Cassien se lève, nous laissant Matthew et moi. Ce dernier lâche un énième sourire. Il ne m'inspire pas confiance. Je commence même à un peu flipper...

- Pardonne-moi si j'ai été trop brusque, tout à l'heure. Je suis seulement intrigué par ton histoire hors du commun.

- Ça ne fait rien. Et toi alors ? Tu ne m'as rien dévoilé te concernant.

- Oh, rien de très intéressant. Je viens d'assez loin. Inutile de te dire quel coin, tu ne saurais pas.

Qu'insinue-t-il ? Que je suis nulle en géographie ? Je n'apprécie pas le ton légèrement hautain et narquois qu'il emploi. Trop embarrassée, je décide d'aller danser parmi les autres fêtards. Cassien revient. Il semble étonné de me voir en train de m'émoustiller. Qu'importe, si je restais une seconde de plus aux côtés de son nouvel ami, je me serais pétrifié tant l'atmosphère était glaciale.

Plus tard, alors que je suis en train de boire un jus de pomme, les deux garçons s'approchent.

- Et si on sortait prendre l'air ? propose Cassien.

- Bonne idée, approuvé-je.

Nous nous engouffrons dehors, où le soleil s'est déjà couché depuis un bon moment. Il n'y a pas de nuage, ce qui nous permet d'admirer les étoiles. Je m'assois à même le sol, sur la terre sèche. Matthew se plante devant moi. Ce n'est pas vrai, il revient à la charge avec ses questions qui ne le concernent pas !

- Alors comme ça tu as des songes étranges ?

Je recrache instantanément le liquide de ma bouche, choquée. Comment sait-il ???

- Euh Matt, j'suis pas certain qu'aborder ça là maintenant soit très judicieux.

- Comment est-il au courant ?? crié-je à l'intention de mon meilleur ami, furieuse.

Je me relève sur mes jambes, le toisant, arborant mon regard le plus noir.

- Hum je... il se pourrait que je lui ai expliqué qu'il t'arrivait de rêver... d'un certain garçon...

- Comment oses-tu, Cassien Lan ?! Je te signale que tout ceci est PRIVE, rassure-moi tu comprends la définition ??

- Ecoute Mérida, nous avons des raisons de croire que... le garçon que tu vois dans tes rêves, est l'une de mes connaissances.

- Et que vient faire Matthew dans cette histoire ? questionné-je, acerbe.

- Et bien, il se trouve que je le connais. Cassien m'a décrit tes dessins. Si je ne me trompe pas, il s'appelle Siloé Luches.

Je suis sans voix. Abasourdie. Je me sens à la fois trahie, mais aussi curieuse. Je prends une grande respiration afin de calmer la migraine qui arrive.

- Pour la deuxième fois ce soir, je m'excuse. Cassien désirait attendre, au moins jusqu'à demain, pour que l'on t'annonce ceci. Mais pour moi, la situation est urgente. Peut-être devrions nous en discuter dans un endroit plus calme et propice. Qu'en penses-tu ?

Je me mords la lèvre, hésitante. La présence de cet individu met mes sens en alerte, pourtant, l'envie de savoir est plus forte. Finalement, après une minute de réflexion, je nous dirige vers mon logis. Lorsque nous entrons, j'indique à Matthew où se trouve la salle de bain pour qu'il puisse se rafraichir. Ce soir la chaleur est cuisante, ce qui nous fait transpirer pas mal. L'alcool n'a pas aidé.

- Tu aurais pu me concerter avant quoi que ce soit !

- Désolée, Mérida, vraiment... J'ignorai que ça te mettrait dans une telle colère. Est-ce que tu m'en veux ?

- Bien-sûr que non, ne soit pas bête. C'est juste que... ce type là ne m'inspire pas, c'est tout.

- Je peux comprendre. Mais je t'assure qu'il est réglo. Je te demande simplement de fournir quelques efforts.

Je soupire, vaincue. Cassien en a bien fait quand Carole a intégré notre groupe, alors j'imagine qu'aujourd'hui c'est à mon tour.
Matthew redescend, s'asseyant sur une chaise. Il arque un sourcil en tapotant sur l'épaule de mon ami. Ce dernier se racle la gorge et se redresse sur le coussin.

- Siloé est une personne que j'ai connue il y a très longtemps, dans un atelier d'écriture où je participais. Au début, nous étions de bons amis. On se soutenait mutuellement. Rapidement, voyant que mes écrits plaisaient, contrairement aux siens, son adoration s'est vite transformée en jalousie. Il a cherché à me nuire par n'importe quels moyens. A l'époque nous avions quoi, quinze ans ? Bref, il était complètement ravagé, obsédé par mes moindres faits et gestes. Une fois, il m'a carrément suivi la nuit, tentant de m'agresser !

- Je ne sais pas quoi dire... ça ne tient pas la route Cassien... Non pas que je te traite de menteur ! Mais comment expliques-tu qu'il apparaisse dans mes rêves depuis des années ?

- Honnêtement, j'ignore quoi te répondre. Je n'ai aucune théorie plausible. Mais je crois que tu as dû le voir à plusieurs reprises sans le vouloir. Il nous a suivi plusieurs fois. De mon côté, tout ce que je désirais c'était te protéger.

- Bon. Ok, imaginons. Mais, quel est le rapport avec toi, Matthew ?

- Dans un premier temps, sache que je ne suis pas fou. J'ai été interné en hôpital psychiatrique durant plusieurs mois à cause de mes traumatismes. J'ai vu ma sœur mourir sous mes yeux. Chaque nuit, je revis la scène, et je me maudis d'être resté stoïque, sans avoir agi. Il a fallu que je me fasse hospitaliser. C'est là où j'ai rencontré notre cher Siloé. Comme pour Cassien, à première vue il paraissait normal. Lorsqu'il m'a invité dans sa chambre, j'ai su : il y avait des photos de toi, Mérida. Tu étais sa prochaine cible. Il a dû sortir de l'internat à l'heure actuelle. Cela veut dire qu'il rode dans les parages...

Durant tout ce temps, j'écoutais leurs histoires debout. Je m'affaisse sur le canapé, en état de choc. Ça ne rime à rien... J'ai franchement beaucoup de mal à croire Matthew. Rien ne m'indique que c'est une personne honnête. Certes, Cassien lui fait confiance. Pas moi. Il est arrivé que mon ami accorde sa confiance en des inconnus, pour que finalement, il se fasse trahir. Une fois, il m'avait présenté Célia, une fille qu'il avait rencontré à la bibliothèque du lycée. Elle racontait être en famille d'accueil, que celle-ci ne lui accordait aucune attention. Touché, Cassien l'invitait souvent à sortir manger avec nous. Il lui payait littéralement tout : le cinéma, le bus, des vêtements... Bien que sa gentillesse se révèle être une noble qualité, elle s'avère dans ce genre de cas être un défaut. Après quelques recherches exécutées par Carole, nous avions vite compris que cette fameuse Célia était une adolescente difficile, capricieuse, en manque d'attention, et colérique. Sa famille d'accueil, les Bris, sont de charmantes personnes, recevant sous leur toit des enfants à problèmes. Ils les traitent avec amour, ne manquent de rien, et reçoivent même de l'argent de poche chaque semaine. Cassien est alors tombé des nues en apprenant cela. Par moments, il peut se montrer crédule et facilement influençable. Heureusement que nous sommes toujours fourrés ensemble afin que je puisse le faire atterrir sur Terre.
Quoi qu'il en soit, sa nouvelle recrue ne présage rien de bon. Il me regarde, attendant que je réagisse. Mes tempes sont en feu : j'ai chaud, je suis alcoolisée, la fatigue pointe le bout de son nez, et en plus de cela voilà que leurs paroles m'abattent.

- Je ne te demande pas de me croire. Je t'énonce les faits.

- Qui sont... ?

- Que tu es en danger.

- Moi ? En danger ? Sérieusement ? explosé-je de rire.

- Mérida, soit sérieuse une minute s'il te plait, me supplie Cassien, penchant sa tête sur le côté.

- On ignore de quoi ce type est capable. N'oublions pas que la jalousie peut créer des tueurs en série...

- Vous délirez. Okay, okay... je crois que j'ai besoin de me retrouver seule. Je suis crevée.

- Mérida...

- Toi aussi, Cassien. Laisse-moi.

Les deux hommes quittent ma maison, impuissants. Dans mon salon, je fais les cents pas, les mains derrière le dos, tête baissée. J'ai l'étrange sensation de me sentir épiée. Pas rassurée, je verrouille chaque porte menant à l'extérieur et ferme tous les volets. Et si Siloé est dans les parages... ? Encore une fois, je campe sur mes positions : les occasions se sont déjà présentées pour qu'il puisse me causer du tort et pourtant me voilà encore en vie et en bonne santé, ou presque, si on en oublie la folie qui se dégage de ma vie. Seulement, de quelle manière Matthew connait-il Siloé ? A aucun instant je n'ai nommé son nom à Cassien. Cette information est troublante, mais ce n'est pas dans mon état que j'arriverai à réfléchir de façon intelligente.