Chapitre 3 ~ Partie 4

Je croque les dernières bouchées de mon jambon beurre et soupire, lassée. Si on m'avait dit que ma vie prendrait un tel tournant... Perdue dans mes pensées, je ne vois pas arriver Barbara, un livre dans ses mains, pour ne pas changer.
J'étais en proie à un peu de calme, naturellement je me suis tournée vers sa librairie. Barbara est la seule à travailler ici, elle n'a pas d'employé. C'est une charge considérable mais la libraire ne se plaint pas. Chaque jour, elle vit son rêve éveillé. Je l'envie : elle mène une vie sereine, cultive sa passion... Qu'exiger de plus ?
La quarantenaire s'assoit en face de moi, un café fumant sur la table. Elle dépose presque brutalement son bouquin, rechignant. D'après ses dires, elle hésite à mettre en vente cet ouvrage. Je comprends son questionnement en lisant le titre « L'art de la manipulation », par Automne Luches. Je tique sur le nom de famille, tentant de me remémorer où est-ce-que j'ai bien pu l'entendre. Barbara me sort de mes rêveries, expliquant que le contenu est clairement un tutoriel pour manipuler n'importe qui. Quel est le type de personnes pouvant bien acheter cela ? Ma compagne de lecture interrompt mes pensées :

- Tu n'es pas avec Cassien, aujourd'hui ?

- Oh euh, non...

- Il s'est passé quelque chose.

Dans sa bouche, cela sonne plus comme une affirmation qu'une interrogation. Je lui explique brièvement qu'il s'est fait un nouvel ami qui ne m'inspire pas du tout confiance. Pensant que je puisse être jalouse, Barbara me suggère de passer du temps seul à seul avec Cassien. En un sens, son idée n'est pas mauvaise. Peut-être réussirais-je à le convaincre que le comportement de Matthew s'avère suspect. Dès lors, je glisse un mémo dans le coin de ma tête : lorsque je reviendrai à la maison, je lui enverrai un message. Espérons qu'il ne traine pas avec Matthew...

Vers quatorze heures, je retourne dans mon foyer qui a bien besoin d'un grand ménage ! D'ordinaire, je déteste les tâches ménagères. Cependant je dois bien reconnaitre que passer le balai, astiquer la vaisselle et épousseter les étagères vident ma tête. Après ça, j'appelle mes parents pour prendre de leurs nouvelles. Ma mère a bien bronzé, quant à mon père il semble détendu. Je suis heureuse pour eux. Si j'avais su, je serais bien venu avec eux, à me prélasser au soleil, nageant dans les eaux turquoise parmi les tortues. Le début de mes vacances n'est pas de tout repos. Je me retrouverais presque plus fatiguée qu'en période scolaire ! Je profite d'avoir récupéré mon téléphone pour envoyer un sms à Cassien, lui proposant une soirée tranquille, juste lui et moi. Il répond avec un émoji pouce en l'air.

En arrivant, Cassien m'ouvre la porte, me prenant dans ses bras. Je desserre son étreinte puis entre. Sa tante et son oncle ne sont jamais présents, alors il a l'appartement pour lui tout seul. En entrant directement dans le salon, je remarque des bougies allumées, disposées ici et là. Le four est en marche, quant à la télé elle affiche un programme lambda.

- Pizza, ce soir, ça te va ? Quatre fromages pour Madame, Reine pour ma part.

- C'est parfait, approuvé-je d'un signe de tête en prenant place sur le canapé.

Un feeling bizarre s'est instauré entre nous deux, je ne saurais le décrire, mais visiblement, quelque chose a évolué dans notre amitié.

- Je te laisse le loisir de choisir le film pendant que je surveille la cuisson. J'ai sorti les dvd, ils sont sur la table basse.

Je m'approche, triant les thèmes intéressants ou non. Finalement, j'opte pour un film d'action et de braquage. Cassien revient avec les pizzas prédécoupées, me tend un carton et s'installe à mes côtés. Le début du film se déroule dans le silence, seul le bruit de nos mastications résonne.
Une fois les parts ingurgitées, je me cale plus confortablement en réajustant un coussin. Mon ami passe un bras autour de mes épaules et dépose sa tête sur l'une d'elle. Je me crispe, tentant de garder un visage neutre. A quoi il joue ?! Malgré mes efforts pour rester concentré sur l'écran de télévision, je ne peux réprimer un toussotement. Cassien se redresse, arquant un sourcil. Son attitude est inhabituelle. Il se comporte différemment, mais dans quel sens ? Est-ce depuis sa rencontre avec Matthew ? Je n'en ai aucune idée. Soudainement, sans que je ne m'y attende le moins, il attrape mes joues pour... poser ses lèvres sur les miennes ?? Stupéfaite, je le repousse vivement. Il devient rouge pivoine et perdu. Ses yeux se baladent ailleurs, n'osent pas regarder les miens.

- C'est quoi ton problème Cassien ? Tu réalises ce que tu viens de faire là ?

- Euh, je...

- Il va falloir que tu me fournisses plus d'explications. Et de suite, Cassien Lan !

- Je... je croyais qu'en te faisant tomber amoureuse de moi, tu m'écouterais et... tu me croirais... tu nous croirais... Je... je me suis pris à mon propre jeu, c'est moi qui suis tomber amoureux de toi.

- De quoi tu parles bon sang ??? Est-ce que ça a un rapport de près ou de loin avec ton nouveau pote ?

- Oui. C'est lui qui m'a suggéré de t'aborder d'une autre manière, pour que tu sois de notre côté.

Pendant de longues secondes, ma bouche s'ouvre. Stupéfaite, je me lève, les poings serrés contre mes hanches. Une vive colère m'envahit. Ma mâchoire se contracte et je me mords l'intérieur des joues jusqu'au sang, évitant de répliquer une bêtise.

- Je te donne une seule et unique chance pour te rattraper et tout m'expliquer. Maintenant ! exigé-je en haussant la voix.

Cassien se recroqueville sur lui-même. C'est la première fois qu'il est intimidé. Il se ronge les ongles, réfléchissant à quelles paroles employer.

- Oh ça ne va pas te plaire Mérida...

Avant qu'il débute son monologue, les propos de Siloé me reviennent en mémoire. Je dois lui poser cette fameuse question qui me brûle.

- Cassien, est-ce-que Matthew détient des vérités sur tes parents ? Est-ce un moyen de pression qu'il use contre toi ?

- Mérida, comprend-moi...

Je pousse un gémissement d'ahurissement. Siloé avait raison !!! Et, s'il a raison sur ceci, peut-être que le reste est tout autant véridique... Je secoue ma tête, me concentrant sur l'homme que je ne reconnais plus.

- Ok. Ok... tu le crois ?? Ce mec sort de nulle part, il, il t'annonce qu'il a des infos sur ton père et ta mère et toi tu sautes directement dans le piège ?

- Ce n'est pas un piège. Il a juré de tout me révéler une fois que tu viendrais avec nous.

- Venir où ?!

- Au Royaume... Mérida, tes rêves sont bien plus que cela ! Il m'a montré des photos de cet univers farfelu, ce n'est pas une blague ! Il est originaire de là-bas, tout comme ton Kovu, ou devrais-je l'appeler Siloé. C'est un type dangereux, Matthew tenait à te mettre en garde, s'emporte-t-il en faisait de grands gestes.

Mes jambes flageolent, mais je résiste, m'appuyant contre l'escalier. Je respire vite, trop choquée. J'ai l'impression que mon monde s'écroule, que tout ce que j'ai connu à présent s'effondre. Je recule, cherchant à tâtons une échappatoire. Les volets sont fermés, il n'y a plus que la porte d'entrée. Prions qu'il ne l'ai pas fermé à clé...

- Ne pars pas, je ne vais pas te faire de mal, au contraire. Je t'aime, Mérida.

Un rire hystérique nait dans ma gorge. Je ne m'arrête plus. Mon ventre se tord d'hilarité. Je me plie en deux, n'en pouvant plus. Les larmes dégringolent, je peine à savoir si ce sont des perles de tristesse ou de folie.

- Non. NON ! Tu étais censé être mon meilleur ami, Cassien. Et voilà que je te perds à présent à cause d'un inconnu te confiant des imbécilités.

- Je sais ce que tu ressens, moi aussi ça me dépasse. Pourtant il ne raconte pas que des conneries. Si tu ouvrais suffisamment ton esprit et ton cœur, tu verrais ! me persuade t-il en s'approchant de trop près.

Ma main, qui était jusque là cachée dans la poche de ma veste, attrape un objet lourd et tranchant. Mon couteau... J'essaie de me contrôler, évitant que Cassien ne prête attention à mes tremblements. Je pointe la lame en sa direction, le menaçant de me laisser partir. Il se déporte sur la droite. Il ne m'en faut pas plus pour que j'ouvre à grande volée la porte. Je dévale les escaliers deux par deux. Mon instinct de survie me pousse à fuir. Seulement je ne peux rentrer à la maison ou me cacher dans la forêt. Cassien me retrouverait. Je n'ose pas jeter un œil en arrière pour voir s'il me suit ou non, bien que des bruits de pas me le confirment. Mon cœur bat trop fort. Alors que je cours, empruntant des rues passantes, je réfléchis à une solution. Mon oncle habite à une heure en train... je pourrais le rejoindre... Avant tout, je dois dénicher un endroit où m'abriter. Au loin, j'aperçois un tracteur ainsi qu'une remorque remplie de foin. L'agriculteur n'est pas présent. Ni une ni deux, je saute dedans, croisant les doigts pour que personne ne m'ai suivi jusqu'ici. Mon pouls s'affole, il me faut un certain laps de temps afin que mes dents ne claquent plus. Je me munis de mon téléphone portable dans l'optique d'acheter un billet de train. Par chance, le dernier part dans une trentaine de minutes. Si je gère bien mon timing, il est possible que je l'atteigne. Veillant à ce que je sois hors d'atteinte, je m'extirpe de ma cachette, de la paille pleins les cheveux. Mon état physique m'importe peu. La poussière me fait éternuer. Je plaque la main sur ma bouche, effrayée d'être repérée. En soit, si je cours, je pourrais rejoindre la gare en peu de temps, mais au vu de mon cardio inexistant, il vaut mieux que je trouve un autre moyen. Note à moi-même : commencer le sport m'éviterait ce genre de situation. Près d'un cinéma, j'aperçois un vélo, calée contre un poteau. Pourvu qu'il n'y ai pas de cadenas ! pensé-je.
J'ai une bonne étoile. Je ne rencontre pas de difficulté et enfourne mon moyen de locomotion en pédalant le plus vite que mon corps le permet. Les panneaux de direction m'indiquent le chemin à suivre. Je roule à grande vitesse. Heureusement, en soirée, la circulation est moindre. Je quitte mon petit village, m'approchant de la gare. Malgré mes efforts, le temps n'est pas mon amie aujourd'hui. La brise s'est transformée en une tempête persistante. Il pleut des cordes, me voilà trempée jusqu'au os. Je ne peux pas me permettre de me plaindre, pas maintenant. Je prie d'être à l'heure. Et si Cassien, ou pire, Matthew, me retrouvait ? En bifurquant à une intersection, les murs de la gare se dressent enfin devant moi. Je ne me réjouis pas trop vite cependant, rien ne m'indique mon avance. Je dépose le vélo sur une aire à bicyclette, m'excusant intérieurement auprès de la personne à qui je l'ai volé, et pénètre dans le hall. Mes yeux se posent directement sur le cadran qui affiche les heures d'arrivées et de départs. Cinq minutes. C'est le temps qu'il me reste pour trouver le quai, composter mon billet, et courir en direction d'une porte, n'importe laquelle. Puisant dans mes dernières ressources, j'effectue mon meilleur sprint. Même en cours de sport je n'avais pas une telle énergie ! Comme par hasard, les escalators sont en panne. Devant moi, des personnes âgées marchent lentement. Je les dépasse en me cognant à eux. Tant pis pour les formules de politesse, ils vont me juger comme étant incivilisée mais je n'en ai que faire pour l'instant. Le quai numéro six est au bout. Je redouble d'efforts. Un agent me fait signe de me presser avant qu'il ne close définitivement les barrières. Alors que je saute dans le premier compartiment, les portes se referment derrière moi. J'ai réussi !!! Je n'avais pas réalisé que tout le long de mon périple, je pleurais. J'essuie mes larmes d'un revers de la main, soulagée. Epuisée, je m'assois sur une place de libre. Elles sont toutes inoccupées. Tant mieux, je n'aurais pas à me cacher, honteuse de renifler.
Je me dirige vers les toilettes afin de me passer de l'eau fraiche sur mon visage incendié. Mon visage n'est pas beau à voir : mes yeux sont injectés de sang, mes cheveux en bataille et ma lèvre saigne légèrement. Au moins, j'ai échappé à la folie qui prenait de l'ampleur.
Je profite du voyage pour mettre en place une explication tangible à fournir à mon oncle lorsque je me présenterai devant sa porte.


Je prends une longue respiration et sonne. La lumière de l'entrée s'allume et j'entends des pas lourds se rapprocher.

- Mérida ? Qu'est-ce que tu fais ici ?



FIN DU CHAPITRE 3 ! 

Note de l'auteure : Et oui, c'est à partir d'ici que tout va réellement s'enchaîner ! ;) 

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