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- Laissez-moi résumer la chose pour tout le monde : vous comptez rendre visite à un vieil ami que vous n'avez pas vu depuis belle lurette, parce qu'il constitue un allié potentiel pour nous aider à libérer Joe.

Je regarde Sacha et approuve sa remarque d'un hochement de tête. Il n'a pas tort, ce plan contient un maximum de risques. Des milliers de questions me traversent l'esprit : comment être sûrs à 100% que cet homme est fiable, qu'il ne nous trahira pas ? Comment a-t-il réussi à s'échapper là où Jessie et James ont échoué ? Qui est-il vraiment ?
Mais la plus importante de toutes.
C'est encore loin ?

- Et vous dites qu'il s'appelle... Nick ?
- Comme Nick Fury ? j'ajoute, surexcitée.
- Euh... non. Juste Nick, me répond James.
- Ah, dis-je, déçue.

Avant que je ne puisse poser l'une des innombrables questions qui tournent dans ma tête, James prend la parole en s'adressant à Sacha.

- Mais tu vas un peu vite dans ton synopsis.

Nous sommes tous suspendus aux lèvres de James.

- Nous allons effectivement voir un vieil ami qui s'appelle Nick. Nick Fury, si vous voulez, ajoute-t-il à mon intention (ce qui me décroche un sourire). Nous nous sommes connus alors que nous étions en formation chez les Traqueurs, et il nous a aidés à élaborer notre plan de fuite.
- Qui a échoué, je termine à sa place.

Les parents de Jojo me font les gros yeux - et c'est mérité. Moi et ma grande bouche...

- Pour nous, oui. Pas pour Nick.
- Il a réussi à s'échapper in extremis.
- C'était un sacré bonhomme, ce Nick, quand même... ajoute Jessie, rêveuse.

Son époux lui jette un regard jaloux et elle rit avant de s'approcher de lui.

- Ne sois pas jaloux, James... tu sais bien qu'il n'y a que toi que j'aime, déclare-t-elle avant de lui déposer un bisou sur la joue.

Je pousse un soupir d'envie. Puis Sacha s'approche de moi, une lueur malicieuse dans le regard. Je me répète sûrement, mais ça n'augure jamais rien de bon.

- Melody, chuchote-t-il au creux de mon oreille, j'ai une devinette pour toi.

Ah ? C'est peut-être moins pire que ce que j'imaginais.

- Vas-y.
- Est-ce que tu sais quel est le fruit qui fait tomber amoureux ?
- Euh...

Je me creuse la cervelle à la recherche d'une réponse, mais je ne vois vraiment pas.

- Je donne ma langue au chat.
- La mûûûre...

Je pouffe, la main devant la bouche.
Quand aux parents de Jojo, ils arrêtent de roucouler et reprennent leur avancée au pas de course. Je m'empresse de les suivre, avec un Sacha plus en forme que jamais collé aux basques. C'est devenu un vrai puits à blagues, les charades et les jeux de mots fusent de partout. « Tu connais l'histoire du pingouin qui respirait par les fesses ? Un jour, il s'assied... et il meurt. » « Eh, eh, Melody ! Tu sais ce qu'achète Dark Vador en entrant dans une boulangerie ? Trois pains et deux tartes tatin ! »
Ne vous méprenez pas : j'aime mon frère. Beaucoup, même. Mais il m'épuise.

- Sacha, j'ai un rébus pour toi : Z, I, P, L et A.
- Z... Zi... Zip... Zip-la... ? ... Eh !

1-0 pour moi.
Le « Nous y sommes ! » retentissant de James nous coupe dans nos enfantillages. En tournant la tête vers l'endroit qu'il pointe du doigt, je découvre une maison... totalement rabougrie.
Qu'est-ce que c'est que cette bâtisse pourrie ? Elle tombe totalement en ruine. Toit troué, fenêtres brisées, volets qui pendouillent misérablement, invasion de mauvaises herbes, ... et j'en passe. Le stéréotype de la maison hantée.

- C'est ici qu'habite Nick ? je demande, pour être sûre.
- Oui ! s'exclame Jessie, enthousiaste comme pas deux. Ça ne paye pas de mine, mais je vous assure que l'intérieur est bien mieux !

Il en faudra plus pour me convaincre.
La bonne nouvelle, c'est que nous sommes en pleine nature, donc personne ne viendra nous trouver ici. Et, hormis ce lambeau de maison, il y n'a pas âme qui vive aux alentours. Nous pourrons parler en toute tranquillité.

- Suivez-nous, on va passer par l'arrière !
- Vous détestez tant que ça les portes d'entrée ?

Ils rient à l'unisson et avancent d'un pas décidé vers la maison. Moi, j'y vais presque à reculons. Je suis le couple qui contourne la bâtisse tout en prenant garde à ne pas m'étaler par terre (le chemin est truffé de racines).

- Non, mais sérieusement. La porte d'entrée est piégée ?
- Pas du tout ! C'est juste que la porte ne s'ouvre pas.
- C'est... un mur, donc.
- Voilà, conclut James.

... No comment.
Après avoir tourné ma langue sept fois dans ma bouche, je décide qu'il vaut mieux que je ne dise rien. À la place, je me concentre sur ma progression qui devient de plus en plus dure à cause de la prolifération de mauvaises herbes. Une porte se profile devant nous. Je réussis à rester debout, tout va bien jusque-là, je... PLAF !
Oui, vous avez bien lu. Ça, c'est le bruit de Melody, dix-sept ans et un mètre soixante, qui vient de s'étaler comme une crotte par terre. Pour ma défense, j'ai été surprise par l'homme qui vient d'ouvrir la porte brutalement en criant quelque chose du genre « Qu'est-c'que c'est qu'ce boucan ?! Si j'me suis exilé en pleine nature, c'est pas pour que des citadins viennent briser l'silence ! ».
Plus accueillant, tu meurs.

- Nick ! s'écrie Jessie en s'élançant vers l'aimable monsieur.
- Nick, mon pote ! Ça faisait longtemps, tu nous avais manqué ! renchérit James.
- Jessie et James ? s'étonne le prétendu Nick.

Les yeux lui sortent de la tête, et, de surprise, il lâche la batte de baseball qu'il avait emmenée au cas où. De toute évidence, il ne s'attendait pas à notre visite.

- J'vous croyais morts.
- Écoute, Nick, nous t'expliquerons tout ça plus tard, mais le temps presse.
- Qu'est-c'qui vous arrive, encore ?
- Joe a été capturé par l'ennemi, annonce Jessie, accablée.
- Joe ? Vot' fils ?
- Lui-même. Et on a besoin de toi pour le récupérer, et pour mettre fin au règne de silence du professeur Croix. Une bonne fois pour toutes.

Nick prend plusieurs instants pour réfléchir aux annonces dont il vient d'être témoin. Sa décision est prise en quelques secondes.

- J'en suis !

***

- Tu peux répéter ça ? intervient James, les yeux comme des billes.

Nick se redresse dans son fauteuil, arborant un grand sourire de fierté. (Sourire qui, au passage, dévoile une rangée de dents de la même couleur que les cheveux de Jojo. Trop glamour.)

- J'ai pas chômé pendant ces deux dernières années, coco.
- Oui, je vois ça !
- J'disais donc que j'ai découvert qu'tous les systèmes de Traqueurs et d'éradication de la musique, dans le monde entier... ben, ils sont tous reliés à celui de New York.
- Ce que tu veux dire, c'est que si on fait tomber New York, on fait tomber le monde entier ?! s'étrangle Jessie.
- Ouaip.

Jessie avait raison : ce Nick, c'est un sacré bonhomme. La quarantaine assortie d'une petite bedaine, le tout saupoudré d'une bière à la main et d'un caractère de cochon... y'en a pas deux comme lui !
Néanmoins, il est courageux et efficace, je ne peux pas lui enlever ça. Après nous avoir servi une tasse de thé à laquelle je n'ai pas touché (il avait une couleur et une odeur qui tenaient plus de la vase que de la boisson), il nous a expliqué qu'il avait travaillé d'arrache-pied pendant les deux années qui avaient suivi son évasion. Il a collecté bon nombre d'informations sur les Dark Vador et leur système, dont celle qu'il vient de nous annoncer. Et je dois bien avouer qu'il nous a tous sciés. J'insiste afin d'être totalement sûre de ce qu'impliquent ses révélations.

- Vous... vous voulez dire qu'en mettant hors d'état de nuire le professeur foldingue et son armée de clones, on restaurera la musique dans le monde entier ?
- C'est exactement ça que j'veux dire.
- Monde entier, comme dans... « monde entier » ?
- Comme dans « monde entier », rigole-t-il.
- Wahou.

Sacha, qui, vous l'aurez compris, est d'ordinaire une véritable pipelette, ne pipe pas mot. Ça m'étonne de lui.

- Donc notre plan consiste simplement à désactiver les puces et c'est bon, tout est bien qui finit bien, happy end ? finit-il par lâcher.

Nick se bidonne. Il faut dire que nos têtes doivent valoir leur pesant de cacahuètes.

- Vous aurez beau l'répéter encore et encore, ça changera rien. Ouais, le plan, c'est de tabasser le nain et ses pantins. Simple comme bonjour.

Nous laissons planer un silence le temps de digérer l'énormité de la nouvelle. Quand je pense que Jojo voulait s'attaquer aux dirigeants du monde entier, alors qu'il suffisait simplement de s'occuper de New York...
Reste encore la partie « attaque » du plan. Et ça, ça ne risque pas d'être de la tarte...

- Au fait, les jeunes, comment vous êtes au courant, pour les puces ? demande soudain Nick.
- C'est une longue histoire... Pour faire simple, Jojo et moi-
- Jojo ? C'est qui, ça ? C'est le grand brun à côté de toi ?
- Euh... non, ça, c'est mon frère, Sacha.

Sacha agrémente ma présentation d'un coucou de la main. Irrécupérable.

- Et moi, je m'appelle Melody.
- Ok, Melody. Vous avez fait quoi, ce Jojo et toi ?
- Jojo, c'est le surnom que j'ai donné à Joe, j'explique. Bref, on a réussi à s'introduire dans le bureau du professeur Croix.
- Vous avez quoi ?

Je vous passe les quinze minutes de récit que j'ai imposées à Nick, Jessie et James. (Quand je vous dis qu'une fois lancée, on ne m'arrête plus...)
En réalité, entre la capture de Jojo, notre fuite, la rencontre avec Nick et l'élaboration du plan avec lui, quelques heures à peine se sont écoulées. (Nous sommes maintenant en pleine nuit, il doit être aux alentours de 22h.) Pourtant, je suis épuisée. Physiquement, mais surtout mentalement.

Une fois toutes les présentations faites et les explications données, nous voilà tous les cinq fin prêts à partir en direction du QG infernal.
Les adultes ont élaboré un plan d'attaque très simple (Sacha et moi n'avons pas eu notre mot à dire, parce qu'on est « encore des enfants »...) : Nick, qui a eu le temps de potasser son informatique et sa technologie pendant deux ans, s'occupera de désactiver les puces des Traqueurs en compagnie de mon frère et moi, pendant que Jessie et James, nos braves soldats, tenteront de faire diversion. En gros, ils serviront d'appas.

- Vous êtes prêts ? lance Nick.
- Parés, répond James.

Le reste acquiesce en chœur.
Nous voilà sur la route du combat final, duquel dépend l'avenir de tout un monde.
...
Wow, ça, c'était une vraie réplique de film. Je me sens invincible et remplie de courage tandis que notre petit groupe s'enfonce dans la forêt dont nous venons. Le trajet, qui dure une bonne demi-heure, est silencieux. Chacun d'entre nous est plongé dans ses pensées et tente comme il peut de surmonter sa peur.
Quant à moi, j'ai l'impression d'être Wonder Woman (même si je préfère Marvel à DC Comics).

Jojo, j'arrive. Alors t'as pas intérêt à mourir.
Sinon je te tue.

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