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- Ils marchent drôlement bien, ces nouveaux puceurs !
Une voix que je ne connais que trop bien retentit dans la cour. Son propriétaire, qui est bien la dernière personne que j'ai envie de voir, ne tarde pas à se montrer : le nabot fait son entrée, triomphant, au milieu des Traqueurs.
- Melody, Melody, Melody... Pourquoi t'obstiner ?
Mon sang ne fait qu'un tour. Je me rue en avant pour témoigner une partie de ma haine au savant fou, mais Sacha attrape mon poignet en me faisant comprendre que je ferais mieux de ne pas bouger. À contrecœur, je recule et je tente comme je peux de contenir la colère qui m'envahit.
- Je pensais que tu avais compris, tout à l'heure, se désole le professeur Croix. Je pense avoir été clair, pourtant : j'ai fini de jouer, tu ne m'amuses plus.
Du coin de l'œil, j'aperçois Jojo qui se relève. Les menaces du professeur n'ont alors plus aucun effet sur moi : envahie de soulagement, je me précipite vers le blond.
- Jojo ! Comment tu te sens ?
Insensible à ses blessures et à moi qui le secoue comme un prunier, il se met à marcher en direction... des Traqueurs. Bizarre.
- Jojo, tu vas où, là ?
Ça y est, j'ai compris ! Il va frapper le professeur ! Quel courage ! Enfin, il faut être un peu stupide, quand même, avec les armes des Traqueurs braquées sur nous. Tiens, d'ailleurs, pourquoi est-ce qu'ils ont arrêté de tirer ? Il y a quelque chose de louche, l'atmosphère a changé.
Et pourquoi diable Jojo ne me répond-il pas ?!
- Jojo ! Eh, oh ! Je te parle !
Je me tourne vers ses parents en désespoir de cause. Peut-être qu'eux réussiront à le faire réagir. Mais Jessie et James semblent être passés en pilote automatique. Tous deux ont les yeux vitreux et observent toute la scène sans rien faire. Idem pour mon frère.
- Mais réveillez-vous, bon sang ! Pourquoi est-ce que personne ne bouge ?!
Mes cris ont dû les sortir de leur transe, puisque tous les trois se dirigent au pas de course vers l'échelle sans se retourner.
- Vous allez où ?
Silence complet. Une réponse me parvient, mais ce n'est pas celle que j'attendais.
- Tu as joué avec le feu, Melody. Et tu t'es brûlée.
Roh, il me fatigue, le nain, avec ses métaphores.
- Je crois que tu ne sais pas à qui tu t'attaques.
Qu'est-ce qu'il baragouine, encore ?
- Et tes actes ont des conséquences. Bienvenue parmi nous, Joe, ajoute-t-il.
Quoi ?
Je fronce les sourcils et tourne la tête vers Jojo qui se tient maintenant aux côtés des Dark Vador.
- Jojo, qu'est-ce qu'il raconte ?
Enfermé dans le mutisme le plus total, Jojo ne daigne pas ouvrir la bouche.
- Tu n'as pas compris ? s'étonne le moustachu.
- MAIS COMPRENDRE QUOI, À LA FIN ?! j'explose.
Le professeur se met à ricaner doucement.
Puis ça me revient. Il a parlé de « puceurs ». Il ne voulait quand même pas dire que...
- Je vois à tes yeux que tu viens de saisir, sourit-il. Eh oui, Melody. Ton cher ami Joe fait désormais partie des Traqueurs.
Non.
Non, non, non, non, non, non... NON !
Je refuse de l'admettre, mais la réalité me frappe de plein fouet. Ils ont pucé Jojo.
Avant que je puisse réagir, Sacha m'entoure la taille de ses grands bras et me tire vers l'arrière.
- Lâche-moi ! Lâche-moi, Sacha !
Je me débats de toutes mes forces, mais mon frère reste indifférent à mes beuglements. J'ai beau le frapper et le ruer de coups de pied, rien ne l'empêche de m'entraîner vers l'échelle.
- Sacha ! Lâche-moi, laisse-moi aller chercher Jojo ! je hurle.
- On ne peut plus rien faire pour lui, me souffle-t-il. On reviendra le chercher plus tard, c'est promis.
- JE M'EN FICHE, LÂCHE-MOI !!!
À bout de forces, je fonds en larmes. Sentant ma résistance faiblir, Sacha me balance sur son épaule comme un sac à patates et m'emmène jusqu'à l'échelle. Arrivés là, je pose le pied sur le premier échelon et constate que Jessie et James sont déjà passés de l'autre côté. Et nos ennemis nous ont laissés faire sans nous mitrailler. À quoi bon nous attaquer, après tout ? Ils ont eu ce qu'ils voulaient.
Je grimpe à l'échelle le plus vite que je peux et, une fois en haut, je me retourne, les yeux embués de larmes, et lance un dernier regard à Jojo, dans l'espoir de déceler une réaction chez lui. Rien. Son regard est toujours aussi vide. Résignée, je descends de l'autre côté du mur, bien vite suivie de mon frère.
- À bientôt, Melody ! me lance le professeur de l'autre côté du mur.
Je ne relève même pas.
Je suis sonnée. J'ai besoin de m'asseoir. Heureusement, une pierre se trouve non loin de moi. Je me laisse tomber dessus, et Sacha me rejoint. Il se rapproche de moi et pose sa main sur mon épaule.
- Ça va aller ? me demande-t-il, soucieux.
J'ai envie de lui répondre que NON, ÇA NE VA PAS, ET ÇA N'IRA PAS TANT QUE JOJO NE SERA PAS AVEC MOI !!!, mais mon frère n'a pas mérité que je lui hurle dessus.
- Je te promets qu'on le sauvera.
- Il m'avait dit la même chose pour toi.
- Oh, Melody...
Son puits à paroles réconfortantes est sec, alors il se contente de me faire un câlin que je ne suis pas en mesure d'apprécier en cet instant.
- Je suis désolé.
Je ne prononce pas un mot, car je sais que si j'essaie de parler, seules des larmes sortiront.
Après plusieurs longues secondes d'embrassade, nous nous séparons. Je souris légèrement à mon frère - je le remercie silencieusement.
- Au fait, ils sont où, Jessie et James ? je me rappelle soudain.
- Bonne question.
Inquiets, nous nous levons d'un bond et partons à la recherche des parents de Jojo.
- Madame Jessie !
- Monsieur James !
Après quelques mètres parcourus, quelque chose bouge dans un buisson à ma gauche. (Nous nous trouvons dans une zone boisée, mais je n'ai aucune idée d'où nous sommes.)
Apeurée, je recule derrière Sacha qui sursaute légèrement.
- C'est quoi, ça ?
- T'inquiète, c'est sûrement juste un écu- AAAHHH !
Je pouffe. C'est effectivement un écureuil qui vient de sortir du buisson, et Sacha a reculé de dix pas. Quel trouillard !
- Allez, la flippette, on se remet en route.
Sacha se cache derrière moi tandis que nous repartons et je ris d'autant plus. Je suis quand même bien contente de l'avoir auprès de moi, cette grande asperge peureuse.
- Monsieur Jessie !
- Madame James !
Mon frère et moi nous regardons puis explosons de rire. Entre notre erreur et la pression qui redescend...
- Dites donc, les enfants !
Quand on parle du loup...
James apparaît soudain dans notre champ de vision, tout sourire.
- Ne nous appelez pas « Monsieur » ou « Madame », ça nous vieillit plus qu'on ne l'est déjà !
- Oups, désolée, je m'excuse. Où est-ce que vous étiez passés, au fait ? Et Jessie, elle n'est pas avec vous ?
James prend un air soucieux et me fait signe d'approcher.
- Elle... elle a besoin de se retrouver seule avec elle-même, chuchote-t-il. Pour mettre de l'ordre dans ses pensées. Nous venons de retrouver notre fils après deux ans, et il nous est déjà enlevé...
- Et vous ? je l'interromps. Vous tenez le coup ?
- Je n'ai pas le choix. Il faut que l'un d'entre nous reste fort pour garder les idées claires. Et puis, ajoute-t-il, un léger sourire sur les lèvres, Joe est le fils de son père. Il est fort.
J'acquiesce.
Finalement, le père de Jojo n'est pas si effrayant que ça... il est même plutôt cool ! (Enfin, aussi cool qu'on puisse l'être dans cette situation.)
- Ne t'en fais pas, on va le sortir de là.
- Je ne comptais pas faire autrement, je réponds.
Il me sourit avant de repartir vers le buisson d'où il est sorti. Je vais pour l'interpeller, mais je préfère le laisser aller voir sa femme. Ils n'ont pas besoin de mes questions inutiles alors qu'ils tentent de digérer tout ce qui vient de se passer.
À la place, je me tourne vers la seule occupation disponible : le moulin à paroles qui me sert de frère.
- Il est parti où ? me demande-t-il.
Je réfléchis avant de répondre. Je ne juge pas nécessaire d'exposer au monde entier l'état dans lequel se trouve Jessie.
- Euh... pause pipi.
- Ah, ok, se marre-t-il.
Nous trouvons une autre pierre sur laquelle nous poser. Sacha se laisse tomber dessus comme un éléphant. Quelle élégance.
- Eh, Melody.
- Hmm ?
Mon frère me regarde avec des yeux brillants de malice. Oh non, je sens la bêtise arriver à des kilomètres.
- Tu l'aimes bien, le blondinet, hein ?
Je me sens rougir jusqu'à la racine des cheveux, ce qui n'échappe pas à Sacha qui n'hésite pas à enfoncer le clou.
- Hein ? insiste-t-il en me donnant un coup d'épaule.
- Euh... je... Ça ne te regarde pas !
- J'ai tapé dans le mille ! s'exclame-t-il.
- T'as rien tapé du tout, je rétorque, parce que tu as tout faux.
Il hausse les sourcils l'air de dire « Ne te moque pas de moi ». Son regard perçant me fait rougir encore plus que je ne le suis déjà.
Qu'est-ce qu'il peut m'agacer !
- Allez, je suis ton frère, tu peux me le dire, quand même. On est entre nous, déballe ton sac.
- Mais puisque je te dis qu'il n'y a rien !
- À d'autres. Allez, avoue.
Il ne va jamais lâcher l'affaire. Bon. Puisqu'on en parle, autant lui dire la vérité...
- Tu promets que tu gardes ça pour toi ?
- Mais oui.
- Promets !
- Promis.
Je prends une grande inspiration, puis je me lance.
- Bah... je... peut-être que... enfin... tu vois, quoi...
- Non, je vois pas, dit-il avec un grand sourire.
Il veut vraiment me le faire dire ! Il est incroyable (et pas dans le bon sens du terme) !
- Bien sûr que si, tu vois ! je m'enflamme.
- Je veux te l'entendre dire.
- Oui, j'aime bien Jojo ! On est amis.
Il lève les yeux au ciel. Il ne croyait tout de même pas que j'allais lui dire ce qu'il voulait entendre ?!
- Sois honnête, tu l'aimes bien... plus qu'un ami.
Et il ponctue sa déclaration d'un clin d'œil plein de sous-entendus.
- Je ne dirai rien que je ne pense pas.
- Ok, ne dis rien si ça te chante. Mais moi, je sais tout, dit-il en se levant.
- Tu sais rien du tout ! je lui crie, affreusement gênée.
Non mais. C'est quoi, ces manières ?! On n'insiste pas comme ça.
Je n'ai pas le temps de m'indigner car James revient, cette fois accompagné de son épouse qui semble avoir repris un minimum de contenance.
- On lève le camp, les jeunes !
- On va où ?
- C'est une surprise, sourit Jessie.
- On va voir quelqu'un qui nous sera d'une grande aide, nous souffle James.
Je leur emboîte le pas tandis qu'ils prennent la direction du Nord. Ou alors c'est le Sud. Ou peut-être l'Ouest. J'en sais rien, je suis archi nulle en orientation.
- En route, mauvaise troupe !
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