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Surtout ne pas paniquer. Ne pas regarder. Garder mon sang-froid et les idées claires. Tant que je ne baisse pas les yeux, ça devrait aller.

- Melody. Petite noisette, écoute-moi, regarde-moi. Tout ira bien.

Je lève les yeux vers mon frère, dont le visage reflète une peur que je ne lui connais pas. Il est gonflé, quand même. C'est moi qui suis en train de me vider de mon sang, pas lui.
Avachie par terre, je tente tant bien que mal d'arrêter l'hémorragie. Plus facile à dire qu'à faire. Heureusement, docteur Sacha est là pour me sauver. Ou, du moins, pour tenter de me garder en vie.

- Quel gâchis... se lamente le professeur.

Je l'avais oublié, celui-là. Il faut dire que je ne suis plus vraiment en mesure de tenir tête au nabot. J'ai d'autres préoccupations, actuellement. Rester en vie, par exemple. (Je vous ai déjà dit que j'aimais l'humour noir ?)

- Je crois que c'est l'heure pour moi d'y aller. Je ne te dis pas au revoir, Melody.

Têtue comme une mule, j'essaie de me redresser pour lui jeter ne serait-ce qu'un regard assassin, mais Sacha me force à rester immobile. Du coup, c'est lui qui hérite de mon regard noir.
Délaissant mon frère, je suis le professeur Croix du regard. Il s'apprête à franchir la porte d'entrée, suivi de Jojo, et je suis impuissante face à sa fuite. Notre plan a vraiment capoté. Jojo est toujours sous l'emprise du moustachu et moi, je suis à moitié morte. Rien ne s'est déroulé comme prévu.

- Évite de bouger, me réprimande mon frère.
- Je fais ce que je peux, je râle.

La main sur la porte d'entrée, le professeur abaisse la poignée quand tout à coup, Jojo lui saisit le bras. Il le tire en arrière pour l'empêcher de sortir de la maison, mais le professeur réagit rapidement et sort sa télécommande de sa main libre.
Il bidouille deux ou trois boutons, et immédiatement, deux Traqueurs accourent pour neutraliser mon ami. Mais il est plutôt coriace, je dois bien lui reconnaître ça. Jojo ne se laisse pas faire et fait honneur à Karaté Kid.
Néanmoins, malgré ses talents en arts martiaux, il est vite submergé et le nain à lunettes parvient à s'échapper, bien vite suivi de ses deux soldats. D'un geste rageur, il claque la porte d'entrée avant de se précipiter vers nous.
Sacha se relève et fait barrière entre Jojo et moi.

- Tu crois aller où, comme ça ? lui demande-t-il d'un ton agressif.
- Je veux t'aider.
- M'aider à quoi ? À tuer ma sœur plus que tu ne l'as déjà fait ?!

Mon frère s'énerve tant et si bien qu'il me ferait presque peur. Je dis bien presque. Parce que Sacha ne pourra jamais vraiment faire peur. Il n'a pas une tête pour ça.

- Non, je-
- Tu quoi ?! Va voir ailleurs si j'y suis ! Et laisse-moi réparer ce que tu as fait.

Il y a quelque chose que je ne comprends pas. Pourquoi est-ce que Jojo nous parle ? Pourquoi est-ce qu'il s'inquiète pour moi ? Il n'est plus sous l'emprise du professeur ?
Comme s'il lisait dans mes pensées, Jojo s'explique.

- Écoute, Sacha... Je te promets que je ne vous ferai plus aucun mal. Ce n'est même pas moi qui ai tiré sur Melody ! Enfin, si mais non. Je n'étais pas libre de mes mouvements, c'est ce fou qui me contrôlait !
- Comment je peux te faire confiance après ce que tu viens de faire ? réplique Sacha, dubitatif.

Un grand silence s'ensuit, pendant lequel Jojo baisse les yeux vers moi. Je tente de lever le pouce pour le rassurer, mais j'échoue pitoyablement et ses yeux s'embuent légèrement. Ah non ! Il n'a pas le droit de pleurer ! Si quelqu'un doit verser des larmes, ici, c'est moi.

- Melody, je... je suis désolé...
- T'inquiète, je gère, je lui réponds.

Sauf qu'une quinte de toux arrive et que je m'étouffe en disant ces mots. Sacha ronchonne parce que j'ai bougé et Jojo esquisse un demi-sourire. J'ai au moins le mérite de détendre l'atmosphère. Mais je n'en mène pas large. La douleur s'intensifie et je commence sérieusement à paniquer. Je ne veux pas me retrouver avec un trou béant à la place de l'estomac !
À côté de Sacha, Jojo s'accroupit et, à défaut de l'aider dans sa besogne médicale, me prend la main pour m'encourager. Il m'offre même un sourire - un peu raté, mais c'est mieux que rien.
Évidemment, le calme est de courte durée, puisque débarquent Jessie, James et... Nick ? Qu'est-ce qu'il fait là, lui ?

- Les enfants ! Tout le monde va bien ? On vient de voir sortir le professeur et- oh mon dieu ! Melody ! s'exclame Jessie.

Elle court vers moi et se jette à genoux. Ça commence à faire beaucoup de monde autour de moi, j'étouffe un peu.

- Ma puce, comment tu t'es fait ça ? demande-t-elle, les yeux rivés sur ma blessure.
- C'est de ma faute, explique Jojo. Quand Sacha est entré dans la pièce, le professeur Croix m'a forcé à lui tirer dessus, mais Melody s'est jetée devant lui pour le protéger. Ensuite, j'ai repris le contrôle et le nain s'est enfui.
- Oui, nous avons tenté de l'arrêter, mais avec le coup de feu que nous avons entendu, nous avons préféré entrer... et on a bien fait, ajoute-t-elle, la mine défaite.
- Attendez, intervient Sacha. Il y a quelque chose que je ne comprends pas. Comment ça se fait que Joe ait pu reprendre le contrôle ? Ça voudrait dire que Nick - salut, Nick, d'ailleurs - a réussi ?

C'est au tour de Nick de prendre la parole. Il s'avance et nous regarde tour à tour, Sacha et moi, avant de se lancer dans son explication.

- À vrai dire... nan, pas tout à fait. J'étais dans l'bureau et j'avais réussi à hacker l'ordi. J'avais trouvé l'moyen de désactiver ces pu... ces sal'tés d'puces, se reprend-il devant le regard courroucé de Jessie. J'avais commencé par vot' ami Joe, continue-t-il en désignant Jojo d'un signe de tête, sauf qu'il y avait un téléchargement... Enfin, y'avait un délai avant qu'sa puce soit désactivée. Et c'est à c'moment-là que j'ai entendu du bruit dans l'couloir. Alors j'ai préféré vous r'joindre en quatrième vitesse plutôt que d'prendre le risque de m'faire choper. Je m'suis dit que ce s'rait bête de perdre notre seul hackeur, et qu'on pourrait rev'nir plus tard.

Un peu sonnée par cette longue tirade, je tente d'ingérer le plus d'infos. Donc, Jojo est le seul à avoir été dépucé. C'est une bonne nouvelle. Plus ou moins. On sait aussi qu'il reste toute son armée au professeur. Il va nous falloir du renfort.
D'ailleurs, je m'étonne que mes parents n'aient pas rappliqué dès qu'ils ont entendu le coup de feu. Ennemi ou pas, ils seraient tout de suite venus voir, normalement.
Je scrute la pièce du regard pendant que les adultes discutent entre eux et que Sacha fusille Jojo du regard. Je crois qu'il n'est pas près de lui pardonner.
De mon côté, j'essaie de réfléchir. Pourquoi est-ce que mes parents ne sont-ils pas ici avec moi ? J'ai besoin d'eux, plus que de quiconque. Soudain, une idée me traverse l'esprit : et si le professeur les avait enlevés ? Non, ça n'a pas de sens. Je refuse d'envisager cette possibilité. J'ai suffisamment souffert jusqu'à présent. Ma famille aussi.
Pourtant, je ne les vois toujours pas revenir et, oubliant jusqu'à ma douleur, j'angoisse. Comment le professeur aurait-il réussi à les emmener sans que je m'en aperçoive, de toute manière ? Il n'y a pas d'entrée secrète, il y a seulement...
Oh non. Non, non, non, non, non.
Nous avons une porte qui donne sur l'arrière de la maison. Ne me dites pas que...
Mais si ! Tout s'explique !
Quand il a joué avec les boutons de sa télécommande, le professeur n'était pas du tout en train de désactiver la puce de Jojo ! En fait, il appelait des Dark Vador et leur ordonnait de kidnapper mes parents ! Sale menteur. Il n'a jamais été question de marché. Il m'a eue, et en beauté. Je m'en veux d'être si longue à la détente.

- Sacha... je murmure, à bout de forces.

Il lève les yeux de ma plaie que je refuse toujours de regarder, et me répète de ne pas bouger.

- Sacha, écoute-moi. Il a enlevé papa et maman.
- Qui ça, « il » ?
- Le professeur.

La peur s'invite dans ses yeux.

- Non. Non, c'est impossible, on l'aurait vu.
- Rappelle-toi de notre porte arrière. On ne l'utilise jamais, mais elle existe bien.
- Tu veux dire que... non. Je ne veux pas y croire.
- Sacha, il faut être réaliste.

Fronçant les sourcils, il retourne à ses soins en redoublant d'ardeur. Il va me faire mal, à force.

- On ira les sauver dès que tu seras soignée. On ne peut pas y aller maintenant. En plus, on a besoin de renfort. Et je crois savoir qui aller chercher.
- Ah oui ? Qui ?
- Charlie.
- Charlie... comme dans Charlie ?
- Oui.

Cool. J'aime bien Charlie.
Pendant que les adultes discutent toujours, et que Sacha s'affaire à me réparer, Jojo m'entoure la main de ses deux grandes paluches et me regarde gentiment, essayant de me rassurer.
Mais je n'ai pas la tête à lui sourire, je dois réfléchir à un plan pour aller secourir mes parents. Je n'y arrive pas, mon cerveau s'engourdit et mes pensées s'embrument. Je crois que les balles dans le ventre, ça ne me réussit pas vraiment.

- Eh. Melody. Melody, reste avec moi ! s'écrie Sacha qui tente de me garder éveillée.

Il a beau crier et me donner de petites claques, rien n'y fait, et je perds peu à peu conscience. J'entends vaguement Jojo crier mon nom, quelque part à ma droite.
C'est fou... quand on s'évanouit, on ne ressent même plus la douleur... C'est comme... quand... on s'endort...

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