CHAPITRE 16

Hey ! Petit chapitre « calme » aujourd'hui (enfin jusqu'à ce que... enfin vous verrez). Je vous souhaite une bonne lecture, à très bientôt !

CHAPITRE 16

Théo guettait l'arrivée de la nuit avec inquiétude. Même s'ils avançaient à un bon rythme, ils n'étaient pas parvenus à quitter totalement les terres sous l'influence de Castelblanc à la tombée de ce deuxième jour. Dressé sur son étalon, il avançait quelques mètres devant la charrette pour s'assurer qu'aucun danger ne se dressait sur la route. Derrière lui, Mani et Cyrielle discutaient de divers sujets, pas tous très intéressants pour le paladin épuisé par la journée de marche. Sa blessure tirait dans son dos et il serrait les dents tant bien que mal pour éviter d'y prêter attention. S'il paraissait faible, il deviendrait une proie de choix pour les nombreux bandits qui arpentaient la région.

Il se crispa une nouvelle fois lorsque la douleur se fit sentir. Il posa sa main sur son ventre et tenta vainement d'effacer le mal. Si la blessure ne devait jamais se refermer, il allait devoir s'y habituer. Il ne pouvait pas s'en plaindre maintenant. Il lança un regard en arrière. Mani le dévisageait, sourcils froncés. Il n'était pas dupe. S'il le remarquait, c'est qu'il devait vraiment avoir une sale tête.

"On va s'arrêter pour la nuit, dit-il à ses compagnons. Je connais une clairière à quelques minutes de marche, on pourra s'y arrêter pour la nuit."

Il tira légèrement la bride de Sébastien pour qu'il tourne à gauche. Cette clairière, en effet, il la connaissait bien. C'est là que tout avait commencé pour lui, pour son groupe. Théo descendit de sa monture et s'approcha doucement de la tombe dressée en bordure de route, celle de la druidesse. La pierre avait tenu tout ce temps, scellée par la magie de Balthazar. Il passa la main sur l'épigraphe gravée. Théo avait insisté pour en mettre une, même s'ils n'avaient jamais su son nom. Un mort sans honneur errait sur cette terre pour l'éternité, et cette pauvre druidesse n'avait pas mérité ce sort. Il détourna le regard alors que la charrette arrivait. Théo récupéra les brides des chevaux de trait et les amena jusqu'au coeur de la clairière. Pendant que Mani et Cyrielle déchargeait les sacs, Théo se chargea des chevaux dont il prit soin avant de les attacher pour la nuit.

Quand il revint au camp, Mani avait allumé le feu et Cyrielle examinait les environs. Le paladin déposa son épée et le gros de son armure à côté de sa couchette avant de la rejoindre. Elle lui offrit un sourire discret avant de se reconcentrer sur les fourrés, l'air terriblement sérieux. Elle prenait son rôle d'éclaireur à coeur et Théo sentait qu'elle se donnait à fond pour être à la hauteur de sa tâche.

"Tout va bien ? lui demanda-t-il.

— Rien à signaler dans les environs, répondit-elle solennellement.

— Bien."

Ils restèrent quelques minutes silencieux côte à côte à contempler le paysage en silence. Les branches bougeaient lentement au gré du vent de l'automne qui approchait. Quelques feuilles tombèrent à leurs pieds. De petits oiseaux les observaient curieusement depuis les arbres, piaillant de temps à autre pour discuter entre eux. Cyrielle rabattit ses cheveux derrière son oreille avant de prendre la parole.

"Merci de m'avoir pris comme écuyère. Je ne suis pas certaine que la situation aurait été pareille avec un autre paladin.

— Il faut dire que t'as pas choisi la voie la plus simple, gamine. Tôt ou tard, tu vas être poussée dans tes retranchements physiques les plus extrêmes. Tu penses être capable de maîtriser ton démon ?

— Franchement ? Non. Ma mère m'a déjà expliqué que je n'ai que peu de chances de pouvoir le maîtriser entièrement un jour. Mais tant que j'en suis capable, je ne compte pas prendre cette contrainte comme un frein pour réaliser ce que je veux faire."

Théo sourit, nostalgique.

"Mon ami, Balthazar, tient le même discours. Même après avoir manqué de brûler une région entière et tous ses habitants. Je ne sais pas si c'est de l'arrogance ou du courage, mais ça a fonctionné jusqu'à présent, parce qu'il s'accroche désespérément à sa partie humaine."

La jeune fille s'installa sur un rocher, un petit sourire moqueur au coin des lèvres. Théo fronça les sourcils.

"Quoi ?

— Vous l'aimez beaucoup, ce Balthazar, non ? Vous en parlez avec des étoiles dans les yeux.

— Oui, non, enfin... Ce n'est pas... C'est mon ami, mais c'est tout. Disons qu'on a toujours été poussés l'un vers l'autre dans les pires situations, et ça a fini par créer un attachement. Mais ça ne l'empêche pas d'être une véritable tête de con de temps en temps. Il est... Il n'est même pas qualifiable. Par moment, il est calme et presque gentil, la minute d'après il hurle à la mort parce qu'il pleut. C'est un homme compliqué."

Elle gloussa doucement, avant de lancer un regard vers Mani. L'elfe était en train de ramper dans la boue, les fesses en l'air, à la recherche de petits champignons qui avaient attiré son attention.

"Et lui ? demanda Cyrielle. C'est quoi son histoire ?

— Ah... Si seulement je le savais. Il est rentré un matin dans l'Eglise de la Lumière et je n'ai jamais vraiment compris pourquoi. Soit disant, c'était une sorte de super espion, mais on n'en a jamais vraiment eu la preuve. Il est même plutôt catastrophique en mission d'espionnage. Cet elfe est une arnaque.

— Il est drôle, je l'aime bien.

— Il est surtout bizarre. Une fois, on l'a trouvé en train de brouter de l'herbe pour se rapprocher d'une biche que Shin chassait. Il s'était parfumé avec les crottes du gibier. L'odeur est restée au moins deux semaines. Une horreur. C'est toujours mieux cela dit que l'odeur d'épices qui pique les narines qui le suit partout. Je ne comprends pas trop les elfes. Trop bizarres pour moi."

Cyrielle quitta l'elfe des yeux et décida qu'il était temps de rejoindre le camp. Théo lui emboîta le pas. La jeune fille déballa soigneusement les rations de viande. Elle en tendit une à Théo, qui l'emporta pour faire son tour de garde, puis elle en donna une à Mani, timidement. L'elfe renifla le morceau comme un chien avant de croquer du bout des lèvres dedans. Son regard s'illumina et il mit le morceau entier dans sa bouche, avant de lever ses deux pouces en signe de satisfaction. 

Le paladin s'approcha de la lisière de la clairière. Il donna un coup de bouclier dans les fourrés, un lapin détala dans les profondeurs des bois. Rien de dangereux ne rôdait dans les parages, ils pouvaient dormir tranquille ce soir. En tout cas, il l'espérait. Il regagna sa couchette et, après son maigre repas, décida de prendre quelques heures de sommeil. 

*********

"Je suis humain ! Je te le jure !"

Théo était penché sur Balthazar, l'épée pointée sur sa gorge, uniquement retenu par Grunlek et Shinddha qui se débattait pour le faire reculer. Il avait eu le culot de revenir avec des écailles sous les yeux alors qu'il avait promis que jamais il ne laisserait le démon sortir. Persuadé d'avoir affaire à la créature qui avait détruit Mirage, il persistait à vouloir le tuer. Jusqu'à présent, ses compagnons avaient été là pour le retenir et il avait espéré pouvoir frapper d'un coup sec en pleine nuit. Malheureusement, le mage s'était levé et avait hurlé de peur, alertant ses compagnons qui avaient bondi sur lui.

Terrorisé, Balthazar rampa en arrière loin de la lame, le regard écarquillé. Théo lâcha son épée à contre-coeur. Grunlek lui serrait le bras si fort qu'il était sûr qu'il l'aurait cassé juste pour l'empêcher de nuire au demi-diable. Le paladin les insulta tous avant de tourner les talons vers les bois, les nerfs à vif.

"Théo, attends !"

Le paladin lança un regard agacé à Balthazar qui courait dans sa direction. Il souffla et reprit sa marche sans lui prêter attention.

"Théo, arrête."

La voix s'était fait plus ferme. Une boule de feu traversa son champ de vision et s'écrasa quelques mètres devant lui. Surpris, le paladin bondit en arrière. Quand il se retourna, Balthazar se trouvait à seulement quelques centimètres de lui. Le paladin le poussa violemment et il tomba à terre.

"Pourquoi est-ce que tu fais ça ?! hurla Balthazar. J'ai fait quelque chose de mal depuis que je suis revenu ? Tu me traites comme de la merde, j'ai l'impression qu'on est revenu au temps où j'étais ton prisonnier. Je pensais, je ne sais pas, qu'on avait dépassé ce stade depuis le temps ?

— Oh oui, tout est de ma faute, bouh, méchant Théo ! Tu avais promis, enflure ! Tu avais promis que tu ne le laisserais jamais sortir ! cria-t-il.

— Et quel autre choix j'avais ?! hurla le mage encore plus fort. Il fallait que je laisse tout le monde crever ?! Tu crois que j'aurais supporté de te voir mort encore une fois, espèce de crétin ?! C'est pas parce que j'ai des putains d'écailles sous les yeux et que j'ai réduit une poignée de religieux qui menaçaient mes amis en cendre que je suis devenu un être insensible et sans émotions. Grunlek et Shin l'ont compris, alors pourquoi tu t'obstines à refuser de le voir ?! J'ai essayé d'y aller doucement pour t'aider à l'accepter, mais si tu y mettais un peu du tiens, on se sentirait beaucoup mieux tous les deux !"

Théo rougit. Il ouvrit et ferma la bouche, à court d'arguments. Derrière un arbre, plus loin, Shin et Grunlek les regardaient, cachés à moitié, prêts à intervenir. Le paladin ferma les yeux et prit une grande inspiration pour essayer de se calmer.

"C'est pas à eux que t'as fait une promesse, répondit Théo, acide. On... Tu m'as promis que tu deviendrais pas un danger, tu m'as supplié de te buter si jamais tu te transformais et j'étais pas là ! Et même quand je me suis réveillé, j'ai été incapable de le faire. Je... Putain, Balthazar, t'es en train de faire exploser ma foi, je sais plus où j'en suis et tu continues d'enfoncer le clou. Tu fais chier. Tu m'entends ? Tu me fais juste chier."

Balthazar se releva doucement, incertain et un peu perdu par la tirade du paladin. Il fit discrètement signe à Grunlek et Shin de partir. 

"Je te demande pas d'accepter ça, se radoucit le mage en pointant son visage. Je te demande juste de me pardonner et de me faire confiance comme avant. Je ne suis pas ton ennemi. Je suis toujours humain. Si tu as besoin de temps, je peux le comprendre, mais je veux pas me battre avec toi. Si tu juges qu'il faut me buter, fais-le, mais ce n'est pas moi qui le regretterez après."

Théo serra les dents, avant de lâcher un soupir. Il abandonnait.

"Je suis désolé, je sais pas ce qui m'a pris. T'as raison.

— Théo qui s'excuse ? Et qui me dit que moi, Balthazar, j'ai raison ?! Woah, c'est une première. T'es sûr que t'es pas encore possédé par la mort ou une autre créature bizarre ?

— Ta gueule. Je suis pas encore prêt pour le sarcasme. Je vais faire un effort, mais je veux que tu me promettes de plus jamais recommencer. Je... Je ne veux plus que ça se reproduise.

— Seulement si tu me promets de vraiment me tuer la prochaine fois que ça arrive."

Théo sourit en coin. Balthazar se détendit légèrement : le danger était écarté.

"Allez, on rentre."

Il repartit vers le camp, le mage sur les talons. Balthazar ne bougea pas. Théo se tourna vers lui, sourcils froncés. Autour de lui, le paysage parut s'obscurcir.

"Tu dois te réveiller, Théo, dit le mage d'une voix sombre. Il arrive pour toi. Réveille-toi, maintenant !"

Le mage casta une boule de feu et la lança vers lui. Théo leva les bras dans un vain réflexe défensif.

********

"Théo ! hurla la voix paniquée de Cyrielle. Réveillez-vous !"

Le paladin se redressa sur sa couchette, désorienté. Autour de lui, la forêt brûlait. Réfugié derrière la charrette, Mani, toutes les mâchettes dressées, tenait à distance une ombre dans le ciel. Théo leva les yeux et posa une main au dessus de son front pour y voir plus clair. La créature brillait d'une psyché aveuglante et déformée, trop familière pour être normale.

La masse fondit soudain vers lui. Théo poussa sa jeune écuyère sur le côté et se prit la créature de plein fouet. Elle le traîna sur plusieurs mètres. Son dos heurta des troncs, des rochers, sans qu'il ne parvint à les sentir. Devant lui se trouvait le visage monstrueux d'Enoch, encore plus déformé que la dernière fois où il l'avait vu. Dans son torse, il repéra les Codex. Les parchemins étaient fondus dans sa chair et les écrits s'étalaient sur le corps entier du démon, comme des cicatrices. Le monstre le lâcha brutalement. Théo roula au sol et heurta violemment un arbre avec son dos, lui arrachant un cri de douleur. Enoch se posa devant lui, la face tordue d'une sourire où seules ses canines étaient visibles. Il éclata d'un rire fou.

"Dommage, j'aurais tellement aimé que tu termines comme ton père. C'est comme ça qu'il est mort, tu t'en souviens ?"

Une énergie contraire à la sienne s'immisça dans son cerveau de force. Théo tenta de la repousser, en vain. Des images qui ne lui appartenaient pas flashèrent devant ses yeux, trop rapidement pour qu'il y comprenne quelque chose. Ses souvenirs se mêlaient à ceux du démon. Il vit son père, cette femme, Balthazar, la guerre, il ressentit la peur, l'amour, la colère, tout en même temps. Ce fut trop pour lui. Il poussa un hurlement et alors que du sang coulait de son nez et de ses oreilles, il s'effondra au sol, inconscient.

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