Chapitre 1 ~ Partie 1
Freud disait que les rêves ont un sens, que c'est l'inconscient qui s'éveille et s'exprime faisant parfois refléter notre réalité à travers nos songes. Bien que je m'intéresse un peu à la psychanalyse, je n'ai jamais su déchiffrer mes rêves. Jusqu'à loin que je m'en souvienne, ils ont toujours été désagréables, malaisants, projetant tout un univers fantaisiste à la fois sombre et coloré.
Cette fois encore je n'y ai pas échappé. Je me réveille brutalement, le front complètement trempé de sueur. Le scénario reste le même : c'est-à-dire un garçon qui recherche quelque chose ou plutôt quelqu'un : moi. Il parcourt une forêt mystérieuse, peuplée de créatures malveillantes. Celles-ci attaquent les habitants de ce qui pourrait s'apparenter à un royaume. Nonobstant, malgré la redondance perpétuelle de ces songes, un seul élément se métamorphose : le garçon. C'est comme s'il grandissait en même temps que moi, années après années. D'ailleurs c'est bien l'unique personne à ne pas m'effrayer. Cela arrive également que les rares fois où je ne cauchemarde pas, il s'adresse à moi en tenant des propos flous et incompréhensibles.
Petite, bien-sûr, je ne percevais pas bien les images qui s'imposaient à mon égard. Depuis que j'ai atteints l'âge de comprendre, je me suis mise chaque année à le dessiner. De l'enfance à l'adolescence, il paraissait très maigrichon et un peu pâle. Le plus impressionnant sont ses joues creusées. A présent, ses muscles se sont peu à peu dessinés. Ses cheveux aussi noirs qu'un corbeau ont relativement poussés, assez en tout cas pour les ramasser en un chignon. Puisqu'il partage toutes mes nocturnes, il fallait bien que je lui trouve un nom : « Kovu ». Cela lui colle parfaitement ! En effet, il arbore sur sa pommette droite une cicatrice d'environ six ou sept centimètres. Lorsque je m'ennuie, j'aime imaginer des tas d'histoires autour de cette trace. Par exemple, cela pourrait être causée par la griffure terrible d'un animal sauvage ou encore celle d'un couteau aiguisé qu'il se serait pris en voulant défendre une femme d'une agression... Bref, le profil type d'un gars charmant.
- Eh oh, t'es avec nous Mérida ?
Mince ! J'avais oublié que la journée était passée à une vitesse affolante et que je me retrouvais en compagnie de mes deux amis.
- Pardons Carole. Tu disais ? Répondais-je en sortant de ma rêverie.
- Rien. Soupire t-elle. Qu'est-ce que tu dessines ? s'intéresse-t-elle, intriguée.
- Moi ? Euh. Rien du tout, juste des gribouillis. affirmais-je en chassant d'une main la feuille.
- Montre ! Réplique Cassien tout en m'arrachant des mains mon bloc note.
Ce dernier s'esclaffe bruyamment devant mon dessin et n'hésite pas à le tendre à mon amie, visiblement amusée face à mon visage dépité.
- Très impressionnant pour « juste des gribouillis ». remarque-t-il, émerveillé, avec cependant une tout autre lueur que je ne saurais identifier.
- Wouah ! Oui, en effet !! Mais dis-moi Mérida, qui est le beau garçon que tu as reproduit ? C'est ta nouvelle obsession rencontrée sur une appli de rencontre ? ricane grossièrement la jeune femme en souriant de ses dents blanches.
Je secoue la tête en guise de réponse tandis que Cassien me scrute, apparemment gêné. Il est le seul à être au courant au sujet de mes rêves ainsi que de Kovu. Carole, quant à elle, est dans l'ignorance la plus totale. Je n'ai rien contre elle, néanmoins, je n'ai pas encore totalement confiance pour lui révéler une telle chose. Après tout, je ne la connais que depuis le début de la terminale contrairement à Cassien qui est un ami, que dis-je, mon meilleur ami depuis la maternelle ! Carole ne comprendrait sans doute pas ma tourmente, à ses yeux cela ne seraient « que » des rêves...
- Bon écoutez, je vais rentrer pour terminer mon DM. C'est la dernière ligne droite avant le bac et franchement je n'ai pas envie que m'sieur Bernie affiche son sourire de supériorité si j'échoue une énième fois. On se voit demain de toute façon ? Bisouus les gars !
Carole termine d'une traite sa boisson et quitte le café en nous embrassant tour à tour. Cette fille bosse vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Je n'ai jamais vu une lycéenne aussi stressée mais travailleuse qu'elle. Toutefois je ne peux que compatir : il n'y a plus que deux examens en jeu pour marquer la fin du lycée. C'est une étape plutôt cruciale avant le grand plongeon pour la fac...
- Mérida... Je suis vraiment désolé, je n'aurais peut-être pas dû lui montrer ton dessin. S'excuse Cassien, préoccupé. Elle va se mettre à poser des tonnes de questions et je sais bien que c'est délicat pour toi d'en parler.
- Ça ne fait rien Cass'. Ne t'en fais pas, promis.
- Alors c'est à cela qu'il ressemble ce fameux Kovu ? Tu ne me l'avais jamais montré.
Il marque un point. C'est bête à avouer mais même si Kovu est un personnage fictif, qu'il n'apparait que dans mes rêves, il m'est unique. Un soir, après une énième insomnie, j'avais cherché sur Internet des témoignages concernant ce genre d'apparition, voulant savoir si d'autres personnes pouvaient le voir. Mais rien de pertinent. Kovu est donc pour moi un secret dont on veut garder, enfouir, et qu'importe la dimension égoïste que cela prend. C'est comme lorsque l'on écoute une musique que l'on découvre : on l'aime tellement que l'on n'aimerait pas qu'elle soit dévoilée au grand public... Bien-sûr, j'en ai déjà discuté avec Cassien. Je ne peux rien lui cacher et puis il devine facilement mes pensées. Seulement, jusqu'à présent, il n'a jamais vu mes dessins ni à quoi il ressemble.
- Ouais. Je le dessine pas mal en ce moment...
Voyant que je demeure évasive, le grand châtain change de sujet et aborde les prochaines vacances d'été qui approchent à grands pas. Quant à moi, je replonge doucement dans mes rêveries. Il est vrai que dernièrement mes songes se font de plus en plus limpides, voire violents. Je ressens une certaine pression et urgence. Kovu paraît davantage alarmé et insistant... De nouveau ces mêmes questions : pourquoi ? Qu'est-ce-que cela signifie ? Pourquoi de telles répétitions ? Dois-je résoudre quelque chose, et si oui, quoi ? Je secoue la tête. Je dérive, là. Il est évident que je n'ai rien à conclure.
- Bon, j'abandonne. Je sens que tu es complètement ailleurs.
- Pardon... m'excusais-je lamentablement, le regard flottant, en posant ma main sur la sienne qu'il serre en guise de réponse.
- Ça devient récurent Mérida... Tu es dans la lune à chaque fois. Avec nous ça peut passer, on peut comprendre, enfin surtout moi. Mais quand on est en cours, ce n'est pas pareil, tu ne peux pas te permettre d'y penser continuellement.
- On n'est pas en classe là...
- Oui. On est au café. Et j'aimerai bien pouvoir profiter du peu de répit que nous disposons pour discuter et profiter. Avec toi. Pas seul face à un mur.
- Tu viens pourtant de dire que...
- ... que je comprenais, oui. soupire-t-il en secouant la tête. Ce n'est pas pour autant que ça ne me fait rien, au contraire. Sérieux Mérida je dis ça pour ton bien, pas pour t'emmerder. J'suis réellement inquiet pour toi, il n'y a qu'à observer tes cernes pour se faire une opinion. Tu es complètement obsédée par ça...tu as déjà pensé à consulter un psychologue ou un hypnothérapeute ? Au moins pour en discuter... c'est une alternative vue que tu ne souhaites pas affoler tes parents plus que ça. Tu pourrais t'y rendre ?
- Mhm... ok. File moi l'adresse. Je vais réfléchir. concédais-je pour lui faire plaisir.
Honnêtement, j'ignore comment un ou une psychothérapeute pourrait m'aider. L'hypnose, à la rigueur... Mouais, j'ai pleins d'aprioris. Naturellement, Molly et Stephan sont au courant. En revanche j'essaie de ne pas plus les inquiéter que cela. Pour eux, malgré la répétition de ces songes, eh bien ce ne sont que des songes. Après tout, qu'est-ce-que cela pourrait être de plus ?
- Tiens, voilà l'adresse. me renseigne-t-il en me tendant un bout de papier déchiré. C'est à une vingtaine de minutes en bus. Je pourrais t'y accompagner si tu le souhaites.
Je me mordille la lèvre, gênée. Déjà qu'il faudrait que je dévoile mes pensées et mes émotions à un professionnel, si en plus Cassien en est spectateur...
- Non. dis-je plus sèchement que je ne l'aurai voulu. Mais je te remercie pour ta proposition. déclinais-je en adoucissant la voix, un silence plus tard.
- C'est comme tu le sens ! Je ne veux pas te forcer à quoi que ce soit. Je sais bien que cela te tracasse et que mes mots ne t'apaiseront sûrement pas, seulement dis-toi que ce ne sont QUE des rêves, rien de plus. Ils ne sont pas réels.
- D'accord mais comment expliques-tu le fait qu'il paraisse si... vivant ?
- Le cerveau est un magicien après tout. Un ou une professionnelle saura te l'expliquer mieux que moi.
- Tu as probablement raison. Je file. Et... merci. Je le gratifie d'un sourire, touchée par son éternel bienveillance.
- Tu vas encore dans la forêt ?
- Comment ça « encore » ?! Bien-sûr que oui ! Ecoutes, ne me regarde pas avec ton air si... soucieux. Tu sais bien que j'ai besoin de ces sorties pour m'aérer l'esprit. Je vais bientôt être complètement enfermée chez moi à devoir réviser alors je profite du mieux que je peux. Tu peux le comprendre ça, non ?
Je dépose un billet afin de régler nos consommations, l'embrasse sur la joue avant qu'il ne puisse répliquer et me dirige, impatiente, vers mon échappatoire : la forêt. Celle-ci signifie bien plus qu'un moyen d'évasion. Après tout, ma vie a débuté parmi ses nombreux arbres... Est-ce que je décrirai cette situation par une phrase banale que l'on retrouve dans de nombreux bouquins fantaisistes du style « je ne suis pas une fille banale », ou encore « je vais vous raconter mon histoire » ? Pourtant, en effet, le début de ma vie n'est pas des plus ordinaires. D'une manière ou d'une autre, j'ai toujours été reliée à cette jungle. Quelques heures après ma naissance, des promeneurs m'ont trouvé dans un berceau taillé en bois, avec une couverture blanche faite de laine pour me recouvrir. Étonnement je ne pleurais pas. Je dormais, gazouillant quelques fois. Il en va de soi que mon histoire a fait le tour de ma ville. Pis encore : de ma région. Les médecins m'ont dans un premier temps ausculté, cherchant si mes poumons s'oxygénaient convenablement, surveillaient la température de mon corps encore rougie. Tout allait parfaitement bien. Les gendarmes quant à eux n'ont pas lancés d'avis de recherches puisqu'il était évident que personne ne viendrait me réclamer. Après tout : c'était bien un abandon. Ensuite il a fallu que j'intègre une nouvelle famille. Pour les promeneurs qui m'avaient trouvé il était hors de question que je subisse l'orphelinat et tout ce que ça engendrait. Ils ont donc entamé une procédure d'adoption. Procédure soutenue par le frère du père qui souhaitait se porter garant. Malgré tout il y eu des latences et j'ai donc dû côtoyer l'orphelinat pour quelques mois. Evidemment je ne me souviens de rien. Je ne me souviens pas des enfants qui pleuraient la nuit, hurlaient pour certains. Je ne me souviens pas des questionnements « où est ma maman ? », « pourquoi mon papa n'est-il plus là » ? Si j'avais été consciente de tous ces maux j'aurais très probablement criée, moi aussi. Pourtant, en grandissant, je n'ai pas su connaitre le manque de parentalité parce que, j'ai des tuteurs. Naturellement, lors des premières années où j'ai su réfléchir et conscientiser de moi-même, les interrogations me sont parvenues. Toutefois elles ont vite été chassées : je ne voulais, et encore à ce jour, pas en savoir davantage sur les raisons qui ont poussé ces gens à m'abandonner. Ce n'est pas dans ma nature d'être rancunière. J'imagine qu'ils avaient de bonnes raisons de le faire, bien que la méthode soit à débattre. Non. J'ai actuellement tout ce qu'il me faut dans ma vie : une famille aimante, des amis. Je n'ai pas besoin de questionnements qui torturent la tête.
La forêt est un médicament. Ma tête ne cogne plus aussi violemment. Cet endroit, je le connais comme ma poche : ses moindres croisements, ses rivières coupant la plupart des sentiers, les petites collines, la clairière immense et fleurie lors du printemps... Je respire à pleins poumons cet air si pur. Le soleil décline légèrement, m'offrant mon spectacle préféré. J'adore observer les rayons orange qui traversent les branches des grands sapins, voir la lumière se refléter sur la terre, apercevoir la poussière tourbillonner, sentir la vie en action. Le chant des oiseaux me berce. Ma chanson favorite bien que je ne parvienne toujours pas à décrypter les paroles... Mon sentiment envers cette forêt va bien au-delà de l'obsession, pour moi, je qualifierai cela de connexion.
Le week-end s'est écoulé trop vite. J'ai l'impression de ne pas avoir pu profiter pleinement de mon temps libre. En effet, j'étais bien trop concentrée à réviser aux côtés de Cassien et de Carole. Ils ne m'ont donné presque aucun répit ! Bien-sûr il y en a une qui est heureuse de voir l'influence positive qu'ils génèrent sur moi. C'est ma mère, Molly. Elle est plutôt soucieuse de mon avenir. Je n'ai pas de réelle perspective concernant celui-ci. Disons qu'étrangement je ne lui accorde guère trop d'importance. Ce qui m'importe, c'est ma forêt, les livres, le dessin, mes passions. Rien de plus. Malgré tout, il a fallu que je choisisse une filière pour l'an prochain. La seule qui m'attire, c'est la psychologie. Comprendre comment pensent autrui m'intrigue. Quant au cerveau, c'est une autre histoire, j'imagine davantage complexe. Je crois qu'une part de moi souhaiterait savoir de quelle manière il opère. Peut-être que cela m'aiderait à déchiffrer mes rêves... ?
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