Chapitre 2 ~ Partie 2

Bizarrement, l'intonation de la voix m'est quelque peu familière. Mais qui est-ce ? Le fait de ne pas pouvoir mettre de nom à cet homme me frustre. Je ressemble à une pauvre somnambule, à la différence que je suis éveillée. Dans un effort monstrueux, je me redresse sur les coussins, et la voix sans prénom me porte pour me remettre sur pieds avec une délicatesse étonnante. Cet instant... Le temps s'est-il arrêté ? Figé ? Va-t-il revenir à la normal quand j'aurai percé à jour ce mystère qui plane ? Est-ce une fois de plus l'un de ces fameux rêves ? Mais, malgré la douleur lancinante, c'est beau, doux... Dans un accès de folie, je l'accorde, je suis cet homme qui me fascine tant. D'abord, nous enjambons ma fenêtre. N'est-ce pas haut ? Pourtant j'ai la vague impression de m'être directement retrouvée sur le sol, ou bien c'est comme si j'avais flâné. Ensuite, nous marchons vers la forêt, je l'entends, elle m'appelle, sans cesse. Je ne veux pas lui résister... Du moins, j'imagine. Mon cerveau ne cogite plus du tout, il ne prend même plus conscience du danger, si danger il y a. Mes pieds nus frôlent l'herbe mouillée. Ça chatouille. On dirait que je suis droguée ; je dirais même que la douleur s'est évaporée, comme par magie. Je ne ressens pas les épines qui s'enfoncent dans la plante de mes pieds. Je suis une bulle, un dôme, mon propre bouclier qui écarte la moindre souffrance. Nous marchons, encore, sans pouvoir s'arrêter, sous cette admirable lune brillante. Il n'y a plus aucun nuage gris mais seulement les étoiles qui nous guident. Si j'avais été dans mon état normal, peut-être aurais-je fais plus attention aux lucioles tourbillonnants autour de nous ou au fait que la tempête se soit calmée. L'atmosphère est pacifique. Dans un état d'apesanteur, je trébuche soudain contre un caillou, et je ne ressens rien, de nouveau. Je me relève et je retombe aussi vite. Je tiens à peine sur mes longues jambes et mes genoux sont en sang à force d'être écorchés. Peu m'importe en ce moment précis. Je souhaite à tout prix voir ce que cet inconnu veut me faire découvrir. Mon corps et mon âme ne vibrent plus que pour cela. D'ailleurs, sa paume n'a pas quitté la mienne, me retenant lorsque c'est nécessaire, engendrant une chaleur le long de mon bras.
   Dans cette circonstance, je redécouvre sous un autre angle la forêt. Elle me paraît si immense... Je n'ai plus toute ma tête, je le sais... Je secoue celle-ci, mais elle est oppressée, trop pleine. Je me sens bien et apaisée. En revanche je n'ai étrangement pas peur. Oui, effectivement, je ne suis pas dans mon état normal... Même mes rêves ne me font pas cet effet là...
   L'individu s'immobilise devant une échelle. Il m'aide à monter tandis que j'escalade prudemment. Dans ces arbres, je vois une cabane en bois, une vraie. Elle est belle. Je suis à la fois émerveillée et impressionnée... L'homme me succède. Peu à peu, je découvre son visage, et le choc me frappe de plein fouet. Il ressemble fortement au garçon de mes rêves... Je n'arrive même pas à formuler quelque chose de correcte dans mes pensées. Et d'un coup, tout se relie, tout se connecte enfin dans mon esprit embrumé. Oui. Aucun doute. C'est lui. Mais comment... ? Comment une telle chose soit possible ?!

-          K... Kovu ? parvins-je à articuler en penchant ma tête sur le côté.

-          Oui, Mérida. Mais permets-moi de me présenter en bonne et due forme. Je me prénomme Siloé. A ton service. s'introduit-il confiant en tirant gracieusement une révérence.

  Il connaît mon prénom... Je ne suis point étonnée. J'ai dépassé le stade de l'entendement. Voyant que je demeure hébétée, il poursuit en s'éclaircissant la voix :

-          J'ai... j'ai conscience que... que les images envoyées dans ton précédent rêve n'étaient pas des plus, disons... joyeuses, balbutie-t-il en passant sa main fine dans ses cheveux couleurs corbeau. Le but est toutefois que tu réagisses... Même si je le conçois... tout doit être flou de ton côté. Fais-moi confiance, Mérida. Le Royaume a besoin de toi. Nous sommes en danger... Allons autre part qu'ici, d'accord ? En sécurité ?

  « Autre part » ... Je suis sans doute sous l'emprise de la torpeur, mais mes sens reviennent au galop, ils sont en alerte maximale. « Autre part » n'est pas mon village adoré. Le voile sous mes yeux s'évapore, et tout redevient plus net. La bulle s'éclate et pique les yeux. La douleur s'empare aussi de mon corps, en trois fois pire. Effrayée, je n'hésite pas à sauter par-dessus les cordes qui servent d'échelle. J'atterris à quelques mètres plus bas, et m'enfuie à toutes jambes, dans l'incompréhension la plus totale. Mais voilà, mes mouvements ne suivent pas. Je chute, je me ramasse par terre, trop affaiblie. Je ne possède plus la force de me relever. J'aperçois au loin une ombre floue accourir dans ma direction mais, directement, c'est le trou noir : je m'évanouis sous toute cette pression. Avant de totalement sombrer, la forêt est la dernière chose que je vois. J'ai la sensation qu'elle se rétrécit, qu'elle devient davantage malveillante, qu'elle va m'engloutir sans une once de compassion... J'entends les chauves-souris grincer et les hiboux hululer. La peur ronge mon être. En vain, j'ouvre la bouche, mais rien ne sort, pas un mot, pas un son. C'est plutôt comme si le brouhaha voulant sortir de moi rentrait, tel un bourdonnement de milliers d'insectes entrants dans ma gorge. Une main se pose sur mon épaule. Un geste lent, lourd, puissant. Puis, plus rien. Le vide. Me voilà aveugle, sourde, muette. Morte ? Peut-être.

*

Suis-je... en vie ?! Je suis tétanisée à l'idée d'ouvrir les yeux, mais la tentation est trop forte. Le blanc éclatant m'éblouie. Serait-ce ça, le Paradis ? Mhm, je ne suis pas certaine que cela ressemble à une chambre d'hôpital, car c'est bien là que je me trouve. Une machine émet des « bip » qui réveillent ma mère endormie dans le fauteuil en face de moi. Quant à mon père discutant derrière la porte avec un médecin, il accourt à mes côtés. Mes parents paraissent totalement fatigués si on se réfère à leurs cernes. Et également affolés. Que se passe-t-il bon sang ?! Je ne me souviens de rien...

-          Bonjour Mademoiselle. Savez-vous comment vous vous appelez ? S'enquit l'infirmier.

-          Euh oui... Mérida.

-          Très bien. Et savez-vous quel jour nous sommes ? Poursuit-il en griffonnant des notes sur son calepin.

-          Hum ça dépend, depuis combien de temps je suis ici ?

-          Moins de vingt-quatre heures.

-          Alors nous sommes lundi.

-          Parfait Mérida. Je vais vous laisser un peu d'intimité avec vos parents puis je reviendrai vers vous.

  L'homme à la blouse blanche quitte la pièce en refermant derrière lui la porte. Stephan et Molly ne m'ont pas quitté du regard. Je ne sais quoi leur dire, moi-même ayant complètement perdue la mémoire de cette nuit, avec cette acide sensation que l'on m'a volé un souvenir... Honteuse, mais n'y tenant plus, je pose la question qui me brûle les lèvres : que m'est-il arrivé ?

-          On espérait que ce serait toi qui nous en parles, répond Stephan en caressant tendrement ma joue cramoisie, teintée de taches de rousseur.

-          Tu ne te sentais pas très bien hier soir, entame tristement ma mère. Tu avais énormément de fièvre, tu t'en souviens ? Je suis revenue dans ta chambre un peu plus tard pour voir si ton état s'était aggravé ou non.

  » Quand j'ai poussé la porte, j'ai bien cru que mon cœur allait s'arrêter. Ta fenêtre était grande ouverte, et tes draps étaient défaits. Tu n'étais plus dans ton lit. Alors j'ai immédiatement prévenu ton père. Nous avons ratissé tout le quartier en voiture, y compris les impasses. Rien. Aucune trace de toi...Nous nous sommes alors rendus à la gendarmerie. Au début ils disaient ne rien pouvoir faire, mais ils ont quand même effectué des recherches dans tout le village pendant que nous, nous sommes rentrés à la maison, morts d'inquiétude. Nous ne voulions pas dormir, nous n'arrivions pas tant que tu n'étais pas là, à la maison, avec nous. Une heure après notre signalement, ils t'ont enfin retrouvée... Au sol... Presque... presque inerte. Mais tu respirais ! Ils ont constaté que tes genoux étaient salement écorchés, boueux... Et puis, tu étais si loin dans la forêt ! Oh, Mérida, mais qu'est-ce-qu'il t'a pris ? Tu aurais pu te faire attaquer par une bête sauvage... ou tu aurais pu faire la rencontre d'une personne malveillante...

-          Je... je suis désolée... parvins-je à articuler, les larmes menaçant de couler.

-          Ma puce... Si tu ne nous supporte plus, ou bien que l'on en fait trop... Dis le nous, je t'en conjure. On ne supporterait pas l'idée que tu ne te sentes plus à l'aise parmi nous...

  Je demeure choquée face aux mots de mon père. Jamais je ne les fuirai ! C'est ma famille, mes parents, et ce même si nous ne partageons pas le même sang !
   Une décharge électrique parcours mon corps entier. Quelques vagues images me reviennent... Je me revois marchant dans la forêt, en pleine nuit, et je ne suis pas seule... Kovu, ou devrais-je dire Siloé, est présent, c'est lui qui mène la marche. Comment ai-je pu suivre un inconnu ? C'est la pire décision que j'ai pu prendre jusqu'à présent...
   Toujours allongée, je passe un bras sur mes yeux, me cachant délibérément le visage. C'est à cet instant que l'infirmier revient et intime à mes parents de nous laisser. Celui-ci m'aide à me redresser sur les oreillers ainsi qu'avec un bouton qui remet correctement le lit en place. Il examine ma tension qui s'avère être plutôt bonne puis me prend la température.

-          Comment vous sentez-vous, mademoiselle Bower ?

  Si ça va ? Je n'en sais strictement rien. Au niveau de la douleur, je crois que ça s'est rétablit, même si ma tête tourne encore. Disons que... mon esprit est plutôt perturbé. J'ai sincèrement la frousse. Tout est emmêlé... Je ne comprends rien... J'ai perdu mes notions, mes repères. Bon sang pourquoi ai-je agi stupidement ?!

-          Pour ce qui est de la fièvre, elle va continuer de descendre dans les heures suivantes grâce aux médicaments administrés. Malgré des égratignures ici et là ainsi que des ecchymoses, vous ne vous en sortez pas trop mal !

  Mes pensées divaguent, je ne l'entends plus lire à haute voix le rapport qu'il a entre ses mains. Toutefois je retiens plusieurs choses, il me conseille vivement de consulter un psychologue afin de me livrer sur ce qui me tracassent. Cela pourrait éviter le rendez-vous avec les gendarmes car en effet, être trouvée la nuit en pleine forêt n'est pas une chose anodine. Quoi que, ça m'est déjà arrivée une fois lorsque j'étais nourrisson alors... Mais désormais tout est différent. J'accepte donc, plus par ennuie et par fatigue de devoir débattre avec lui. Peut-être qu'en discutant de cela, mes rêves disparaîtrons. Et intérieurement, j'espère que le garçon s'en ira de ma tête. Il n'est qu'illusion... C'est vrai, j'ai lu quelque part que le cerveau pouvait créer des choses. Le mien a sans doute fait cela. Ouais, c'est carrément plausible comme hypothèse. Même certains enfants ont eu à une époque des amis imaginaires qu'ils pensaient voir, alors je me persuade que je ne dois plus y penser et que ça ira, malgré les conséquences qu'il y a pu avoir. Siloé doit définitivement partir... Et si j'étais atteinte de trouble dissociatif d'identité ? Peut-être que c'est à cause de cela que mon corps a réagi différemment, que j'ai en une certaine manière, perdu le contrôle de moi-même ; Mérida. Je balance nerveusement ma tête. C'est n'importe quoi.
   En y pensant, c'est la deuxième fois que l'on me suggère de faire appel à un professionnel de santé. J'y ai toujours été réticente, voulant arranger les situations moi-même. Je déteste recevoir de l'aide, cela me fait sentir impuissante, inutile et... faible.

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