Chapitre 4 ~ Partie 1

Recroquevillée sur le canapé, mon oncle Éric et sa femme Olga, me scrutent, attendant une explication sur ma venue soudaine. Prenant mon courage à deux mains, je déglutis péniblement :

- Je me suis violemment embrouillé avec Cassien. Respirer le même air que lui m'étais insupportable.

- Et tu es parti si vite ? Sans emporter aucun vêtement au préalable ? questionne la femme blonde assise en face de moi, haussant un sourcil accusateur.

- Non. Sous le coup de la colère, j'ai oublié.

- Bon. Quelle est la cause de votre dispute ? Ça peut sûrement s'arranger, après tout vous vous connaissez depuis si longtemps. Ce n'est pas définitif, renchérit Éric, soucieux.

- Je crains que ça le soit. C'est... compliqué. Je suis assez fatiguée pour en discuter alors...

- La chambre d'ami du haut est libre si tu le souhaites, propose Olga. Je vais t'apporter des serviettes propres. En revanche, vu que l'on n'a pas la même morphologie, on va te prêter un vieux pyjama de ton oncle. Tu me suis ?

Elle m'accompagne jusqu'au premier étage, ses chaussures à talon claquant contre le parquet. Lorsqu'elle termine la visite des différentes pièces, elle se retire. J'en profite pour me doucher ; le sport de la soirée m'a fait transpirer comme jamais !
Une fois propre, je redescends, vêtue d'un short trop grand pour moi et d'un vieux tee-shirt représentant une voiture de formule 1, et surprend une conversation entre mes deux hôtes :

- C'est une occasion en or ! affirme Éric excité comme un gamin. Je vais l'appeler pour qu'il vienne.

- 'Ric, tu ne crois pas qu'il faille attendre ? Elle est complètement déboussolée. Laissons-lui le temps de s'acclimater à ces nouvelles.

Je me racle la gorge, annonçant ma présence. J'ignore sur quoi, ou qui ils conversaient, alors je ne m'en mêle pas.

- Je... je me demandais si vous accepteriez de m'héberger quelques jours ? Je m'achèterai des vêtements dans les boutiques du coin, papa et maman m'ont donné de l'argent avant de partir. Promis, je serais la plus discrète possible...

- Bien-sûr, Mérida. Tu es chez toi ici, me rassure Olga.

Je hoche la tête, rassurée, puis remonte en haut me reposer.

*

Voilà une semaine que je réside chez mon oncle et sa femme. J'ai pris l'initiative de couper mon téléphone afin de ne plus recevoir de messages ou d'appels en provenance de Cassien, voire de Matthew. Les quelques sms que j'ai lu m'ont suffi. Au début, Cassien renouvelait l'aveu sur ses sentiments à mon égard, qui, au passage, me mettent très mal à l'aise. Depuis petite je l'ai toujours perçu comme étant simplement un ami, un frère, avec qui ça n'irait jamais plus loin. Une partie de moi pense qu'il a été manipulé par sa nouvelle rencontre. Mais jusqu'à quel point ?
Depuis ces sept derniers jours, j'ai tenté de vivre une vie normale, je discutais en appel vidéo avec Carole, la questionnant sur ses vacances, sur sa copine du moment, tout en omettant bien-sûr d'évoquer la case Cassien. D'ailleurs, je ne crois pas que ce dernier lui ai parlé de notre dispute, ni parler tout court puisqu'elle ne m'en a rien fait savoir.
J'ai divagué dans la ville, à la recherche de librairies aussi accueillantes que celle de Barbara, mais je n'en ai guère trouvé. Ici, les rues transpirent le béton, les routes sont goudronnées, et la verdure est rare. J'étouffe. Ma forêt me manque... Le seul bâtiment ayant attiré mon attention est la tour d'un château. Il parait que c'est l'une des plus grandes bibliothèques du coin, bien que la plupart des étages soient fermées au public. Hormis cette distraction, je m'ennuie profondément, chassant mes pensées négatives. Je passe la plupart de mon temps enfermée dans ma chambre provisoire, dessinant ce qui me passe par la tête. Olga travaille en distanciel, donc elle est en permanence dans le salon. Quant à Éric, il part très tôt le matin pour revenir en fin d'après-midi. Son boulot dans le BTP lui occupe ses journées. Lorsqu'il nous rejoint le soir, je sens bien qu'il me zieute. On dirait qu'il se retient de me livrer le fond de ses idées.

Malgré mon éloignement, mes rêves m'habitent toujours, même s'ils apparaissent moins... nets. Siloé me montre souvent Matthew et Cassien, près de mon repère, en train de converser. En revanche, je ne discerne pas leurs paroles. C'est comme si mes songes se brouillaient, que le signal était faible.
Assise sur le rebord de ma fenêtre, je secoue ma tête, un rire jaune au bord des lèvres. On y revient encore, Siloé, mes rêves, les garçons... Dernièrement, je n'ai pas souhaité réfléchir à ces bizarreries, mais tôt ou tard, je serai, d'une certaine manière, forcée d'affronter cette histoire.

Je jette un coup d'œil à ma montre, il n'est pas loin de dix-huit heures trente. Je me suis proposée de cuisiner le repas, pour une fois. C'est surtout ma manière de remercier mon oncle et sa femme pour leur accueil. Leur patience atteindra bientôt leurs limites et je devrais repartir chez moi.
En descendant, j'aperçois Olga assise sur le canapé, ses écouteurs dans les oreilles en train de discuter avec ses collègues. Visiblement, elle est en pleine réunion. Je remarque à son poignet un bracelet en quartz rose. Plus tôt dans la semaine, elle m'a expliqué que les pierres ont des vertus, que ce soit sur le plan physique ou spirituel. Je ne me suis jamais intéressée à ce genre de pratique, je dois avouer que cela m'intrigue. Elle m'a aussi confié qu'elle méditait beaucoup, que cela l'aidait grandement lorsqu'elle se sent submergée par les émotions et les événements qu'elle peut subir au quotidien. Au fond, je comprends, et ne peux que plussoyer. Après tout, j'ai souvent utilisé la forêt comme un calmant, alors méditer, pourquoi pas ?
Je marche sur la pointe des pieds, évitant de causer trop de bruits. En me voyant, Olga m'adresse un grand sourire, révélant ses dents blanches. Je me faufile dans la cuisine, nouant un tablier autour de mes hanches. Plus tôt dans la matinée, j'ai acheté tous les ingrédients nécessaires à la préparation d'un plat de lasagnes, mon repas préféré, soit dit en passant...
Je me focalise donc sur la cuisson de ma viande hachée, ne lésinant pas sur quelques épices, ajoutant une sauce tomate que j'ai confectionné au préalable. Je rajoute dans la poêle un oignon tout en veillant sur ma béchamel. Une fois les étapes validées, je préchauffe le four. Je passe une main sur mon front dégoulinant. La chaleur est de plus en plus étouffante, surtout ici, faute de manque d'arbres.
Alors que j'enfourne les lasagnes, la porte d'entrée s'ouvre sur un Éric joyeux. Il embrasse Olga, qui a depuis bien longtemps fini sa réunion, posée sur le canapé, regardant un film. Il me salue, s'approchant franchement en humant l'air.

- Dis donc ! Ça sent drôlement bon ici.

- J'ai préparé des lasagnes, dis-je fièrement. J'espère que ça vous plaira. D'ordinaire, je ne suis pas trop mauvaise en cuisine. Normalement, nous pourrons les déguster dans vingt-cinq minutes environ.

- Parfait ! Au fait, Mérida, un ami doit passer dans la soirée, m'avertit-il d'une voix enjouée.

- Oh, d'accord. Pas de souci, de toute manière je vous laisserai, je serai probablement en train de lire ou de dessiner.

- A vrai dire, j'aurai apprécié que tu restes avec nous. J'aimerai te le présenter.

- Éric, je ne suis pas sûre que...

- Chérie, le coupe-t-elle d'un geste de la main, ça va aller. 


Je pose mes mains sur mon ventre rebondi. Je crois que mon repas a plu, il ne reste plus rien dans le plat. Olga me félicite tandis que mon oncle se lève, sortant trois petits verres, différents des shooter. Il verse une liqueur de prunelle qu'il a concocté lui-même. Je renifle le contenu. Bon sang, qu'est-ce-que ça sent fort !

- Un petit digestif, pour faire bien descendre le tout.

Je trempe mes lèvres. Le liquide est assez âpre, j'ignore si j'en suis fan... Soudain, la sonnette retentit, et mon cœur s'emballe. Olga lance une œillade inquiète à son mari mais celui-ci se lève précipitamment afin d'accueillir le nouvel invité. Je ne distingue pas bien la silhouette cependant. C'est en pénétrant dans la cuisine que le choc me percute de plein fouet. Lui... Je l'ai déjà vu. Pour rien au monde je n'oublierai son nez grec ou sa chevelure blanche et soyeuse. Il porte de longs colliers ainsi qu'une chevalière à la main gauche. Je racle ma chaise en arrière, abasourdie.

- Je t'avais bien dit qu'elle ne serait pas prête ! accuse Olga en me regardant.

Je les regarde tour à tour. Ce n'est pas possible...Olga et Éric, complices de cette folie ? Et si mes parents l'étaient également ?!

- Bonjour, Mérida. Permets-moi de me présenter : Charles Francisco, gardien du Royaume q...

- NON ! Non non non et non !

- Mérida, tu dois bien avouer qu'en effet la situation est anormale, affirme le vieillard d'une voix graveleuse. Je suis ici pour t'aider à éclaircir tes doutes, puisque Siloé n'a pas réussi sa mission.

- Je ne lui en ai pas laissé l'occasion ! le défends-je.

- Le défaut de Siloé est celui d'être guidé par ses émotions et non par son devoir, pourtant explicite. Il n'a pas désiré te brusquer, je présume, pourtant il sait que le temps est notre ennemi. En revanche, je salue ton courage de t'être échappée de malfaiteurs comme Cassien et Matthew. Tu as trouvé ici le refuge qu'il te fallait, me gratifie-t-il en plissant ses yeux bleus.

- Cassien n'est pas non plus une mauvaise personne ! renchéris-je, le pouls battant à cause de la colère montante dans mes veines. Il... il se fait entrainer par ce malfrat. Il n'a pas le choix, j'imagine...

- Nous avons toujours le choix, Mérida. Cassien a visiblement choisi la voie de la facilité. Bien. Ma venue n'est toutefois pas en rapport avec eux, chaque chose en son temps.

- Je sais pourquoi vous êtes ici. Vous cherchez à me convaincre d'entrer dans vos délires. Et vous, vous le croyez ?! craché-je à l'attention des deux autres personnes présentes dans la pièce.

- Oui, nous le croyons. Nous avons eu suffisamment de preuve concernant Oneiros.

Je fusille Olga du regard. Comment ose-t-elle sombrer dans la débilité ?

- Oneiros ? C'est qui ça encore ??

- Oneiros est le nom du Royaume qui t'attends. Les habitants ont besoin de toi, Mérida. Il est grand temps que tu te remettes à croire en la magie, mais ce n'est pas à nous te t'en dire plus, ce pourquoi Charles est ici.

Je tombe des nues. Ma bouche s'ouvre, trop assommée par ces révélations. Tout d'un coup, une peur vorace me lacère le ventre. Et si on me forçait contre ma volonté ? Ma respiration s'accélère nettement. Olga m'inspecte, à la fois compatissante et méfiante. Il m'est impossible de réfléchir convenablement dû à un atroce mal de tête. C'est souvent lors de moments comme celui-ci que mon corps surréagit... Ils sont tous devenus fous ma parole ! Je ne m'attendais vraiment pas à ce qu'Éric se laisserait embarquer dans ce type de bêtises. Quel rôle joue-t-il dans cette histoire ? Depuis quand est-il au courant et pourquoi mes parents ne sont à priori pas aux faits de l'entière vérité ? Des torrents de questions s'installent dans mon esprit. Quand ceci cessera-t-il ? Ils ont tous les yeux braqués sur moi. Gênée, je chancèle. Bien-sûr que petite je fantasmais sur la magie, sur les contes de fées, mais j'ai grandi, j'ai vu que la réalité est autre que ce qui est décrite dans les livres. La magie n'existe pas, n'a d'ailleurs jamais existé. C'est cruel de vouloir faire croire le contraire. Vaut mieux être hermétique.
Mr. Francisco ouvre les bras, synonyme de paix, en s'avançant. Je recule instinctivement. Je n'ai pas le choix, mais j'abandonnerai mes affaires ainsi que mon téléphone qui sont en haut dans ma chambre. Tant pis. Je bouscule Éric dans ma course, me dirigeant en vitesse à la porte d'entrée. Par malheur, celle-ci a été (délibérément ?) verrouillée. Quel hasard ! Je me rabats dans le salon en ouvrant à la volée l'une des fenêtres. Derrière moi, quelqu'un hurle, j'ai du mal à identifier la provenance de l'avertissement.

- Mérida !! Ne sois pas bête !

Trop tard. Je sautepar-dessus le rebord en atterrissant heureusement saine et sauve dans l'herbe.Décidément, niveau sport, là je suis au maximum...
Bien que le soleil se couche tranquillement, il n'empêche que je transpire àgrosses gouttes, haletant déjà.

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