien d'en parler à voix haute. Elle allait bien finir par passer. Il se tourna vers son écuyère, installée derrière Grunlek. Cyrielle était pensive.

"Tu tiens le coup, gamine ? lui lança-t-il sans prendre de gants.

— Oui. Je crois. Mais... Est-ce que votre quotidien est toujours comme ça ? J'ai l'impression que l'on ne peut pas mettre le nez dehors sans s'attirer des ennuis.

— Ce n'est pas qu'une impression, rit Grunlek. On attire les problèmes comme des mouches. Il faut avoir l'esprit bien accroché. Mais on s'y habitue. C'est... C'est la vie qu'on a choisi, quelque part. 

— Pourquoi avoir choisi d'arrêter alors ? demanda-t-elle innocemment."

Un silence gêné s'installa après sa remarque. Théo détourna le premier le regard pour échapper à la situation, sans succès.

"Nous avons perdu un ami à Castelblanc, lors de l'attaque, avança prudemment le nain. Après ça, nous avons été appelé à prendre des rôles dont nous ne voulions pas forcément pour sécuriser une bonne fois pour toutes la région. Mais... Le destin en a décidé autrement, il faut croire. C'est difficile à expliquer, mais je pense que quelque chose, une force obscure, nous a lié les uns aux autres et nous attire sans cesse. Jusqu'à...

— Jusqu'à ce que l'un de nous soit assez stupide pour se sacrifier, acheva Théo, macabre."

Derrière lui, le regard de ses compagnons se fit plus sombre. Balthazar préféra rester silencieux. Il n'avait pas envie de se mêler à la conversation. Cyrielle sentit la tension s'installer et décida de faire diversion. Elle se tourna vers Balthazar.

"Tous les demi-diables maîtrisent le feu, pas vrai ?

— Oui, répondit le mage d'une voix un peu distante. A des degrés différents selon s'ils sont issus de démons mineurs ou majeurs.

— Vous pourrez m'apprendre ?

— Un paladin qui maîtrise une magie offensive ! rit-il finalement de bon coeur. Ce serait bien une première. Si ça peut faire chier leur Eglise toute pourrie, ce sera avec grand plaisir.

— C'est ta magie qui est toute pourrie, répondit Théo d'une voix bougonne. Et on en parle de ton cône de flammes tout à l'heure ? C'était quoi, ça ?"

Le mage se gratta nerveusement la tête.

"C'est... Compliqué. Les expériences à côté du puits de magie de la Tour des Mages ont créé des dommages sur ma psyché. L'avantage, c'est que je peux mettre le plein dosage sans utiliser mon démon, mais ça m'affaiblit beaucoup plus qu'avant. J'ai encore du mal à maîtriser les quotas. Mais j'y travaille.

— Tant que tu ne me mets pas le feu en montant le camp, tempéra le nain, moi ça me va."

Les aventuriers rirent à la mémoire de ce souvenir inoubliable. Peu à peu, les discussions se firent plus détendues et la route passa beaucoup plus rapidement. Alors que la fin de la journée se profilait à l'horizons, les premiers bâtiments de Gorge Noire, le village natal de Balthazar, se profilèrent à l'horizon. La ville tirait son nom des deux grandes falaises qui l'encadraient. Au loin, tout semblait plongé dans l'ombre des deux mastodontes de pierre. 

Théo sentit un petit frisson d'excitation remonter le long de sa colonne vertébrale. Balthazar avait jusqu'à présent toujours refusé catégoriquement de les emmener chez lui. Aujourd'hui; il avait l'impression de passer une grande étape dans leur relation. Il craignait un peu d'être présenté à sa mère, mais l'expérience promettait d'être drôle. Il espérait simplement que rien ne vienne perturber ce moment de paix.

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