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Lorsque je pénètre dans le bâtiment sombre, un sentiment d'anxiété m'assaille. Il faut dire que je n'ai pas que de bons souvenirs, ici. La capture de Sacha. La blessure de Jojo. Les entraînements de Terminator. Le puçage de Jojo.
Et pourtant, j'ai quand même passé quelques bons moments - autant que possible dans cet environnement hostile. Ma rencontre avec Jojo et nos innombrables discussions, toutes plus absurdes les unes que les autres. Mes retrouvailles avec Sacha et celles de Jojo avec ses parents. Notre fuite.
Et, bientôt, notre victoire.

- N'oubliez pas, chuchote James, nous partons vers la cour intérieure. On va essayer de faire au plus vite. Et surtout, surtout, ne faites pas de bruit. Les Traqueurs rôdent et peuvent nous tomber dessus à tout moment.

Mince, c'est vrai ! J'avais oublié cette satanée super-ouïe.
Tandis que les adultes se dirigent à pas feutrés vers leur destination, je suis Jojo qui tire sur nos menottes. Je me retiens de râler parce qu'il tire un peu trop fort. Et pendant que nous marchons silencieusement à travers le dédale de couloirs de plus en plus obscurs, je me remémore toute mon aventure depuis le début. Depuis mon recrutement forcé jusqu'à l'enlèvement de mes parents, en passant par ma dernière entrevue avec le professeur dans ma maison. Au cours de laquelle je me suis fait grièvement blesser et Jojo dépucer.
Attends... quoi ?!
Je fais marcher mon cerveau pour me souvenir de chaque événement, seconde par seconde. Le professeur assis dans mon salon (avec mon coussin), ma mère qui apporte le thé, le marché qu'il tente de me faire passer et que j'accepte, Sacha qui déboule dans la pièce, Jojo qui me tire dessus... puis le nain qui s'enfuit, mais qui est retenu par Jojo qui... oh, non...
Oh, non non non non non...
J'ai encore tout fait capoter.

- Melody ! murmure Jojo d'un ton agacé en se retournant. Arrête de traîner des pieds !

Je ne réponds rien. Pire, je m'arrête de marcher et je me plante en plein milieu d'un couloir, parfaitement consciente qu'un Dark Vador peut surgir de n'importe où. Mais il y a bien plus urgent.

- Jojo, Sacha... je dois vous avouer quelque chose.
- Tu as retrouvé le vinyle collector de OneRepublic de papa qu'on avait perdu ?! s'enthousiasme mon frère.
- Sacha, sois sérieux, s'il te plaît.

À mon ton grave, il comprend que je ne plaisante pas.

- On va devoir changer de stratégie, les garçons.

Sacha fronce les sourcils et Jojo reste de marbre. Voyant qu'ils attendent une explication, je m'exécute. J'inspire un grand coup avant de leur confier ma dernière bourde... qui pourrait bien nous coûter la vie.

- Vous vous souvenez quand j'ai dit que le nabot n'était pas au courant que Jojo était dépucé ? je commence.
- Oui... Melody, qu'est-ce qu'il se passe ? Rien de grave, j'espère ?

J'évite la question de mon frère. Il n'a pas envie de connaître la réponse.

- Eh bien... il se peut que je me sois trompée... je continue en me tordant les mains. Il se peut qu'en réalité, le professeur Croix soit au courant...

Leur réaction est immédiate : les deux écarquillent les yeux et la bouche et lâchent un « QUOI ?! » retentissant. Très intelligent, les garçons. Vous allez nous faire repérer.

- Baissez d'un ton ! je chuchote.

Se moquant éperdument de mon ordre, Sacha se dirige d'un pas ferme vers moi. Sur son visage, tout est contracté et ses sourcils sont froncés à tel point qu'une ride s'est formée. Ouille. Je vais déguster.

- Tu es en train de dire que tout notre plan tombe à l'eau ?! Melody ! Mince, à la fin ! On ne te demande pas grand chose, et tu arrives à nous donner une fausse info ! C'est pas possible, ça !

Plutôt que de l'écouter m'accabler de reproches, je préfère réfléchir à un plan d'urgence. Nous n'avons pas de temps à perdre. Nous en avons suffisamment gâché.
Pendant tout le temps où mon frère s'acharne sur moi, Jojo garde la bouche fermée. Je crois qu'il ne tient pas à s'interposer entre nous, d'autant plus que Sacha lui en veut toujours. Ce n'est pas parce qu'il lui a demandé de toujours rester à mes côtés tout le long de la mission qu'il n'est plus en colère contre lui... bien au contraire.
C'est alors qu'une idée me vient. Une idée qui, je le crois, peut réussir.

- Sacha, tais-toi.

Surpris de mon intervention aussi soudaine qu'inopinée, mon frère m'obéit - j'en verserais presque une larme.

- J'ai une idée.
- Super ! On est sauvés, alors !

Évidemment, il est on ne peut plus ironique. Avant même que je ne m'explique, le voilà reparti dans une tirade théâtrale destinée à prouver que je suis la cause de tous ses malheurs. Il est vraiment pénible, quand il s'y met.

- Arrête de m'accuser et écoute-moi deux minutes. Je n'ai ni le temps ni l'envie d'écouter tes jérémiades. Oui, je me suis trompée et je m'en excuse. Effectivement, le professeur sait que Jojo n'est plus sous son emprise, et ça m'avait échappé. Pour ma défense, j'étais à moitié morte à ce moment-là, et je suis la seule à avoir vu la scène. Toi, dis-je en désignant Sacha d'un signe de tête, tu étais occupé à me maintenir en vie, et les adultes étaient dehors, ils n'ont donc rien vu. Quant à Jojo, il venait tout juste de se faire dépucer et il a agi par réflexe en retenant le professeur par le bras. C'est pourquoi il ne se souvient sûrement pas de grand chose. N'est-ce pas ? je lui demande.

Il hoche la tête. Je m'en doutais.
Essoufflée par mon long argumentaire, je prends quelques secondes avant de repartir à la charge.

- Maintenant, écoutez ce que j'ai à vous proposer.

Comme des enfants à qui l'on raconte une histoire, ils ont les yeux rivés sur moi et les oreilles grandes ouvertes.

- Déjà, on ne peut pas rester ici, en plein milieu de ce couloir. C'est bien trop dangereux.

Ils acquiescent ensemble. Au moins un point sur lequel nous sommes tous d'accord.

- Je propose que nous suivions le plan qui était prévu, en le modifiant un peu.

Ce que James avait prévu, c'est qu'une fois à l'intérieur, lui et Jessie iraient convaincre Terminator de nous rejoindre. De notre côté, nous nous serions dirigés vers la labo du nain à lunettes pour lui servir notre petit numéro du frère et de la sœur capturés par son soldat obéissant.
Seulement, cette partie est désormais compromise par le fait que nous ne pouvons plus faire croire que Jojo est toujours sous contrôle. Tout n'est pas perdu pour autant. Il suffit simplement d'oublier le côté pièce de théâtre pour le remplacer par une attaque surprise. Je sens bien que Sacha n'est pas tout à fait (voire pas du tout) enchanté par cette idée, mais nous n'avons pas le choix.

- Tu veux qu'on rentre tous les trois dans son bureau et qu'on le force à désactiver son armée de clones ? demande-t-il.
- Pas tous les trois. Toi, tu ne viens pas.

À ces mots, il reste bouche bée.

- Comment ça, je ne viens pas ?! Tu plaisantes, j'espère ?
- Sacha... je souffle. Laisse-moi continuer, tu veux.

Il s'exécute. De mauvaise grâce, mais il s'exécute.

- Pendant que Jojo et moi serons dans le labo, tu iras libérer papa et maman dans les cachots. Autant faire d'une pierre deux coups, non ?

Le silence s'installe alors qu'il réfléchit à ce que je viens de dire. Tout en moi espère qu'il acceptera sans rechigner. La dernière chose dont j'ai besoin en ce moment, c'est que mon frère refuse mon plan et que je sois obligée de le convaincre.
Pour être sûre qu'il cède, je lui transmets un message silencieux en le fixant intensément. « Accepte, accepte, accepte... »

- Promets-moi d'être prudente.

Yes ! (Rassurez-vous, je n'ai pas dit ça à voix haute. À la place, j'ai tenté comme j'ai pu de contenir l'immense sourire qui commençait à étirer mes lèvres. Lamentablement, je dois dire.)

- Promis. Et puis, j'ajoute, Jojo sera avec moi pour me protéger. Comme tu me l'avais demandé.

Il ouvre la bouche puis la referme. J'ai gagné.

- Joe. S'il arrive quoi que ce soit à ma sœur, je te jure que je te rase la tête.

La réaction de Jojo est hilarante : sans un mot, il porte la main à ses cheveux comme pour les protéger de la menace qui plane sur eux.

- Et toi, Melody, s'il t'arrive quoi que ce soit, tu pourras oublier les petits muffins au chocolat au goûter.

C'est de loin ce qui me motive le plus à réussir cette mission sans blessure. Impossible d'imaginer ma vie sans les mini muffins au chocolat de Sacha.
Je promets donc une nouvelle fois de rester prudente. La vérité, c'est que j'aimerais me débarrasser de mon frère au plus vite. Cette discussion s'éternise et m'agace au plus haut point. Je réussis enfin à pousser Sacha vers le couloir en direction des cachots (nous avions également accès au plan du QG dans les dossiers du professeur, et heureusement), après que Jojo lui a retiré ses menottes. Alors qu'il s'apprête à courir dans la direction opposée à la nôtre, il fait demi-tour et se précipite vers moi pour m'enlacer... ou plutôt pour m'étouffer.

- S'il te plaît, reviens-moi en un seul morceau, chuchote-t-il dans mon oreille. Je n'ai pas envie de te recoudre encore une fois. Ok, petite noisette ?
- Je te le promets, Sacha. Sois prudent, toi aussi.

Nous nous détachons l'un de l'autre et nous nous sourions avant qu'il ne parte au pas de course. Quelques secondes après, il a disparu au détour d'un couloir obscur. Je me tourne alors vers Jojo, qui n'a pas décroché un mot depuis que nous avons posé le pied dans le repaire - hormis son « QUOI ?! », évidemment. Je vais pour lui demander de m'enlever les menottes qui commencent à me faire mal, mais il me devance en prenant la parole.

- Juste toi et moi, Melody. Comme au tout début de notre aventure.

Il finit en souriant gentiment.
Il a raison. Nous nous retrouvons dans la même position qu'au début : Jojo et moi, devant l'antre de l'ennemi, prêts à en découdre. Sans plan, évidemment.

- C'est vrai, je lui réponds. Mais cette fois, c'est différent. Cette fois, nous gagnerons. Pour de bon.

Sur ces paroles, il sort la clé qui permet de déverrouiller mes menottes (enfin !) puis m'attrape la main fermement. Ce geste me donne du courage. Je me sens invincible. Nous réussirons. Main dans la main, nous avançons vers la porte du professeur.
Ensemble, nous allons mettre fin à ce règne de silence.

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