24

- Papa ? Maman ?

Comme soudainement guéri de ses blessures, Jojo se lève d'un bond et se jette dans les bras des deux adultes.
Sacha et moi assistons à toute la scène bouche bée tandis que le trio partage des effusions de joie, au bord des larmes.

- Comment c'est possible ? Je vous croyais morts, assassinés par les Traqueurs ! Les filles et moi étions si tristes, c'est extraordinaire ! Comment... qu'est-ce que... je... je n'en reviens pas, c'est incroyable...

Jojo balbutie, estomaqué par la tournure qu'ont pris les événements. Il faut dire que je m'attendais à tout sauf à ça.
D'après ce qu'il m'avait raconté, ses parents avaient infiltré l'organisation des Traqueurs dans le même but que nous : renverser le gouvernement et rétablir la musique une bonne fois pour toutes. Malheureusement, ils ont été découverts et exécutés... Enfin, c'est ce que pensait Jojo. Jusqu'à aujourd'hui.

- Je suis tellement heureuse de te revoir, mon Joe... mon petit Joe qui a tellement grandi...

La dame (que je devine être la mère de Jojo) essuie une larme et s'écarte de son fils, tandis que le père donne une dernière accolade à Jojo avant de reculer d'un pas.

- Écoute, fiston. Nous aurons tout le temps de parler une fois que nous serons sortis d'ici. Mais j'ai cru comprendre que, pour l'instant, il y a une certaine personne qui a besoin de s'enfuir d'ici si elle tient à ses fesses, dit le monsieur en coulant un regard vers Sacha.
- Tu nous présentes ? ajoute sa mère.
- J'en ai oublié les formalités ! Papa, maman, voici Melody.

Je fais un timide coucou de la main à ses parents, toujours abasourdie par ce qui nous arrive. J'arrive néanmoins à esquisser un sourire.

- Melody, je te présente mon père, James, et ma mère, Jessica.
- Tu peux m'appeler Jessie, sourit-elle.
- Enchantée, Jessie, je réponds en lui tendant la main.
- Et voici Sacha, continue Jojo en le désignant. C'est le frère de Melody.
- Maintenant que tu le dis, la ressemblance est frappante !

Je souris à Jessica - Jessie - tandis que Sacha serre la main de James.
En parlant de ressemblance, Jojo est le portrait craché de sa mère. Des cheveux blonds, de grands yeux bruns... et un air amical en permanence sur le visage.
Quant à son père... Eh bien, il est peut-être très sympathique, mais je dois bien avouer qu'il me fait un peu peur. C'est une vraie armoire à glace et il n'est pas très... avenant. Mais je sais bien qu'il ne faut jamais se fier aux premières impressions.

Tout à coup, Jojo, qui était tout sourire, grimace et s'affaisse. Je m'aperçois alors que sa blessure s'est remise à saigner et je détourne les yeux avant d'avoir la nausée.

- Joe ! Qu'est-ce qui t'arrive ? s'inquiète Jessie.

Puis elle remarque la plaie ensanglantée sur l'épaule de son fils et, loin de se démonter, s'approche pour mieux observer son bras.

- Tu t'es fait tirer dessus ?
- Oui. C'était très agréable. Un massage d'épaule.

Sa mère lui lance un gentil regard noir comme pour réprimander le petit garçon qu'il est resté.

- Raison de plus pour sortir d'ici au plus vite.

Jojo acquiesce avant de froncer le nez de douleur une nouvelle fois.

- Je ne peux pas faire grand-chose pour l'instant, ajoute docteur Sacha, mais dès qu'on est à l'abri avec de quoi te réparer, je m'en occupe. Ok, champion ?
- Merci.
- Y'a pas de quoi.

Nous nous levons tous, en ayant d'abord vérifié qu'aucun Traqueur ne rôdait, puis nous nous mettons en route.

- Attendez !

Comme un seul homme, nous nous retournons tous vers Jojo qui nous regarde avec des yeux implorants. Qu'est-ce qu'il a, encore ?

- Personne n'aurait une barre de céréales ? Je meurs de faim...

Je lui fais les gros yeux.

- Tu crois vraiment que c'est le moment ?!
- Je me suis fait tirer dessus, moi ! J'estime que j'ai le droit de me plaindre !
- Quel enfant, je vous jure...

Il m'épuise, ce garçon. Et ses parents, comme mon frère, ont l'air de bien s'amuser de notre altercation.

- Dites donc, les enfants... intervient son père, vous n'êtes pas un peu jeunes pour une scène de ménage ?

Ah non ! Ils ne vont pas s'y mettre eux aussi !
Pourquoi est-ce que tout le monde nous prend pour un couple ?!

- Allez, les jeunes, en route ! Nous avons un pays à sauver, nom de Dieu !
- Euh, moi aussi, accessoirement... ajoute Sacha.

Je retiens un sourire tandis que j'emboîte le pas à notre petite troupe.

***

Au risque de me répéter : je ne suis décidément pas une sportive.
Je ne vois vraiment pas ce que le professeur foldingue a vu en moi. Il m'a bien dit que j'aurais pu faire une bonne Traqueuse, tout à l'heure, non ? À mon avis, en plus d'être bigleux, il est stupide.
Quoi qu'il en soit, nous avons couru sans nous arrêter, Sacha, Jojo family et moi, jusqu'à la cour du repaire qui, par miracle, est déserte. (Il doit être plus de dix-neuf heures, l'entraînement est donc terminé.) Et je suis la seule à être couverte de sueur.
Je suis aussi sûrement la seule à me demander ce que nous venons fabriquer ici. Le laboratoire pour combattre le professeur ou farfouiller dans ses dossiers, je veux bien. Mais la cour intérieure ?! Qu'est-ce qu'on pourrait bien trouver d'intéressant sur un terrain de la taille d'un stade recouvert de sable (un bac à sable géant, en somme) ?

- Quelqu'un peut-il m'expliquer pourquoi nous sommes venus ici ? je demande.

Ils me regardent tous les quatre avec des yeux ronds, comme si j'avais sorti l'énormité du siècle. Ma question est légitime, non ?

- Ça ne paraît pas évident ? me répond Jojo.
- Si je pose la question, c'est que non, triple andouille !
- C'est toi, l'andouille ! Non mais, oh ! Même pas fichue de comprendre qu'on s'enfuit !

Il y a quelque chose qui m'échappe. Si on s'enfuit...

- Pourquoi ne pas passer par la porte d'entrée ?
- Melody, dis-moi que tu fais exprès.
- Mais quoi !
- Réfléchis un peu ! La « porte d'entrée » (appelle ça comme tu veux) est épaisse d'une dizaine de centimètres, ultra-sécurisée et gardée par des tonnes de Traqueurs ! s'agace Jojo.
- Pour l'aspect technique, je suis d'accord. Mais le professeur Croix doit avoir envoyé tous ses soldats à nos trousses. Il n'y aura donc personne à la sortie !

Jojo se frappe le front du plat de la main, comme je l'ai fait tant de fois quand c'est lui qui racontait des bêtises. Mon idée n'est pourtant pas si bête !

- Non, non, elle a raison, me défend Sacha. Il est fort probable que tous les Traqueurs soient sur nos traces.
- Tu vois ! je lance, vainqueuse, au blondinet.
- Cependant, continue mon frère, nous ne pouvons pas prendre le risque de nous tromper.
- Mais-
- Melody, tu tiens vraiment à te précipiter là-bas avec le fol espoir de pouvoir t'échapper, pour découvrir que nous sommes attendus ?

Il a raison. Il m'énerve.
Je me renfrogne, vexée. Jessie s'approche de moi avec un air bienveillant dans les yeux, et pose une main sur mon bras.

- Ne t'en fais pas, ma puce, me souffle-t-elle. C'était une bonne idée. Seulement, il y a trop de risques.

Je lui souris. Cette dame est adorable, je me demande bien comment elle a pu engendrer un énergumène tel que Jojo.

- Je vous explique le plan, déclare James. C'est très simple. On va jusqu'au fond de la cour. À cet endroit, il y a un mur haut de plusieurs mètres. Rassurez-vous, ajoute-t-il devant nos mines déconfites, une échelle de corde est cachée non loin du mur.
- C'est fourni dans le starter pack du Traqueur ? demande son fils.
- Non. Elle est là depuis que ta mère et moi avons tenté de nous enfuir.

Soufflé par la nouvelle, Jojo se décroche la mâchoire.

- Vous... vous avez essayé de partir d'ici ?
- Oui. Peu avant que nous ne soyons démasqués, nous avons essayé de nous échapper pour vous rejoindre, June, Jade et toi, et vous mettre à l'abri. Mais nous n'en avons pas eu le temps, malheureusement...

Les yeux de James se voilent. Un grand silence plane pendant quelques secondes, puis il se ressaisit.

- Assez bavardé. Il est temps de sortir de ce trou à rats.
- Bien dit ! renchérit sa femme.

Ils se sourient et nous voilà repartis. (C'est beau, l'amour, quand même.)
Après dix bonnes minutes de marche (j'ai fait remarquer que je n'étais pas une joggeuse, et ils ont accepté de ralentir la cadence pour moi), nous arrivons devant le mur dont nous a parlé James.

- Attendez-moi ici, je vais chercher la corde, décrète ce dernier.

Tandis que le père de Jojo s'élance vers la droite à la recherche de notre moyen de sortie, je m'avance vers Sacha.

- Sacha...

Il tourne la tête vers moi, intrigué.

- Oui, petite noisette ?

Je n'ai rien dit à personne, mais le fait que Jojo retrouve sa famille... Attention, qu'il n'y ait pas de méprise : je suis très heureuse pour lui.
Seulement, ça m'a fait penser à ma propre famille... Mon père et ma mère, sûrement assis dans le canapé à la maison devant une émission de cuisine à la Top Chef, ne se doutant pas un instant que leurs vies sont en danger à cause de moi. Mon frère, qui risque la mort si l'on ne se dépêche pas de sortir d'ici, et ce, par ma faute également.

- Dis-moi... Quand tu es parti de la maison, papa et maman... ils allaient bien ?
- Eh bien... oui. Oui, ils étaient en parfaite santé, pourquoi ?

Je pousse un soupir de soulagement. C'est déjà ça.

- Rien... C'est juste que je m'inquiète pour eux, ils risquent d'être tués à cause de moi, et toi aussi d'ailleurs, tout ça parce que je ne suis pas capable de protéger ma famille, ou de désactiver les puces de ce foutu docteur maboule...
- Doucement, minus. Premièrement, rien n'est de ta faute. Tu es jeune, ce n'est pas ton rôle de nous protéger. Ensuite, c'est quoi, cette histoire de puces ?

Ah, c'est vrai qu'il n'est pas au courant. Le temps que James revienne, je lui explique la situation et ses yeux n'en finissent pas de s'agrandir.

- Tu veux dire que tous les super-soldats qu'on a croisés... ils n'agissaient - ils n'agissent - pas de leur plein gré ?
- Exactement.
- Wahou.
- N'est-ce pas.

À ce moment, James débarque avec une très longue échelle de corde dans les bras.
Ça y est ! On va pouvoir sortir d'ici ! Enfin !
James lance l'échelle par-dessus le mur, laquelle retombe de l'autre côté. Je ne suis pas bricoleuse, mais ça ne m'a pas l'air très solide, tout ça. Mais je ne fais aucune remarque.

- Honneur aux dames, annonce le père de Jojo en tendant la main à son épouse.

Jessie lui sourit, attrape sa main et pose son pied sur le premier barreau de l'échelle.
Quand tout à coup, un bruit de pétarade nous parvient. Tous ensemble, nous faisons volte-face pour découvrir une horde de Traqueurs qui se ruent vers nous, armes au poing.

- Vite, vite ! nous presse James.

La fusillade redouble en intensité et, sous nos yeux ébahis, une des balles atteint Jojo qui tombe en avant sous le coup de l'impact.

- Encore ?! s'énerve-t-il. Il va vraiment falloir que vous arrêtiez de me canarder, je ne suis pas-

Il s'interrompt en plein milieu de sa phrase, en même temps que ses yeux deviennent vides de toute émotion.

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