Chapitre 2 ~ Partie 3
J'ai passé le restant de la journée allongée sur ce lit d'hôpital à faire l'inventaire de mes rêves et de ce qui en découlent. J'ai beau formuler des hypothèses dans ma tête, aucune n'est assez solide. J'ai l'impression d'être complètement tarée !! Et si... j'étais sortie seule ? Et si Kovu, enfin, Siloé, n'était que le fruit de mon imagination ? Mais alors comment saurais-je son véritable nom ? Pourtant, le contact de nos deux mains nouées ensemble me parait plus réel que n'importe quoi dans cette pièce.
Un médecin de garde a pris le relais. Il est plus vieux que le précédent, avec des lunettes rouges. L'une des branches est légèrement tordue ce qui m'agace. Apparemment ils vont devoir me garder pour la nuit afin de s'assurer que ma santé s'améliore et que ma fièvre tombe pour de bon. Car malgré mon repos forcé et les médicaments, j'ai toujours une atroce migraine ainsi que le front brûlant. Mes dernières heures n'ont pas été si glorieuses : j'ai à nouveau vomis et j'ai somnolé, craintive de me perdre encore dans la fiction... Mais, mis à part cette lutte, il n'y a aucun divertissement dans ma chambre. La télé ne fonctionne pas, sauf la chaine d'informations -ce qui ne m'importe guère-, je n'ai pas de livre ni mon téléphone. En y pensant, Cassien doit être mort d'inquiétude sans avoir de mes nouvelles ! Pas un jour ne s'écoule sans que l'on s'envoie au moins un message... J'espère sincèrement que mes parents l'ont tenu au courant. D'ailleurs avant de s'en aller, puisque les visites sont interdites à une certaine heure, mon père a eu l'intelligence de me laisser quelques feuilles blanches et un crayon gris. Ce sera ma distraction du soir. Inconsciemment, je dessine deux mains enlacées sous la pleine lune et les étoiles, une forêt en second plan, et des lucioles un peu partout. J'ai la sensation de romancer la scène de la nuit dernière. Dans mon croquis, on dirait une représentation romantique alors qu'en réalité ce n'est pas du tout le cas. Je m'attarde sur les doigts de Siloé, longues mais fines. Est-il pianiste ? La vérité me fouette de plein fouet : la peur s'est évanouie, remplacée par l'intrigue davantage pesante.
Alors que j'étais sur le point de m'assoupir, une infirmière entre pour voir si tout va bien.
- Je suis venue éteindre les lumières et savoir si vous aviez besoin de quoi que ce soit. s'enquit-elle soucieuse.
- Ça va. C'est bien demain que je sors ?
- Demain matin, oui. Si bien-sûr vous vous sentez mieux.
Ses yeux se posent sur mon papier désormais noircit par les traits.
- C'est très joli ! Vous avez du talent. Deux mains sans visage ni corps, ça peut en dire beaucoup.
- Prenez-le. suggérais-je en le lui tendant.
- Oh non non !
- J'insiste. Vous semblez l'apprécier et puis de toute manière, je ne souhaite pas le garder...
- C'est très gentil à vous ! Merci, Mérida. Je suis persuadée que vos esquisses auront un impact, un succès d'une manière ou d'une autre. Reposez-vous bien.
Sur ses dernières paroles, l'infirmière referme derrière elle la porte en appuyant sur l'interrupteur. Mis à part deux ou trois petites lumières, il fait désormais bien noir. Je suis consciente que je ne pourrais pas combattre éternellement la fatigue. Vaincue, mes paupières se ferment...
Ça y est. Je quitte définitivement ces murs trop blancs, trop froids, trop impersonnels. Je comprends pourquoi personne n'a envie de s'y attarder. Ce matin j'ai retrouvé ma vitalité : bien qu'encore fragile, la fièvre est enfin partie, de même que pour mes maux de tête. Molly et Stephan sont ravis de me retrouver et n'ont pas cessés de me couvrir de baisers ainsi que de câlins.
Le retour à la maison s'effectue dans le calme. Mes parents n'ont encore rien dit mais je sens qu'à n'importe quel moment, les questions peuvent fuser. Et, pour être honnête, j'ignore quelles réponses leur fournir...
Malgré mon repos forcé, je me sens encore épuisée et nauséeuse. Molly m'accompagne jusque dans ma chambre, elle a du mal à me laisser seule une seconde.
- Maman, ça va. Je ne vais pas repartir. la rassurais-je, néanmoins étonnée de constater que ma fenêtre soit encore ouverte.
Elle suit mon regard et la referme d'un coup sec. Elle s'assoit sur mon lit, lissant les draps, soucieuse.
- Le médecin pense à du somnambulisme. La fièvre n'a pas dû arranger les choses, je suppose. tentais-je de la rassurer en souriant.
- Si tu savais combien je m'en veux de n'être pas venue te voir plus tôt...
- Tu n'y es pour rien ! Je vais mieux : la fièvre est tombée, j'ai juste besoin de repos.
- D'accord. capitule t-elle. Mais si tu as l'envie de quoi que ce soit, appelle-nous, on sera en bas ton père et moi. On ne bouge pas aujourd'hui.
J'acquiesce, touchée que mes parents aient pris leur journée juste pour me surveiller. Je referme la porte derrière elle tout en poussant un long soupire. Quelle histoire ! J'ignore si j'ai réellement envie de démêler le vrai du faux. Je crains que la migraine ne revienne, s'intensifie. Pourtant, pourquoi n'ai-je pas peur ? Pourquoi suis-je davantage intriguée par cette escapade des plus mystérieuses ?
L'odeur de l'hôpital imprègne mes habits ainsi que ma peau. Je me dirige vers la salle de bain, juste en face de ma chambre, et me déshabille. Le reflet du miroir n'est pas glorieux : mes cheveux roux sont entremêlés, pire que d'habitude. Mes yeux sont rouges, cernés, et le dessous de mes genoux aborde des croûtes de sang séchées. Mis à part quelques bleus ici et là, je me sens plutôt bien dans mon corps. Du moins, je n'ai rien de cassé.
L'eau chaude a un effet apaisant sur ma peau meurtrie. Je ferme les yeux un instant. Les images de la veille resurgissent de ma mémoire. Kovu, enfin Siloé... Sa main dans la mienne paraissait bien réelle. Je soupire. Voilà que je me contredis, moi qui pensais ne plus vouloir me torturer l'esprit...
En sortant de la douche, j'en profite pour tenter de discipliner ma chevelure, mais c'est peine perdue alors je les attache en queue de cheval. Une fois changée, je m'allonge sur mon lit et attrape mon téléphone. Des tas de messages et d'appels manqués de la part de Cassien s'affichent sur l'écran. Machinalement, je compose son numéro que je connais par cœur. Je n'attends même pas la deuxième sonnerie que mon meilleur ami décroche.
- Mérida !! Tes parents m'ont raconté ce qu'il s'est passé. Tu vas bien ? Tu veux que l'on se rejoigne au café pour en discuter ? J'ai insisté pour te rendre visite seulement les médecins ont refusé.
- Hey, Cass'. Je me sens mieux, toutefois je suis encore assez éreintée pour envisager de sortir. Désolée, m'excusais-je, sensible à sa dévotion.
- Je comprends Je passe chez toi dans ces cas-là. On jouera à un jeu de société au pire.
- Cassien. J'ai vraiment, besoin de repos, le suppliais-je, un bâillement dans la voix.
- D'accord, répond-il peiné.
- Mais on se revoit bientôt, promis.
- J'espère ! Et tu auras intérêt de tout me raconter hein.
Je raccroche, coupable. Cassien se retrouve seul aujourd'hui puisque Carole passe ses vacances chez sa famille, en Italie. Malgré l'envie de le rejoindre, mes jambes ne suivront pas. Je repose mon téléphone et m'enroule dans la couette malgré la chaleur ambiante.
Lorsque je me réveille, je constate qu'aucun rêve ne m'a hanté. Serait-ce la fin de mes tourments ? Mon ventre qui gargouille me tire de mes pensées. Il est un peu plus de treize heures.
Le lendemain matin je décide de faire le point. Molly et Stephan ont repris le travail, non sans m'avoir enlacé et informés que leurs téléphones sont à portée de mains. J'enfile un short, un débardeur blanc, puis me dirige au « Des livres et moi ». C'est ma librairie préférée (et accessoirement la seule de mon petit village). Elle fait également office de salon de thé. Je viens ici pour lire, dessiner, être tranquille. Barbara, la propriétaire des lieux, est une femme charmante, mais est à force devenue une amie. Elle a un humour à vous faire mal au bide. Barbara a peut-être le double de mon âge, il n'empêche que je l'apprécie beaucoup. J'ai toujours eu du mal avec les adultes, à vrai dire. La plupart se pensait supérieur lorsque je n'étais encore qu'une enfant. J'ai souvent perçu la supériorité comme un manque de respect. La libraire est l'une des rares seules à me considérer pleinement sans pour autant être hautaine ou encore me prendre de haut. Etant une férue de littérature, elle me met à chaque fois les nouveautés de côtés. En revanche, je peux être sûre qu'elle les a lus avant moi...
Lorsque j'arrive, elle m'accueille avec un grand sourire. D'emblée, elle me prépare avec délicatesse mon thé préféré : mangue litchi. En attendant que l'eau bout, elle s'enquit de mes nouvelles, seulement je n'ose lui révéler le déroulement exact des derniers événements. Alors je lui réponds une demi-vérité : j'ai été malade, rien de plus.
- Bon, ravie de te voir sur pieds ! Quel est ton programme pour la journée ?
- Dessiner un peu puis probablement voir Cassien. répondis-je laconiquement.
- Vous ne vous lâchez plus ! remarque t-elle en me lançant une œillade complice.
Barbara a toujours espéré que lui et moi finissions ensemble ce qui, bien évidemment, n'est pas dans nos plans donc je n'hésite pas à lui faire une ou deux piqures de rappel de temps en temps.
J'attrape mon thé puis m'assois à ma table préférée : elle est en face de la forêt. Il faudrait vraiment que j'y retourne afin de trouver des indices, et surtout pour retomber sur cette fameuse cabane dont j'ignorais jusqu'ici l'existence. C'est étrange, je suis censée connaître la forêt comme ma poche... Machinalement, j'esquisse sur une feuille les sentiers et les rivières. Je cartographie mon lieu favori, me concentrant sur chaque détail. Tant bien que mal, je me focalise sur le peu de souvenirs qu'il me reste. Je me souviens que nous avions emprunté un des chemins secondaires, rocailleux. Peut-être pourrais-je réussir à retomber sur nos traces de pas... serait-ce inconscient ? Une petite voix, cependant, me pousse à aller explorer. Après de longues minutes de réflexion, à peser le pour et le contre tout en sirotant ma boisson chaude, ma décision est prise. Je rapporte la tasse à Barbara, paie ma consommation, et quitte la librairie.
Dehors, la température est chaude sans être pour autant étouffante. Encore une fois, la journée s'annonce radieuse. En m'enfonçant parmi les nombreux arbres qui ne cessent de me fasciner, je ne peux réprimer un sourire. Je me sens à ma place, chez moi, libre. Après avoir pris un sentier principal, je bifurque sur un autre moins fréquenté. Les rochers y sont nombreux, entourant une des rivières. Celle-ci est plutôt profonde, et le courant semble davantage plus puissant. Les ronces et les fougères dominent, ne laissant place qu'à un chemin étroit. Brusquement, une image chamboule mon esprit : la cabane se trouvait près d'un gigantesque Saul pleureur, auquel je ne prêtais pas attention durant mon... escapade. Je m'arrête net, tentant de choisir quel itinéraire prendre pour m'y rendre. Si je contourne les rochers, je devrais y être dans une dizaine de minutes. Seulement, plus je marche, plus l'angoisse monte. Mon pouls s'accélère à l'idée de ce que je pourrais y rencontrer une fois là-bas. Et s'il était toujours là ?! Bon sang, j'ai l'impression d'être inconsciente ! J'aurais dû prévenir Cassien... et comme par hasard mon téléphone siège tranquillement sur ma table de chevet. Je soupire, me maudissant pour mon comportement irréfléchi. Malgré la peur qui me submerge, je ne peux me résoudre à rebrousser chemin. La curiosité est bien trop grande.
Au loin, j'aperçois le Saul, trônant fièrement dans ce paysage sublime. Les tecks quant à eux l'entourent à distance. Des bribes de conversation me prennent d'assaut. « J'ai... j'ai conscience que... que les images envoyées dans ton précédent rêve n'étaient pas des plus, disons... joyeuses. » J'ai beau inspecter autour de moi, je n'aperçois rien de suspect. L'endroit où était censée être la cabane n'apparaît pas. Mon cerveau aurait-il complètement imaginé, trafiqué, ce fragment de folie ? Trop obsédée par mes rêves, voilà que je défaille complètement, déformant la réalité. La panique me gagne. Ma respiration s'emballe tandis que les larmes déferlent sur mes joues rougies par le soleil qui désormais m'oppresse. Je n'arrive pas à savoir si je me sens soulagée que cet homme n'existe pas ou attristée que le peu de piment dans ma vie n'était que du néant. Cassien a raison. Je devrais vraiment consulter un psychologue.
M'armant de courage, je retourne dans le bourg de mon village et patiente dans la salle d'attente du médecin, qui ne devrait plus tarder à me recevoir. Il saura me rediriger vers un spécialiste.
L'histoire a fait le tour de ma commune. Les titres des journaux affichent « Une jeune fille retrouvée de nuit dans la forêt, seule et perdue ». Ben tiens. L'article n'omet pas de mentionner que je suis la même nana ayant été abandonnée à quelques heures de vie. Je tire la grimace, soucieuse de devenir le centre de l'attention. Je vais probablement passer pour une tarée aux yeux de certains. Qu'importe.
Le rendez-vous avec mon médecin généraliste s'achève. Je n'ai pas discuté des détails de pourquoi je souhaite des séances avec un psychothérapeute, mais je crois qu'il n'a pas eu besoin de me le demander étant donné les actualités. La première séance est programmée à demain, à l'autre bout d'ici. Il a su me dénicher une place très vite, néanmoins je ne crois pas être encore prête mais je n'ai pas le choix si je ne souhaite pas que ma santé mentale dégringole.
Une fois rentrée à la maison, ainsi que le casse-croûte avalé, je remonte dans ma chambre, chassant les mauvaises fulminations qui s'accrochent à l'intérieur de ma tête. Alors que je m'apprête à attraper mon téléphone, mon geste se fige instantanément. Quelque chose qui ne figurait pas là auparavant est posé dessus. Une lettre. Impossible qu'elle provienne de mes parents, ils sont bien trop modernes pour m'annoncer une nouvelle de la sorte. Alors de qui ? Cassien ? Même si ici il fait comme chez lui, et inversement, il ne possède pas de double des clés. Quant à Carole, si elle m'avait envoyé une carte postale, il y aurait obligatoirement eu un timbre. Mis à part mon prénom écrit en gros, je n'ai aucun indice de l'expéditeur. Fébrilement, je déchire l'enveloppe pour y découvrir un parchemin jauni. L'écriture est raffinée, aérée.
Mérida, je te prie de croire en mes plus sincères excuses. Je n'avais pas pour but de t'effrayer, encore moins de te rendre davantage malade. J'ignorais ta condition, et je ne peux que regretter ma décision. Malgré tout, l'urgence est réelle. J'imagine que tu dois te poser un nombre incalculable de questions. J'espère te revoir bientôt dans le but d'éclaircir une partie de tes interrogations, cette fois non pas en rêve ni dans la nuit profonde.
Sincèrement,
Siloé
Je m'étouffe avec ma salive. Impossible. Je ne peux pas y croire... pourtant, parfaitement éveillée et guéris, le contact du papier entre mes doigts ne m'a jamais paru autant véridique qu'en cet instant. J'inspecte l'objet sous toutes ses formes mais il n'y a rien d'étrange. Il y a quelques heures en arrière, je me persuadais que mon imagination s'étendait considérablement. Désormais, cette conviction s'étiole, augmentant mon angoisse permanente. J'ai la preuve irréfutable que Siloé existe. Sauf si quelqu'un essaie de me faire une blague... J'ai beau fouiller dans mon esprit, ce qui en ressort n'est rien de solide ou de concret. Ok, admettons que cet homme vive réellement dans ma réalité, cela voudrait-il dire que ce qu'il me raconte est vrai ? Son histoire de royaume en danger, attaqué par des ennemis ? Pourquoi pense-t-il que je pourrais les aider, et de quelle manière ? Bien-sûr, je dois en savoir plus...
Hystérique, j'éclate de rire. Quelles histoires saugrenues. Ce genre de situations ne figure que dans les livres fantastiques que Cassien et moi lisons et voilà qu'une partie de ma tête veut y croire. Ma vie doit être pitoyable pour que je puisse m'adonner à une quête perdue d'avance. Malgré cela, le doute subsiste : la véracité de la lettre me turlupine grandement.
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