19 - Premières armes (deuxième partie)

En arrivant à la porte de la salle de contrôle, il s'arrêta net en voyant que monsieur Sig y était déjà, assis devant les écrans dans la lueur blanc bleuté des holoprojections. Shimmer buta contre son dos et laissa échapper un léger cri de protestation. Le garçon baissa les yeux et serra les dents, avant de pénétrér dans la pièce d'un pas qu'il essayait de garder assuré. Il n'avait pas envie de parler à monsieur Sig de quoi que ce soit, y compris de la mission qui débutait.

Mais manifestement, le directeur ne voyait pas les choses de la même manière :

« Lukas. »

Le garçon se tourna vers lui à contrecœur ; il vit l'hésitation dans son expression, l'incertitude dans son œil. Monsieur Sig baissa la tête et passa une main dans ses cheveux, la laissant posée à hauteur de la nuque.

« Je sais que tu aurais dû avoir un véritable briefing, et nous aurions pris le temps de le faire si toute cette affaire... »

Il laissa ses paroles en suspens ; son bras retomba.

« D'après ce que Vodo m'a rapporté, tu es tout à fait capable de t'en sortir. Il te faudra juste obéir aux consignes. Tu te sens capable de le faire ? »

Il acquiesça, refusant de faire confiance à sa voix.

« En théorie, les diagnostics devraient suffire, ainsi que le repérage de formes de vie. Sauf que dans ce cas, la situation risque d'être trop compliquée pour que nous puissions suivre cela correctement sur des machines comme les nôtres. Notamment nos capteurs de vie... »

Lukas sentait l'inquiétude le saisir, le détournant un moment de ses griefs :

« Vous voulez dire que nous ne pourrons pas déterminer l'approche des créatures à l'avance, ni leur taille ?

— Lukas, pourquoi crois-tu que les engins employés par LucidOre sont si énormes ? Tout simplement parce qu'ils auront surtout affaire à des créatures de catégorie cinq, six... voire bien plus.

— Bien plus... ? murmura-t-il d'une voix blanche.

— Dans un coin comme celui-ci, il n'est pas exceptionnel de voir des catégorie huit... »

Lukas n'avait même pas envie de faire le calcul dans sa tête pour déterminer combien de mètres pouvaient bien faire ces créatures : il les rangea dans la catégorique mentale « gigantesque », qui lui paraissait totalement adaptée.

« De fait, quand nos senseurs captent des créatures de cette taille, ils ne parviennent plus à déterminer la présence d'animaux plus petits... Et ce sont justement d'eux que nos plongeurs vont devoir s'occuper. »

Lukas hocha la tête :

« Cela veut dire que je vais devoir surveiller les arrières de Varen et d'Ayrith pour voir si des créatures de tailles un à quatre ne se sont pas glissées entre les Paladions de LucidOre ?

— Entre autres choses, oui, même si les senseurs de nos Paladions pourront les avertir à courte portée. Mais c'est la surveillance de l'état des Paladions qui reste ta tâche principale.

— Compris. »

Monsieur Sig hocha la tête en souriant :

« Allez, haut les cœurs ! Tu t'en sortiras très bien ! Au début, le drone répondra un peu différemment du fait qu'il se trouvera sous la surface de l'océan. Les tourbillons te déporteront un peu, mais garde de la distance avec les combats et tout devrait bien se passer. »

Le garçon n'était pas si sûr :

« J'aurais bien aimé pouvoir avoir au moins une simulation sous la surface... murmura-t-il.

— Je comprends. Mais LucidOre n'a pas été très clair sur le site... Quand les commerciaux parlaient de hauts fonds, nous avons pensé que le niveau du fluide serait plus bas... mais Ayrith et Varen sont déjà intervenus dans ce style de situation et je leur fais confiance pour bien s'en tirer. »

Il marqua un temps de silence avant d'ajouter :

« Je l'espère, du moins... »

Lukas ne sut que répondre ; il décida d'aller se préparer, avec l'aide de Shimmer qui était resté sagement silencieux durant tout l'échange.

Lukas grimpa en selle ; dans la simulation, la machine qu'il avait l'impression de chevaucher présentait les mêmes réactions et la même répartition de poids que l'appareil. Il n'en était pas de même pour le drone : celui-ci ressemblait à une sorte de raie volante, dont les yeux pédonculés étaient autant de caméras. C'était un peu étrange de transposer les sensations du module de pilotage à celles de l'engin, mais il avait pu s'y habituer dans une certaine mesure lors des essais des jours précédents.

Il posa les mains sur les commandes et plaça ses pieds sur les étriers, prêts à diriger la machine dès qu'elle serait sortie de son habitacle sous le pont supérieur. La trappe s'escamota et le drone remonta automatiquement, guidé par l'ordinateur jusqu'à sa mise en position à l'arrière de la barge. Le garçon, à qui le dispositif rappelait douloureusement celui qui contrôlait le trafic de Stellae, avait du mal à rester calme en attendant d'être enfin maître de ses mouvements – s'il pouvait parler ainsi.

Il s'éleva au-dessus des flots, s'extasiant de la vision que les caméras lui offraient : déjà, la plate-forme de la barge descendait les deux Paladions d'Armatis. Le Colossus lui adressa un geste de la main tandis qu'ils allaient prendre leur position ; les deux machines ressemblaient à des jouets à côté des énormes engins de LucidOre ; elles disparurent bientôt sous les remous. Lukas réalisa qu'il pouvait contrôler de nouveau le drone : il suivit ses collègues, planant juste au-dessus de leur tête, tandis que la plate-forme les emportait sous les tourbillons de Margarita.

Non sans appréhension, il vit se rapprocher la surface bouillonnante de Margarita. Elle renvoyait la lumière du ciel avec un reflet argenté, légèrement irisé ; ce qui se passait en dessous restait totalement invisible, comme les profondeurs d'un miroir. Il avait l'impression qu'au lieu d'y plonger, il se fracasserait en millier d'éclats sur les vagues de fluide. Le garçon dut se retenir de fermer les paupières... Il n'était pas totalement sûr de ne pas l'avoir fait ; il sentit à peine un à-coup quand le drone pénétra dans les flots... Et un nouveau monde s'ouvrit à ses yeux, dont il n'avait même pas soupçonné l'existence.

Contre toute attente, les profondeurs étaient lumineuses, comme si le fluide lui-même était constitué de clarté liquide. Le sol se couvrait d'une couche de sable blanc dans laquelle les pieds des Paladions s'enfonçaient. De longues lanières qu'il supposait végétales flottaient paresseusement, et des bancs de petites créatures aux couleurs de joyaux, toutes aussi bizarres les unes que les autres, y voletaient comme des essaims de nautaériens ; certains, qui ressemblaient à des baguettes avec une tête renflées et des flagelles comme des feuilles ondulantes au bout du corps, semblaient fascinés par le revêtement chromé de l'Ayrith. Le Paladions argenté les chassa d'un geste agacé.

Alors qu'il contemplait ce nouveau monde étrange, il réalisa que le courant était en train de le déporter sur le côté ; il corrigea sa position, presque inconsciemment. Il avait vraiment l'impression de se trouver là, avec Ayrith et Varen, et non dans une salle de commande dans les profondeurs de la barge. Un peu plus loin, il distinguait des Paladions de différents modèles, certains aussi massifs et primitifs que le Kobold, d'autre aussi utilitaires que le Colossus, et certains, plus rares, esthétiques et profilés comme le Black Knight et l'Ayrith. Il suivit ses collègues qui allaient prendre leur place, juste derrière la rangée des Titans de LucidOre.

« Tenez-vous prêts, les garçons, lança Vodo dans le communicateur, LucidOre va transmettre sur vos relais les images constituées par ses capteurs. »

Lukas eut à peine le temps de réfléchir à la signification de ce que venait de dire le mécanicien ; par-dessus l'image que lui transmettaient les caméras du drone, en apparut subitement une deuxième, transparente, qui indiquait la position des différents Paladions et du complexe. Il pouvait à loisir zoomer dessus, l'éteindre ou la rappeler. Des témoins plus lumineux signalaient le Colossus et l'Ayrith.

Soudain, il entendit les haut-parleurs dans ses oreilles retentir :

« Ayrith, lança la voix de Vodo, les consignes de placement ont changé !

— Comment ça ? s'étonna la voix synthétique du plongeur.

— Varen ne bouge pas, mais il semblerait que tu doives te diriger vers la zone AF07... Encore un coup de ces charognards !

— C'est un problème ? demanda Lukas, un peu surpris. À part le fait qu'ils seront séparés ?

— À cet endroit, il y a un chenal plus profond. C'est l'un des points les plus exposés de la ligne interne, répondit le mécanicien d'un ton acide. Et devinez pourquoi Ayrith a hérité de ce gros lot ?

— Parce que... s'il lui arrive quoi que ce soit, aucune assurance ne lui devra rien ?

— Exactement.

— Et vous attendez quoi ? intervint Ayrith non sans provocation. Que je refuse ?

— Oh, non, répliqua Vodo, sarcastique. Si on peut dire quelque chose de positif à ton égard, c'est que tu as de la suite dans les idées, même si ce n'est pas toujours dans la bonne direction... Est-ce qu'il nous est permis de te dire d'être prudent, ou cela ne sert à rien de toute façon ? »

Un lourd silence pesa ; le garçon s'étonna de ne pas entendre monsieur Sig récriminer une nouvelle fois contre le choix du jeune homme, mais son mutisme absolu avait des échos de réprobations, de révolte, voire de souffrance. Lukas avait beau savoir qu'Ayrith ne le faisait pas volontairement, mais il semblait avoir un don pour accaparer l'attention de tous. Et la détourner des autres... par la même occasion.

« Lukas, déclara enfin Vodo, sans doute après un échange en aparté avec le directeur, tu colles au train de l'Ayrith !

— Et le Colossus ? demanda-t-il, même s'il connaissait la réponse.

— Ne t'en fais pas pour cela, Lukas, dit Varen du ton serein qui le caractérisait. Il n'y a que peu de danger de mon côté. Garde un œil sur cette tête de pioche ! »

Lukas hocha la tête, avant de réaliser que personne ne pouvait le voir. Il soupira mentalement : voilà qu'il allait devoir servir de chaperon à Ayrith. Joie et bonheur.

« Bonne chance, Lukas », ajouta Shimmer d'un ton un peu lugubre.

Lukas n'eut pas le cœur à le remercier.

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