6 - Préparatifs (première partie)

Svanne Öffer avait pris soin d'envoyer deux de ses hommes à bord de la barge d'Armatis, afin de la surveiller pendant que toute l'équipe était invitée sur la base de Mercurius. Sig Benz et ses employés s'étaient entassés autour d'une longue table, dans une vaste salle vitrée par laquelle la lumière d'or nacré pénétrait à plein. En plus de Firens, la femme blonde avait convié son directeur adjoint, Azark Sun, un grand gaillard à la peau encore plus sombre que celle de Sila.

Affalée dans un fauteuil à la tête de l'assemblée, la maîtresse des lieux discutait à bâtons rompus avec monsieur Sig. Très vite, la conversation glissa vers les nouveaux pensionnaires d'Armatis.

« Alors comme ça, tu as deux équipes maintenant ! Sans oublier un chargé d'intendance... Je n'en revenais pas quand j'ai vu ça ! En tout cas, une chose est sûre : tu n'engages que des jolis garçons ! »

Elle adressa un clin d'œil à Lukas qui se sentit rougir comme une pivoine.

« Cela dit, poursuivit-elle, tu n'as pas peur de te trouver en difficulté si l'un de tes employés ne peut pas plonger... ou en cas de problème technique sur un Paladion ? Tu n'as pas de remplaçant...

- Je n'en avais pas non plus quand tu nous as connus ! Au moins, en cas de pépin, il nous reste une équipe fonctionnelle !

- Pas faux ! Mais tu travailles quand même avec deux apprentis sur quatre plongeurs... Tu n'as pas peur qu'ils prennent le large après trois ans, une fois leur formation bouclée ? »

À l'autre bout de la table, Sila lança un regard sombre en direction de Svanne, visiblement indisposée par ses paroles. Monsieur Sig haussa les épaules :

« En toute honnêteté, déclara-t-il sereinement, je n'y crois pas vraiment. Du moins, pas avant un certain temps. Et même si cela devait hélas arriver, je parviendrai à trouver d'autres postulants : les grandes entreprises sont tellement sélectives qu'ils laissent beaucoup de jeunes gens prometteurs et motivés sur le carreau.

- Ce n'est pas faux.... Même dans notre branche, nous ne manquons pas de personnel à engager, même des naturels et des infusés : il suffit de brandir une pancarte à Terra ou dans l'Untercity. »

Lukas haussa un sourcil perplexe en entendant ce terme inconnu. Remarquant sa confusion, Varen expliqua :

« Tu ne le sais peut-être pas, mais une véritable ville qui a poussé sous les pilotis de Stellae. C'est là que se réfugient les plus pauvres, ou ceux qui ne trouvent pas leur place à Terra ou dans d'autres cités du Croissant Extérieur. Il s'y tient une sorte d'économie parallèle ; l'administration Terrane contrôle à peine ce qu'il s'y passe.

Le garçon le regarda avec stupeur : il était bien loin d'imaginer que des gens vivaient sous ses pieds quand il habitait dans la zone protégée. Encore moins qu'une ville « sauvage » s'y était constituée. Des images issues de reportages tournés sur Terre lui virent à l'esprit : d'immenses étendues couvertes de cabanes de fortune, bâties avec des matériaux de récupération, entre lesquelles évoluaient des enfants en guenilles...

« C'est une sorte de... bidonville ? » laissa-t-il échapper.

Les regards convergèrent vers lui, chargé de surprise et de gêne. Le garçon se replia sur lui-même, en se demanda quelle bêtise il avait bien pu dire. Ce fut Ayrith qui brisa le silence, d'un ton curieusement désinvolte :

« Et alors ? Ce n'est pas faux, non ? Des baraques empilées entre des casses et des marchés noirs... Le terme de «bidonville» est tout à fait approprié ! »

Il haussa élégamment les épaules :

« Mais même si ce n'est pas le milieu le plus reluisant qui existe, il est plus simple d'y survivre qu'en comptant sur les services sociaux de Terra. »

Svanne hocha pensivement la tête :

« C'est une vision pragmatique des choses...

- Plutôt une expérience de première main, répondit le plongeur avec fatalisme. Autant que j'en fasse profiter les autres ! »

Malgré le détachement qu'affichait le jeune homme, Lukas devina, à l'expression de Vodo, Varen et Monsieur Sig, qu'il y avait sans doute toute une histoire – et pas forcément des plus faciles – derrière ses paroles. Mais personne ne semblait disposé à en parler.

« Un endroit qui a pu donner naissance à quelqu'un comme Blue ne peut être totalement mauvais, remarqua Svanne rêveusement.

- Blue ? répéta Lukas.

- Un voleur et un trafiquant de l'Untercity... et sans doute le plus puissant projeteur de tout Cyrga, offrit Vodo avec un petit sourire.

- Projeteur ? »

Le garçon commençait à se sentir vraiment stupide.

« C'est l'une des caractéristiques principales des naturels, expliqua Varen, compatissant. Dans une certaine mesure, nous pouvons interagir avec le sang d'argent et donc la technologie cyrgane, sans même la toucher, contrairement aux infusés pour qui un contact est nécessaire. En contrepartie, leur contrôle est plus précis - c'est du moins ce que nous leur faisons croire pour les consoler », ajouta-t-il malicieusement, avec un clin d'œil en direction d'Ayrith.

Le jeune homme secoua la tête avec résignation.

« Blue est un naturel comme Varen, Sila ou Sun, poursuivit Svanne, mais contrairement à eux qui ne peuvent projeter que sur de faibles distances, Blue parvient à le faire sur une distance de plus de vingt mètres et même conserver le contrôle sur des systèmes complexes.

- Ça reste un criminel, intervint Sila avec désapprobation.

- Mais ce criminel, Sila, rend beaucoup de services dans UnterCity, répondit sévèrement Vodo. C'est sans doute grâce à lui qu'en moins de deux ans, la condition de bien des gens dans la zone s'est améliorée.

- Tout le monde se demande pourquoi les grandes firmes n'ont pas tenté de l'attirer dans leurs rangs, ajouta Sun pensivement. Avec de telles capacités, il pourrait faire fortune...

- Et aussi perdre son âme, décréta Aerith. Peut-être est-il juste loyal. Les gens de l'Untercity sont solidaires entre eux ! »

Vodo secoua la tête :

« Hum, difficile de savoir ce qui se passe dans le cerveau de ce garçon.

- Il est possible que les firmes le convoitent, remarqua Varen. C'est même plus que probable... dans le cas contraire, il serait déjà en prison ou mort. »

Lukas baissa la tête pensivement : il en découvrait chaque jour un peu plus et mesurait d'autant l'étendue de son ignorance. Mais il était bien déterminé à apprendre, autant que possible :

« Vous connaissez plutôt bien ce qui se passa à Untercity, pour des gens qui n'y vivent pas, remarqua-t-il en espérant qu'il n'aurait pas l'air critique.

- Nous avons tous des contacts là-bas, expliqua Vodo avec un sourire malicieux. Tu crois vraiment qu'une petite boîte telle que nous survivrait si nous ne faisions pas appel au marché noir de temps à autre ? »

Le garçon cligna des yeux, surpris. L'illégalité, dans son monde, se limitait à boire de l'alcool quand on était encore mineur et à trafiquer son motoglisseur pour qu'il échappe au contrôle des systèmes de circulation. Au-delà, existait ce dont on entendait vaguement parler et qui n'arrivait qu'ailleurs et à autrui : le vol, le meurtre... Tout ce qui se situait entre les deux était un territoire inconnu, brumeux et sulfureux.

« Mais... pourquoi faire ?

- Récupérer des pièces, des équipements à prix raisonnables. Ce qui est pratiquement impossible auprès des marchés réguliers, entre les taxes gouvernementales et les tarifs rédhibitoires des entreprises.

- Mais personne ne contrôle ?

- À ce niveau ? pouffa Svanne. Pas vraiment, non. Mine de rien, malgré les grandes firmes qui tiennent le haut du pavé, le gouvernement a besoin de nous pour que la petite économie tienne la route... »

Lukas hocha la tête, pas sûr de réellement comprendre.

« Bon, ce n'est pas tout cela, intervint Vodo avec un large sourire, mais on n'était pas censé boire quelque chose ? »

Svan se tourna vers son adjoint :

« Sun, tu t'en occupes ?

- Mais c'est déjà fait... »

Il posa trois bouteilles avec des contenus colorés sur la table, puis une quatrième un peu à part :

« Celle-ci, c'est un mélange de jus de diverses baies des lagunes. C'est pour les jeunes... » précisa-t-il avec un regard vers Lukas, Sila et Shimmer.

Comme c'était prévisible, Sila n'apprécia pas d'être considérée comme une « enfant » :

« Oh, ça ira, monsieur Sun, déclara-t-elle avec hauteur. Je suis une plongeuse, pas une écolière. »

L'homme à la peau sombre esquissa un sourire amusé :

« Quoi que vous en disiez, vous êtes mineure, et même si nous nous abaissons à acheter des pièces de contrebande, nous n'irons pas jusqu'à saouler une gamine. »

Devant sa mine déconfite, Lukas ne put s'empêcher de rire ; tout comme Ayrith - même en sachant qu'elle ne manquerait pas de leur faire payer pour ce crime majeur de lèse-majesté.

Le repas se poursuivit dans la bonne humeur, mais avec plus de sobriété que ne le promettait l'ambiance joyeuse : chacun était conscient que dans quelques heures, les choses sérieuses commenceraient. L'après-midi de son arrivée, Lukas n'avait pas pu assister à la sortie des Paladions ; mais cette fois, il comptait bien observer ce fabuleux spectacle !

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