«la corrosion avait abîmé le doré brillant de la balance de la justice.»

 Jimin s'avançait pieds et poings liés dans les couloirs froids de la prison de détention provisoire où il avait séjourné pendant quelques jours. Il n'avait d'ailleurs pas compté le temps passé jusque là, derrière les barreaux: il s'était contenté de rester allongé, à somnoler, à repenser aux derniers moments heureux de sa vie qui avaient été avec Jungkook. A se demander ce qu'il pouvait bien faire en ce moment, à ce qu'il pouvait ressentir. Il lui manquait. Tuer en sa compagnie lui manquait. Tuer lui manquait. Il s'arrêta et inspira profondément, fixant le bout du couloir devant lui. Il sentit une tape dans son dos, sûrement les gardes qui voulaient le faire avancer. Il crispa sa mâchoire devant son dégoût d'être touché par ces êtres abjectes et refusa de leur faire le plaisir d'avancer.

« Avancez, Park. »

Mais "Park" n'écoutait pas. Il leva la tête vers les spots lumineux qui l'aveuglait et ferma les yeux. Il entama alors une mélodie lugubre de sa voix douce et sensuelle. Les notes remontaient avec délicatesse le long de sa gorge, traversaient ses lèvres sans qu'il n'ait besoin de les ouvrir. Il humait un air de berceuse.

«Avancez!»

Ses lèvres s'ouvrir, ses yeux restèrent clos.

« Dors, dors, mon enfant... Les rêves ne te réveilleront pas. Dors, dors, mon enfant, nous ne te feront pas de mal. Dors, dors... Le seul qui façonne tes cauchemars est toi... Mais cette nuit tu ne te réveilleras pas... ~
—PARK JIMIN, AVANCEZ.»

Les sourcils du rouquin se froncèrent. Jungkook lui aurait dit que ces humains n'avaient pas d'ordre à lui donner, il en était sûr, et il lui donnait raison. Alors quand les deux gardes s'approchèrent et le pressèrent à nouveau de se remettre en marche, Jimin leva les bras et passa ses chaînes autour de la nuque d'un des deux. L'autre se précipita vers lui, il lui balaya les jambes dans un geste souple qui eut pourtant du mal à avoir l'effet escompté, les chaînes entravant également ses chevilles. Puis il bondit et pivota, se retrouvant dans le dos de celui qui avait maintenant les chaînes de Jimin qui lui pressait la gorge. Il tentait d'insérer ses doigts entre le métal et sa peau, mais le meurtrier augmenta alors la pression, rendant la chose impossible. Son visage devenait rouge, ses glapissements étaient repoussants. Cet homme manquait de grâce. Jimin approcha alors son visage et murmura sadiquement:

« Avance.»

Puis il sursauta. Les lumières blanches étaient maintenant rouges et un son strident lui vrillait les oreilles. Le second garde venait d'activer l'alarme. Il le maudit et déplaça ses mains pour faire basculer la pression des chaînes de sa gorge vers l'une de ses cervicales. Des bruits de pas. Une dizaine d'hommes couraient le long des couloirs, s'approchant. Il n'avait plus le temps. D'un coup sec il tira vers lui et le garde s'effondra, l'entraînant sur le sol avec lui.

Des cris graves. Des bras puissants qui le récupérèrent et le tirèrent, le relevèrent. Un rire. "Son" rire.

Un homme verrouilla ses chaînes au pupitre où il était obligé de se tenir debout et observer le déroulement de son propre procès. Des centaines de personnes s'étaient rassemblées pour cette occasion. Son regard froid balaya la vaste pièce du tribunal, sur les bancs en bois massifs cirés avec soin, sur les fresques du plafond si haut au-dessus de leurs têtes. Il passa sur les membres des familles des victimes qui lui jetaient des insultes à la figure. Des insultes qui ne parvenaient à rien si ce n'est lui arracher un sourire satisfait. Des dizaines et dizaines de journalistes étaient là, cahiers et stylos en mains, interdits de prendre des photos. Il en voyait certains tenter de dessiner son visage, plus ou moins avec talent. Et parmi eux, son regard s'arrêta sur un jeune homme aux cheveux bruns et aux yeux chaleureux. Un jeune homme qui ne détachait pas son regard de lui, maintenant le contact de leurs yeux. Jungkook.

Tout le monde cherchait qui ou quoi ce meurtrier fixait si intensément, mais avant que quiconque n'ait la réponse, Jimin rompit l'échange et regarda devant lui, toisant les jurés, juges, et procureurs avec dédain.

Il sentait le regard lourd de Jungkook dans son dos. Il parvenait à faire la différence entre lui et "les autres". Il inspira, et le juge demanda le silence, coupant court aux murmures incessants.

«Park Jimin, vous avez été arrêté, inculpé, et êtes jugé en ce jour pour 46 homicides volontaires dont 17 aggravés par acte de torture. 17 établis depuis 3 ans sous le pseudonyme de Smile Breaker, puis 29 il y a 5 mois sous le pseudonyme de Night Walker. La police nous a fait part d'aveux complets de votre part durant un entretient et nous a apporté juste avant le début de ce procès l'état d'un nouveau meurtre contre un agent des forces de l'ordre. Souhaitez-vous réitérer ces aveux ?»

Jungkook se mordit la lèvre. Il ne voulait pas que Jimin meurt. Pas de leurs mains, ils n'avaient pas le droit à cet honneur. Jimin lui appartenait. Il priait en son fort intérieur pour que le rouquin abandonne les aveux concernant Smile Breaker. Pourtant la voix douce et pourtant si froide de Jimin résonna alors entre ces murs.

«Oui.»

Les instructeurs de justice le regardèrent d'un air grave et acquiescèrent alors que le meurtrier ne détourna pas le regard un seul instant. Jungkook, lui, serrait ses poings de toutes ses forces, se retenant de lui crier dessus, se retenant de le traiter d'abrutis, cherchant une solution.

Ses pensées furent interrompues par le juge qui reprit alors:
« L'objet de la séance d'aujourd'hui sera donc de formuler une peine et non évaluer les faits pour établir votre culpabilité. Je fais appel à l'avocat de la défense...»

Jungkook regardait toute la scène passivement. C'était risible. La façon dont cet avocat n'avait même pas pris la peine d'étudier le dossier, la façon dont cet enculé se contentait de décrire le rapport psychologique de Jimin pour prouver sa "maladie" et obtenir une peine moins lourde, un établissement psychiatrique à perpétuité plutôt qu'une prison. Quel était le pire ? Mais au moins, la peine de mort ne pouvait pas être encourue si cette option était retenue. C'était du moins ce que Jungkook pensait.

Personne, tout le long du procès, ne semblait remettre en cause le fait que Park Jimin était les deux meurtriers. Personne ne remettait en question ses aveux. Tout le monde s'enfonçait dans cet argumentaire indigne: Jimin était un sociopathe schizophrène. Mais à ses yeux, il n'était pas fou. Eux deux étaient au final les seuls sains d'esprit dans cette salle.

Les portraits des victimes apparaissaient un à un, accompagnés ou non du témoignage d'un membre de la famille des victimes. Souvent pas d'ailleurs, car ils n'avaient rien à dire qui servait pour le procès. Pourtant lorsqu'un homme que Jungkook ne connaissait pas s'avança vers le pupitre où se tenait tour à tour les témoins, la mâchoire de Jimin tomba. Il le regarda, ses yeux s'embrumèrent. Puis le portrait d'un jeune homme apparut en photo sur l'écran du rétro-projecteur et Jimin sembla s'affaisser, la tête rentrée dans ses épaules, contenant quelque chose en lui.

Le témoin prit la parole.

« Monsieur Min. Je...J'avais rencontré Jimin une fois. Une seule. Il avait conduit mon fils sur le chemin de l'homosexualité. Il l'a perverti, abusé de lui. Je ne m'en étais pas rendu compte à l'époque. Je n'avais jamais pensé que cet homme était celui qui avait tué mon fils. Pourt-»

Il sursauta, comme toute la salle, interrompu par le cris de Jimin qui releva le visage alors que des larmes dévalaient ses joues et la colère déformait ses traits. Il criait de douleur sans que personne ne comprenne pourquoi. Puis il hurla jusqu'à faire vriller sa voix, sans même se retourner.

«POURQUOI TU AS FAIS CA?! POURQUOI TU L'AS TUÉ ?! IL ÉTAIT À MOI. CET ENCULE ÉTAIT À MOI. TU N'AVAIS PAS LE DROIT!!!»

Jungkook baissa son visage qu'il prit dans ses mains, cachant son sourire, s'empêchant de rire. Il se retenait si fort que sa gorge le brûlait. Il aurait pu craindre que Jimin ne se retourne et le ne regarde, ou encore qu'il ne crie son nom, porté par la rage. Pourtant Jungkook savait que Jimin ne le ferait pas. Parce qu'au fond de lui, il devait le remercier: car cet homme sur la photo était mort. Il l'avait tué à sa place. Il avait tué Min Yoongi pour lui, lui offrant un cadeau de Noël involontaire.

Les instants qui suivirent furent un chaos, le juge demandait le silence alors que l'avocat de Jimin ne cessait de s'époumoner en le désignant du doigt:

«VOUS VOYEZ QU'IL EST FOU ? COMPORTEMENT TYPIQUE SCHIZOPHRÈNE, IL SE PARLE A LUI-MÊME. »

Les jurés acquiesçaient, parlaient entre eux, la foule murmurait dans un brouhaha générale, et il fallut quelques bonnes minutes avant que le calme ne revienne, et encore une centaines d'autres pour que le procès ne se clos. Les jurés ont jugé que Jimin était effectivement atteint de maladies mentales. Pourtant Jungkook ne s'attendait pas à la suite: le procureur de la partie civile demanda néanmoins la peine capitale. Ça n'avait pas de sens. Jungkook posa alors son regard sur le juge. C'était à lui de prononcer la sentence finale, c'était sa décision.

Il regarda le juge s'avancer lentement vers son micro. Ce petit micro ridicule qui avait une forme de verre de terre qui se courbait vers sa bouche avec disgrâce.

«Park Jimin, reconnut coupable de 46 homicides volontaires dont 17 aggravés sous acte de torture par un juré de 12 civiles, reconnut sociopathe et schizophrène par ce même juré, est condamné à mort. La date de l'exécution sera communiquée postérieurement. La séance est levée. »

La salle se vidait. Jungkook resta figé. Des hommes revinrent chercher Jimin, détachèrent les scellés et le firent avancer entre les bancs maintenant vides. Leurs regards se croisèrent à nouveau: celui perdu de Jungkook se confronta à celui assuré et haineux de Jimin. Il lui en voulait. Il le haïssait pour avoir tué Min Yoongi à sa place. Pourtant il allait mourir pour lui.

Jungkook sortit de la salle quelques minutes plus tard lorsqu'une voix l'interpella au détour de la lourde porte de sortie.

«Jeon Jungkook.»

Il se retourna lentement.

« Inspecteur Kim. Je pourrais croire que vous m'attendiez.
— C'était le cas.
— Parfait. J'avais justement quelque chose à vous demander....»

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