Feuille blanche
Taehyung détestait les premières rencontres avec les feuilles.
Il les détestait parce qu'elles le décourageaient.
Il se retrouvait assis sur son tabouret qui menaçait de céder devant ce petit rocher étrangement lisse qu'il utilisait pour dessiner, assis comme un con, les mains sur les genoux dans une position loin d'être naturelle, le regard posé sur ce carré blanc vide sens qui n'attendait que Taehyung pour prendre des couleurs.
Il passait parfois des heures dans cette position comme si il attendait que la feuille, manquant de s'envoler à chaque bourrasque de vent marin, face elle-même le premier pas vers lui alors qu'elle n'était évidemment pas en position de le faire.
Il attendait des heures durant, que ce blanc nacré cesse de l'éblouir et de l'intimider. Que sa main gauche cesse de trembler et que son crayon fin soit enfin suffisamment stabilisé pour pouvoir dessiner.
Le soleil avait généralement le temps de commencer à se coucher, de lentement entamer sa descente vers l'horizon et de glisser Taehyung dans son petit cocon.
Taehyung aimait ce soleil là, ce soleil plus doux, plus rond, plus rougeâtre et plus facile à regarder. Il le trouvait beau le soleil du soir, celui qui fascinait les oiseaux et qui faisait toujours du ciel le plus des tableaux. Celui qui attirait tous les regards et qui faisait de la mer une véritable oeuvre d'art. Celui qui pouvait faire cesser les tremblements incessants de ses mains et lui manquer le matin.
C'était uniquement à ce moment-là, ce temps malheureusement si court où le ciel quittait le coton des nuages pour rejoindre celui de l'écume de l'océan.
Ces minutes là étaient les meilleures pour lui, c'était ces minutes là qui le réveillaient de sa léthargie angoissée pour le pousser à enfin poser sa mine sur le papier et le recouvrir de traits froissés, abstraits, bancals et loin d'être parfaits.
C'était comme si son talent se réveillait et était incapable de se refréner. La mine gribouillait beaucoup, la gomme gommait peu. Le temps filait trop vite pour cela, le soleil se couchait, il n'avait pas le temps d'effacer, juste de créer. Il enveloppait la page auparavant immaculée de traits défaits, légèrement courbés, tremblants un peu, mais vivants beaucoup.
La page noircissait, le blanc disparaissait, l'angoisse s'envolait et la vie apparaissait.
Le vide était brisé.
Ne restait que le plein, le trop, le un peu moche et le beaucoup beau.
Et à l'instant où le soleil touchait l'eau, à l'instant même où il paraissait avoir atteint le monde, son monde, que la création de Taehyung était à son apogée, presque achevée, ne manquait à son œuvres que deux/trois minutes de gestes passionnés, la tête de Taehyung se relevait.
Sa main s'arrêtait, s'immobilisait, ses épaules se redressaient et son regard au loin se portait.
Le soleil se couchait, disparaissait, et Taehyung ne pouvait le laisser partir sans laisser une dernière fois de la journée son attention y être accordée.
Alors sa main se baissait sans qu'il ne s'en rende compte, ses doigts endoloris lâchait le crayon à la mine usée pour rejoindre sa jumelle sur son jean aux genoux troués.
Et une fois le soleil disparu, ne laissant derrière lui qu'une traînée de jeux de lumières qui fascinait toujours sa grand-mère, Taehyung baissait les yeux sur son dessin pas terminé.
Il soupirait toujours à cet instant-là, se faisant une nouvelle fois la réflexion que ce soir encore, il n'avait pas eu le temps.
Il ne l'avait jamais, de toute façon.
Tant pis, ce dessin là aussi, resterait blanc.
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