15 - Le drone (deuxième partie)

Quand on lui avait parlé de pilotage de drone, Lukas avait cru qu'on allait l'installer devant l'un des écrans qui couvraient la pièce, mais le mécanicien commanda l'ouverture d'une porte discrète dont le garçon n'avait pas remarqué l'existence. À l'intérieur, se trouvait...

... un motoglisseur !

... ou, du moins, un engin qui en avait toute l'apparence, sauf pour la suspension magnétique qui avait été remplacée par des vérins mécaniques. Sur un plateau juste à côté était posé un casque de réalité virtuelle. Lukas laissa échapper un sifflement de surprise ravie, et Vodo un petit rire satisfait.

« Est-ce que... je peux ? » demanda-t-il en désignant l'appareil, peu gêné de l'accent suppliant dans sa voix.

— Nous avons des programmes de simulation, si tu veux tester. »

Il se sentit sourire d'une oreille à l'autre :

« Volontiers !

— Alors, vas-y, grimpe ! »

Il ne se fit pas prier. L'assise était confortable, en tout point similaire à celle d'un motoglisseur classique. Il plaça les mains sur le guidon, effleurant les commandes du bout des doigts.

« Qui a eu cette idée ? demanda-t-il en se tourna vers Vodo.

— Sig et moi, il y a déjà quelques années de ça. Cluz nous a trouvé les pièces et nous a aidés à le construire. C'est clair qu'un infusé ou un naturel n'aurait pas besoin de ce genre de truc, mais le motoglisseur, c'est ce qui nous semblait le plus évident et instinctif, pour des gens normaux comme toi et moi.

— C'était une sacrée bonne idée ! »

L'enthousiasme du garçon fit sourire Vodo, qui lui passa le casque de réalité virtuelle :

« Tiens, enfile-moi cela. Je te mets un programme de simulation ?

— Quand vous voulez ! » répondit-il joyeusement.

Lukas plaça le casque sur sa tête ; la visière se rabattit devant ses yeux, tandis que l'enceinte sonique descendait au niveau de ses oreilles.

« Paré ? retentit la voix du mécanicien dans ses écouteurs.

— Paré !

— Bien. Je vais rester branché avec toi le temps qu'il faut. J'ai accès à l'image que tu vois sur l'holocran. Ce n'est pas aussi immersif que pour toi, mais je vais pouvoir te conseiller. Commence par fermer les yeux... Tu les rouvriras quand tu entendras un signal. »

Lukas obéit, abaissant les paupières ; un léger tintement lui annonça le chargement du paysage virtuel. Quand il les releva, il ne put s'empêcher de laisser échapper un « waouh ! » de surprise émerveillée. Il se trouvait au pied d'une immense falaise de pierre d'un blanc bleuté, qui scintillait comme si elle contenait de la poudre de diamant, sur un ponton qui dominait Margarita. L'océan nacré tourbillonnait paresseusement sous un ciel serein. À l'horizon, quelques îles se profilaient dans une légère brume où se mêlaient l'azur et l'or. Une énorme plate forme de forage était ancrée au large, entourée de titanesques Paladions chromés, qui lui parurent d'une technologie particulièrement avancée.

« On va faire un premier essai. Ne fais rien d'exotique pour le moment, teste juste les commandes !

— C'est compris... »

Il referma les mains sur les commandes, caressant le métal couvert d'une couche souple plastifiée. Quand il serra les doigts, l'engin bondit pour plonger droit vers Margarita. Il redressa brusquement, sentant la machine se cabrer et grimper sous lui. Il avait beau se dire que ce n'était que la restitution des vérins, il avait vraiment la sensation de planer au-dessus des vagues irisées.

« Eh, doucement, tu n'es pas là pour faire la course !

— Qu'est-ce qui se passe si je m'écrase ?

— Tu recevras une décharge électrique... »

Lukas se crispa sous le coup de l'appréhension ; l'appareil fit une embardée en dessous de lui.

« Calme-toi, c'était une plaisanterie !

— C'est malin, grommela-t-il.

— Tu ferais mieux de te concentrer, là tu vas filer droit vers les nuages et ce n'est pas ce qu'on te demande. Tu es là pour assurer la surveillance des Paladions, alors va leur tourner autour et... attention ! »

Un vol de nautaériens d'un bleu métallique surgit sur sa droite, lui coupant le chemin.

« Ne vous inquiétez pas, j'ai vu ! »'

Il manœuvra habilement autour des volatiles, incurvant sa trajectoire pour filer vers la plate-forme.

« Pas mal, jugea Vodo, un sourire dans la voix. Tu te défends. »

Bien sûr qu'il se défendait... C'était tout de même son domaine ! Même s'il avait une sérieuse concurrence. Il songea à la conduite fluide d'Ayrith, mais surtout aux prouesses de Blue sur son Xtrace. Le garçon se demanda de quoi étaient capables ses collègues : Sila, Varen et Shimmer possédaient leurs propres motoglisseurs, après tout. Il imagina la jeune fille à la peau sombre, avec l'une de ses tenues provoquantes, perchée sur une machine aussi noire et prédatrice que le Black Knight...

« Reste concentré ! » lui rappela sévèrement Vodo.

Un peu confus, il redressa le « drone » et rectifia sa trajectoire en direction de la plate-forme. Il en profita pour se familiariser un peu plus avec les commandes. La seule différence de l'engin virtuel avec un motoglisseur était sa capacité à monter en altitude et à redescendre au niveau du sol. Il s'amusa à tracer des figures en se dirigeant vers l'installation : elle était gigantesque, autant que celle qu'il avait vue dans le reportage la veille de sa déchéance. Les répulseurs avaient été coupés ; elle avait déployé ses robustes piliers métalliques. Il ne put s'empêcher de la comparer au socle de Stellae : une véritable ville semblait s'élever à sa surface : bâtiments d'administration et quartiers de vie, zones de stockage du matériel de forage, de traitement et de conditionnement... Il se demanda comment il pouvait rester de l'argentium à prélever dans les profondeurs de Cyrga, quand de telles structures étaient à l'œuvre. Et il ne s'agissait que d'un modèle virtuel, songea-t-il en tournant autour de la plate-forme.

Mais les Paladions lui parurent plus énormes encore : ils faisaient bien deux fois la taille du Kobol. Comment des masses si imposantes parvenaient-elles à bouger ? Avaient-ils été construits en proportion des ennemis qu'ils affrontaient ? De telles créatures, en plein glitz, pouvaient probablement se révéler d'une dangerosité extrême.

Il s'amusa à serpenter autour des gigantesques machines, savourant le sentiment de vitesse tout en sachant qu'il n'était que partiellement physique. Le soleil était monté dans le ciel, la lumière se faisait plus dorée. Sur la structure, les employés commençaient à sortir des bâtiments : à cette distance, il s'agissait de figures indistinctes en combinaison de travail, mais il ne doutait pas un seul instant de leur apparence très réaliste. Il se demanda ce qui se passerait s'il posait le « drone » sur la plate-forme. S'approcheraient-ils pour lui faire la conversation, ou l'inviteraient-ils à boire un verre avec eux ? Il ne put s'empêcher de rire à cette pensée ; de toute façon, le programme possédait sans doute ses propres limitations qui ne le laisserait pas descendre du drone.

« Allez, déclara la voix de Vodo, ça suffit pour aujourd'hui ! Tu dois rentrer maintenant. Mais ce serait bon que tu fasses quelques sessions supplémentaires dans les jours qui viennent, même si tu te débrouilles déjà très bien. Surtout en situation de défense ! »

— D'accord, Vodo ! Mais... comment je fais pour rentrer ?

— Tu dois trouver un site d'atterrissage.

— Sur la plate-forme ?

— Eh bien... essaye ! »

Il incurva le drone en direction de la gigantesque ville d'acier, mais il se trouva dans l'impossibilité d'approcher, comme si le « drone » patinait. Il grommela de frustration et se résigna à revenir vers la falaise, posant sans problème l'engin sur le ponton d'où il avait décollé. Il fut presque tenté de lever les mains pour déverrouiller son casque, quand une alerte semblable à la dernière retentit.

« La procédure de déconnexion est lancée. C'est bon pour toi ?

— Impeccable ! Merci, Vodo.

— Ferme les yeux. »

Lukas obéit ; il sursauta légèrement en sentant une main se poser sur son épaule. Le casque se déverrouilla ; quelqu'un le lui ôta. Quand il rouvrit les paupières, il tomba face à face avec Vodo, dont l'image semblait osciller bizarrement. Le mécanicien le regarda d'un air goguenard :

« Normal que tu sois déstabilisé pendant un moment. Vas-y doucement pendant une heure ou deux, ça ira mieux après. »

Il faillit répondre que tout allait bien, mais quand il essaya de mettre pied à terre, il eut le plus grand mal à coordonner ses mouvements. Vodo dut l'aider à descendre du module de pilotage ; il attendit que le garçon ait retrouvé son équilibre pour le lâcher.

« Ça va aller ? »

Lukas hocha la tête :

« Je pense que oui », répondit-il en clignant des yeux.

Il ressentait un vague regret d'avoir dû quitter ce paysage grandiose pour retrouver cette petite salle à l'intérieur de la barge.

« Tu devrais aller faire un peu d'exercice, ça te délassera, et de plus, ça te permettra de retrouver plus vite ton équilibre et tes réflexes. »

Il acquiesça et se dirigea vers la porte ; mû par la curiosité, il se retourna, juste avant de sortir :

« À part vous, personne d'autre ne l'a employé ?

— Sig, parfois, et aussi Shimmer... mais c'est assez rare.

— Jamais Ayrith ? C'est un très bon pilote lui aussi ! »

Vodo replaça soigneusement le casque sur son support avant de répondre, d'une voix hésitante :

« Ayrith... n'est pas à l'aise avec les univers virtuels, il y réagit... étrangement. Va savoir pourquoi... Je suppose qu'il pourrait piloter directement le drone, sans passer par ce module, mais mieux vaut être prudent... »

Cette réponse vague suscita la curiosité de Lukas, mais il décida de s'en contenter pour le moment. Il hocha la tête en guide de salut et se dirigea vers sa chambre. Il aurait dû être ravi de savoir qu'il montrait de bonnes dispositions dans une fonction qu'Ayrith ne pouvait pas assurer. Et cependant, il ne se sentait pas si triomphant ; après la réunion du matin et les bribes d'information qu'il commençait à glaner, il n'était plus si envieux du plongeur aux cheveux bleus.

Il chassa rapidement ces idées de son esprit, et décida d'aller se reposer un peu avant de suivre le conseil du mécanicien.

Il se surprit à sourire en marchant dans le couloir ; pour la première fois depuis son arrivée, il pouvait remplir une tâche qui lui convenait parfaitement, mieux qu'à quiconque sur la barge. Il espérait qu'il serait à la hauteur quand il devrait manœuvrer le drone lors d'une véritable mission.

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