Chapitre 4 ~ Partie 2

La rue est vaste, chaque pavillon se ressemble. De plus, je ne connais pas suffisamment la ville pour me réfugier dans un endroit sécuritaire. Quelle idiote ! Où-est-ce que je croyais aller, surtout sans téléphone ni argent ! Je me frappe le front, fulminant. Je finis par m'arrêter dans un petit parc. Je suppose que ce doit être ici que les gens promènent leurs chiens. Essoufflée, un banc devient mon meilleur allié. Aucun plan jusqu'ici ne tient la route, encore moins celui de rentrer chez mes parents. Je ne suis psychologiquement pas prête pour affronter Cassien. Depuis qu'il m'a exposé ses sentiments amoureux, ma perception de lui a totalement évolué dans le mauvais sens. Au fur et à mesure, mon ami de toujours se métamorphose en inconnu. Hier encore j'ai reçu un texto à connotation agressive. Je crois qu'il n'apprécie guère le fait que je ne partage pas les mêmes envies que lui ou bien que je n'accorde aucune confiance en son ami. Néanmoins je ne peux m'empêcher d'être attristée par la situation désolante. A partir de notre dispute, un nœud s'est formé à l'intérieur de ma gorge. Dès que je songe à ma forêt qui me parait lointaine, à mon amitié déchue, les larmes montent automatiquement. Mentalement, les derniers événements ont été éprouvant. La solitude est pesante, personne ne me comprend vraiment. De toute manière à qui de sensé pourrais-je me livrer ? Carole ? Hors de question, elle ne comprendrait pas.
Vaincue, je soupire de frustration. Je dois me rendre à l'évidence : rebrousser chemin est pour l'instant la seule solution que j'ai. Résignée, je quitte ma place, réfléchissant à la façon d'éviter les individus avec qui je partage le même toit.
Une main se plaque brutalement sur ma bouche, coupant toute tentative de crier. Un autre bras oppresse ma taille. Paniquée, je mords sans vergogne le doigt de mon agresseur qui pousse un grognement sourd en resserrant son emprise. Je lance des coups de pieds à l'aveugle, dans une tentative désespérée afin de me libérer, en vain. C'est peine perdue, mes mouvements ne suffisent pas à l'atteindre concrètement. Un violent coup sur ma tête s'écrase et mon corps s'affaisse. Inconsciente, mes pupilles se ferment.

*

Aïe... on dirait que j'ai bu non-stop pendant vingt-quatre heures tellement que je souffre d'une migraine. En ouvrant mes paupières, je crains dans un premier temps d'être aveuglée : je ne distingue rien. La pièce est complètement noire, ne filtrant aucune lumière si ce n'est un raie passant en dessous de la porte. Hormis ce détail, j'imagine que la pièce est dépourvue de meubles. Mon état physique est bien trop faible pour m'aventurer dans une quelconque exploration. Nauséeuse, je vomis mon dernier repas sur le sol, retombant ensuite dans un lourd sommeil.

- Je t'en supplie, aide-moi.

Depuis la dernière fois, j'ai tenté de réaliser des rêves lucides, essuyant les échecs à la pelle. Maintenant, en ressentant un danger, je puise dans mes ressources pour y parvenir. Et ça fonctionne !
Siloé se trouve dans une chambre ancienne, ornée de tableaux, de murs en pierre et d'un grand lit à baldaquin. Les tentures sont repoussées.

- Siloé... murmuré-je. On... on m'a kidnappé. J'ignore où, qui, pourquoi...

- Mérida. Je déploie l'ensemble de mes moyens pour te retrouver au plus vite. Matthew. C'est lui ton ravisseur. Ne lui adresse la parole sous aucun prétexte. Je me dépêche, tiens bon...

L'image s'efface pendant que la noirceur réapparait. Je me réveille, ayant perdue la notion du temps. Apeurée, je tends l'oreille à la recherche de bruits ordinaires qui m'indiqueraient où je suis... Le néant, silence total. Mon corps tremble, sensible. Souffrante, je pousse un gémissement douloureux. L'odeur du vomi s'est amplifiée, ainsi que celle du sang. Serait-ce le mien ?! Il va vraiment falloir que je bouge... Avec des gestes lents, je me lève, titubant, un pied devant l'autre. J'inspire profondément, reprenant peu à peu mes esprits. Première étape : repérer les murs et la densité de l'espace. Les secondes s'écoulent et, à tâtons, je touche enfin une surface dure, froide. Je me rapproche de la porte, elle est bien évidemment fermée. Soudain, des bruits de pas claquent contre le sol. Je me recule, mes jambes cèdent sous mon poids. La lumière pénètre dans la pièce, dévoilant un matelas miteux, tâchés. Les murs sont d'un gris pâle. Il n'y a aucune fenêtre, pas d'échappatoire à portée de mains, ce qui est très inquiétant. Bon sang, où est ce que je me trouve ?! C'est sans surprise que Matthew s'avance, un sourire machiavélique et triomphant sur les lèvres. Lui qui se faisait passer pour un ange, son visage s'affiche plus sévère. Ses yeux sont plus foncés, révélant sa noirceur intérieure. La force quitte mon corps, je vais être incapable de me battre, même si j'ai réussi à me relever. Seuls nos respirations bruyantes résonnent. Son regard qui me fixe est effrayant.

- Te voilà ! Toi, la femme soi-disant forte et têtue est prise dans mes filets, ricane-t-il.

- Siloé avait raison à ton sujet. Tu n'es pas digne de confiance, et en plus tu manipules des gens qui n'ont rien demandé. Fiche la paix à Cassien !

- Oh, mais je t'assure que Cassien agit en son propre intérêt. Tu as misé sur le mauvais cheval, on dirait.

- A choisir, Siloé est plus sain d'esprit qu'un décérébré de ton genre !

- Pauvre idiote !!! hurle-t-il, les joues cramoisies.

Le choc est brutal : sous le coup de la violence, ma lèvre inférieure se fend légèrement. Un goût de fer domine ma bouche. Je n'en reviens pas, il a osé lever la main sur moi !

- Que tu le veuilles ou non, tu seras de la partie. Tu renverseras le pouvoir, et je gagnerai.

- Quoi ? Tu parles du royaume imaginaire ? Elle est où Alice courant après le lapin blanc ? Sérieusement, comment un grand gaillard comme toi peut-être aussi débile ?

- Oh, toi alors ! grommelle-t-il en s'approchant dangereusement.

- Ne t'avise surtout pas de lever la main une deuxième fois sur moi, l'avertis-je en le pointant du doigt.

- Et, de quelle manière comptes-tu te défendre avec ton piteux état ?

Bouillonnant de colère, les insultes fusent. Un étrange bruissement de craquements me stoppe dans mon élan, et c'est stupéfaite que j'assiste à l'écroulement d'une partie du plafond. Des dalles assomment Matthew. Ma porte de sortie ! Je profite de cette diversion pour prendre mes jambes à mon cou malgré la peur tenaille et le plomb dans mon ventre. Alors que je tourne à gauche, je frappe de plein fouet le torse de quelqu'un. Lorsque je lève ma tête, je remarque avec soulagement qu'il s'agit de Siloé. Rassurée, je sanglote et enfoui mon visage dans son cou. Réalisant mon geste, je m'écarte rapidement.

- Mérida, tu vas bien ?

Siloé m'examine de haut en bas. Son analyse s'arrête sur mes lèvres. Il les effleure avec son pouce, d'un geste affectueux. Je retiens ma respiration, patientant.

- On... on doit partir, nous ne disposons pas de beaucoup de temps... balbutie-t-il en me prenant la main. Tu te sens capable de courir ? Je ne doute pas que Matthew soit remis sur pieds d'ici quelques minutes.

- Il n'y a qu'un seul moyen de savoir.

A grandes enjambées, nous nous élançons vers la sortie. Durant tout ce temps j'étais prisonnière dans un bâtiment abandonné, taggué, fracturé. Personne n'aurait pu savoir que j'étais ici... Les hauts le cœur reviennent mais je fais impasse dessus. Nous descendons des dizaines et des dizaines d'escaliers jusqu'à atteindre une ruelle étroite. Nous dépassons des poubelles ainsi que des grillages et atterrissons près des quais d'un port. Et maintenant ? Siloé semble lire dans mes pensées, puisqu'il répond :

- Nous devons absolument nous éloigner le plus possible de cette ville. Actuellement, Matthew est à nos trousses. Je ne serai point étonné que Cassien le soit également. Rentrons à ton village, et à ce moment nous aviserons de la suite.

- Comment allons-nous rentrer ? Nous ne détenons aucun moyen de transport, je n'ai pas d'argent sur moi et...

- Charles va venir nous récupérer. Il est en route.

- Quoi ?! Non, ce n'est pas envisageable, refusé-je catégoriquement.

- Alors quoi, Mérida ? susurre-t-il en caressant la paume de ma main qu'il n'a toujours pas lâché. Tu restes à la merci de Matthew ? Charles est un ami, c'est le gardien d'Oneiros, et c'est, en attendant, la seule solution qui s'offre à nous.

- En m'attendant, tu veux dire.

- Ecoutes, esquive-t-il, tu as deux solutions : soit tu me fais entièrement confiance, et j'assurerai ta protection, jusqu'à mourir s'il le faut, soit tu t'engages auprès d'ennemis dont tu n'imagines même pas les choses horribles qu'ils ont commis. Soit réaliste...

- Pardon ? Tu me demandes d'être réaliste ?!

J'éclate de rire. J'ai besoin d'ouvrir les vannes, pour de bon.

- Tu me demandes d'être réaliste alors que tu me contes des histoires sur la magie, sur un Royaume, sur des ennemis... C'est le monde à l'envers !

- Je ne vais pas passer par quatre chemins, petite Rebelle. Jusqu'ici, je ne t'ai pas mentis une seule fois. Les informations que je t'ai révélées se sont montrées vraies, n'est-ce pas ? Je viens de te sauver des griffes de ton ravisseur, et tu arrives encore à douter de moi ? Je ne te veux aucun mal...

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top