Chapitre 5 ~ Partie 3

Ma première nuit dans cette immense demeure a été mitigée. Je me suis réveillée à plusieurs reprises à cause des bruits du château dont je ne suis pas encore habituée. La troisième fois, je suffoquais, paniquée de me trouver en terre inconnue, et non pas dans mon propre lit. J'ignore l'heure à laquelle je me suis officiellement levée, ça m'effraie un peu. Bien évidemment, j'ai cogité au sujet de mes parents, songent à des scénarios les plus fous. Il faudrait que je questionne Charles à ce propos, après tout, mon oncle et lui sont amis, il pourra probablement m'éclaircir.
J'ai trouvé sur mon bureau un nouveau plateau avec un petit déjeuner copieux : de l'avoine avec du lait, quelques viennoiseries ainsi qu'un jus d'orange. Un mot m'indiquait que Siloé viendrait me rejoindre sous peu, le temps que je mange et me change avec les vêtements qu'il a déposé sur le paravent.
A présent, je suis vêtue d'un tee-shirt en coton ainsi qu'un pantalon en lin. J'ai gardé mes baskets pour plus de confort, consciente que l'association doit être épouvantable.

Siloé toque à ma porte, signalant sa présence. Aujourd'hui, son visage paraît plus détendu. Lorsqu'il me contemple, il sourit, serein. Je n'avais jamais remarqué la profondeur de ses yeux verts... Je secoue la tête, on a un programme chargé ! Je vais rencontrer le personnel du château et découvrir ainsi leurs métiers. Je suis pressée à l'idée d'en savoir plus sur Oneiros, ses rouages, ses habitants... Siloé m'emmène de nouveau au sein de la grande salle, où des dizaines et des dizaines de personnes patientent en ligne droite. Nous montons sur une petite estrade lorsque mon allié s'éclaircit la voix :

- Bonjour. Merci à tous et à toutes pour votre venue. Je vous présente Mérida, notre nouvel espoir. Je n'ai pas besoin de vous rappeler de l'accueillir convenablement, je sais que vous le ferez très bien. La seule requête que je vous transmets est de limiter au maximum les rumeurs concernant son arrivée. J'aimerais qu'elle profite des environs sans qu'elle ne soit abordée. Peut-être voudrais-tu adresser quelques mots ? se tourne-t-il en ma direction.

- Euh, oui. Bonjour. Merci de me recevoir entre vos murs. J'ignore l'ampleur de ma mission ni son but premier, mais je ferais de mon mieux pour la remplir et vous satisfaire.

Ils m'applaudissent, pendant que le pourpre me monte aux joues. A tour de rôle, chacun vient me serrer la main, j'écoute attentivement leurs paroles.

- Bonjour madame, ravie de faire enfin votre connaissance ! Je m'appelle Athénaïs, la cuisinière officielle d'Oneiros. Le reste de mon équipe est occupée aux fourneaux. Sachez qu'ils sont fort enjoués de se présenter à vous. J'espère que nous saurons vous faire apprécier notre nourriture. Les gibiers sont chassés sur nos terres, et les poissons importés. Si vous avez des questions en particulier, n'hésitez pas, à votre service !

- Tout le plaisir est pour moi, entonné-je.

Athénaïs est une femme petite, de forte corpulence. Elle porte une sorte de chapeau en lin sur sa tête. Ses joues rebondissent lorsqu'elle esquisse un rictus. Elle dégage une belle énergie. Je crois que nous allons bien nous entendre.
Je rencontre par la suite une poignée de servantes, des messagers, un comptable... il y a tellement de monde que ça me donne le tournis. Alors que je croyais l'entrevue achevée, puisqu'ils sont tous partis de fil en aiguille, un homme débarque à grands pas. A vue d'œil, je supposerai sur un garde. Ce sont ses vêtements qui me mettent la puce à l'oreille : il arbore une côte de maille dans le haut, ainsi qu'un pantalon renforcé. Sapristi, il doit crever de chaud là-dessous ! Concernant son âge, je viserai pour la vingtaine, ce qui, bien entendu, est assez jeune pour son statut. Je lorgne sur sa tresse de cheveux châtains, ô grand jamais je n'ai réussi à dompter les miens de la sorte !! Sa barbe fournie a elle aussi le droit à une tresse, cependant moins conséquente et moins grande.

- Pardonnez mon retard, une querelle à régler, explique-t-il à l'intention de Siloé. Oh, vous devez être notre chère Mérida. Enchanté.

Il plie un genou à terre, signe de respect, puis se relève, me dépassant d'au moins deux têtes.

- Nasim sera ton garde attitré.

- Grosso modo, où tu fouleras, j'irai ! ricane-t-il.

- Tu arrives pile à temps. Je vais rejoindre Charles, je vous laisse donc faire connaissance. A tout à l'heure ! lance à la volée Siloé

Il nous quitte, empruntant une autre porte que par laquelle je suis passée.

- Et si nous allions nous promener ? Ce serait dommage de ne point profiter de ce magnifique soleil !

L'air m'apaise énormément. J'ai l'impression que c'est la seule chose de vraie ici. Tout me semble irréaliste. Me voilà dans un Royaume coincé dans l'époque médiévale...
Nasim est plutôt silencieux, ce qui est agréable. Au loin, j'aperçois la forêt, à la fois différente et semblable à la mienne. Mon baby-sitter intercepte mon regard et me déconseille de m'y aventurer. Apparemment, c'est le repère de créatures malveillantes y compris des djinns dont on ne m'a rien appris à leur sujet.
Cassien surgit dans mon esprit. Qu'en est-il de lui ? Comment a-t-il digéré les informations ? A-t-il rejoint Matthew ? Où se cachent-ils ? Je ne sais rien, ni quand je rentrerais, ni comment sauver ce peuple. C'est mon deuxième jour ici, si je me laisse aller, je n'y parviendrai pas.
Du coin de l'œil, j'inspecte Nasim en train de s'essuyer son front trempé.

- N'y a-t-il pas un point d'eau où se rafraichir ? proposé-je.

- Si, derrière les remparts.

La rivière est claire, c'est tentant d'y sauter et de s'y baigner. Malgré cette envie, je m'assois à même le sol, retirant mes chaussures, engouffrant mes pieds. Nasim est prostré près de moi, surveillant les environs.

- Vous ne vous asseyez pas ?

- C'est que je ne suis pas autorisé à m'abandonner à cette distraction, soupire-t-il. Mon devoir est de veiller sur vous.

- Vous pouvez très bien me surprotéger en étant assis.

- Mérida, je ne vous surprotège pas. Ce dispositif agit en votre faveur, en aucun cas le contraire. Des tas de créatures rodent dans le coin à l'affut, pour vous égorger à la moindre occasion. Pour l'instant, vous n'avez pas été entraînée au combat, mais cela ne saurait tarder.

- Vous pensez vraiment que je suis apte à sortir ce royaume des griffes d'ennemis ?

- Ce à quoi je songe n'a pas d'importance. Ce qui importe sont votre savoir et votre combativité.

- S'il-vous-plaît, pas de ça entre nous. Je veux dire, vous avez quoi ? Vingt ans ? Vous êtes jeune et...

- Où voulez-vous en venir ? me coupe t-il vivement, sans cependant d'once de mépris.

- Ce que j'essaie d'expliquer, c'est que je n'ai que dix sept ans. Vous n'avez guère l'utilité d'user de formalités avec moi, ni d'être aussi... rigide.

- Je travaille pour Oneiros depuis mes treize ans, si ce n'est pas plus. En sept ans ici, jamais je n'ai su me comporter d'une autre manière. Quant à vous, je ne vous connais pas suffisamment pour juger ce dont vous êtes ou non capable, bien qu'avec du temps et de l'entraînement, vous parviendrez à vos fins. Vous acceptez une situation délicate, de ce que je constate, vous n'avez pas fuis. Vous avez les épaules pour gérer, confesse-t-il en s'asseyant à mes côtés.

- Etant donné que nous partagerons du temps ensemble, pourquoi ne pas se tutoyer ?

Toutefois pas habitué à cette pratique, Nasim accepte avec soulagement. J'apprécie le calme qui n'est pas gênant entre nous. Le garde me conseil de profiter de cette tranquillité, apparemment il n'en sera pas toujours ainsi.
Finalement, nous partons une bonne vingtaine de minutes plus tard pour l'heure du repas.

Cette après-midi, Nasim échange sa place avec Siloé, il a prévu de m'emmener aux écuries et de me montrer la ferme environnante.
L'écuyer se nomme Jean, il n'est pas très bavard, préférant largement la compagnie animale qu'humaine. Il nous apprend que le plus vieux cheval de l'enclos a trente ans ! J'ignorais qu'un équidé pouvait vivre jusque-là. Nous faisons le tour de l'élevage de poules, de bovins, avant de revenir sur nos pas. Petit à petit, je croirais vivre dans les livres d'histoires et de géographie que l'on nous enseigne durant la scolarité. Seulement, c'est largement plus imagé ici !! Siloé me raconte que depuis la fuite du Roi et de la Reine, tout est à l'arrêt. Les chevaux qui auparavant sortaient beaucoup sont réduits à s'ennuyer dans les prés.

- Je ne t'ai pas seulement accompagné ici dans le but de te présenter à Jean, en réalité, tu vas choisir ton propre cheval. Il t'accompagnera dans tes aventures.

- Quoi ?? Vraiment ?! m'exclamé-je excitée. Mais je ne sais même pas monter à cheval !

- Je t'apprendrai, promet-il en posant sa main sur mon épaule, ce qui me provoque étrangement un frissonnement. Tu as dix chevaux dans ces boxs, à toi de jouer !

Comment « choisir » un cheval, ça, je n'en ai aucune idée. J'admire chacun d'entre eux, analysant leurs comportements. Leurs robes sont pour la plupart similaire ; d'après Jean, ils sont alezans. De longues minutes de réflexions après, je jette mon dévolu sur une splendide Camargue. C'est la seule qui a daigné sortir ses naseaux pour me dire bonjour. Siloé approuve mon choix, d'après ses informations, Moondust se révèle très docile et douce, ce qui est à priori parfait pour une débutante comme moi. Il me propose alors de partir en balade.

- Maintenant ?

- Et pourquoi pas ? Je vais te chercher le matériel, ne bouge pas.

Siloé revient avec tout un attirail dans les bras : brosses, harnachements... Il me présente la brosse pour les crins, celle pour les poils, ainsi que le cure pieds pour les sabots. Je m'attèle à la tâche non sans dissimuler le plaisir que cela me procure. Moondust se tient tranquille, ce qui me rassure grandement, j'ai toujours cette peur que ces bêtes ripostent en administrant des coups de sabots. Je ne tiens pas à me retrouver couverte de bleus !
Le pansage terminé, Siloé m'aide à poser la bride, repoussant les lèvres pour que le mors puisse passer dans la bouche du cheval. Nous mettons le tapis, juste avant le garrot qui est une partie sensible, et ajustons la selle. Tout en réglant les étriers, il boutonne fermement la sangle.

- Alors, tu vas poser ton pied gauche ici et la droite de l'autre côté. D'abord avec le gauche tu vas pousser très fort pour te mettre en selle. Vas-y en douceur, le principe n'est pas de fragiliser son dos.

Il contribue à me hisser, sa main comme appui solide sur ma cuisse. Wow, c'est vachement haut ! Je sursaute en poussant un cri, surprise par le hennissement de Moondust. Siloé éclate de rire en balançant sa tête en arrière. Je me surprends à fixer sa pomme d'Adam, roulant sous son menton.

- Arrête de te moquer de moi ! rétorquais-je faussement vexée.

- Je ne me moque pas, j'ai trouvé ça mignon, se défend-il, rougissant. Bon, pour le début tu vas uniquement te tenir aux crins, je prends les rênes.

- Elle ne va pas avoir mal ?

- Non, aucun risque. Prête ? On va aller au pas.

Je hoche la tête en guise de réponse. La sensation de mouvements est déstabilisante, mais pas dérangeante. Les sabots de Moondust claquent en rythme sur le sol en terre. Nous longeons les champs, croisant parfois un ou deux habitants. Mon baptême se déroule plutôt sereinement, je commence à apprécier cette occupation. Ces dernières quarante huit heures ont une saveur incroyable. Je m'initie à des activités que je n'aurais jamais effectué dans mon monde. C'est comme si tout était plus pur, véridique, avec du sens... Alors certes, les sacrifices sont lourds puisque je me sépare de Molly, Stephan, mes amis, pour une durée indéterminée. En parallèle, je découvre des tas de trucs enrichissants. Je pourrais y prendre goût... C'est vrai, l'air n'est pas pollué, les bruits parasites n'existent pas, les animaux vivent en paix... La menace d'ennemis plane, il est hors de questions qu'ils s'emparent de ces terres. S'ils y arrivent, tout ce qu'ils réussiront à construire naîtra du chaos et des effets néfastes du pouvoir. J'ai suffisamment lu de livres pour comprendre la noirceur d'une personne en quête d'emprise sur un peuple, et ça ne se finit jamais bien. 

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