22

Les bruits de pas se rapprochent.
Il faut qu'on sorte d'ici. Tout de suite.

Mon corps réagit avant même que je puisse réfléchir. J'attrape la main de Jojo et nous commençons à courir vers la sortie.

- Il y a quelqu'un ?

Oh mon dieu. Oh mon dieu, oh mon dieu, oh mon dieu...
Heureusement que le labo est tout petit, on n'a que quelques mètres à parcourir.
J'ai la main gauche sur la poignée, et la droite dans celle de Jojo.

- Eh, vous deux ! Qu'est-ce que vous faites ici ?

Je fais mine de n'avoir rien entendu et j'ouvre la porte. Nous nous engouffrons dans le couloir et nous courons sans nous arrêter. Je ne sais pas où nous allons, mais une chose est sûre : nous devons nous éloigner le plus possible du laboratoire.
Je tourne à gauche, puis à droite, et encore une fois à gauche... je fonce sans me soucier de savoir où me portent mes jambes.
Le problème, c'est que je commence à être à bout de souffle. Je m'octroie donc une pause lorsque je juge la distance entre notre position et le labo suffisamment grande pour que nous soyons en sécurité. (Enfin... si tant est que le mot sécurité puisse s'appliquer à notre situation...)

Jojo n'a rien dit depuis quelques minutes, et ça m'inquiète. Tout comme moi, il vient de saisir le danger qui nous guette. Avant aujourd'hui, restaurer la musique était un rêve, une chimère. Il vient de devenir réalité, et nous prenons conscience de la dangerosité de notre plan. Nous ne sommes que des enfants, après tout. Et pourtant, nous pouvons désormais perdre la vie à tout instant.

- Melody.

Je lève les yeux vers Jojo qui a retrouvé sa langue et qui me domine de toute sa taille.
Il me prend par les épaules et je réalise alors que je tremble.

- Regarde-moi. Tu te rends compte de ce qui vient de se passer, n'est-ce pas ?

Incapable de parler, je hoche la tête. La peur a pris le contrôle et mes tremblements sont de plus en plus violents.

- J'ignore ce qui nous attend. Je sais que tu as peur, et moi aussi. Mais il faut qu'on soit forts. Il faut qu'on soit courageux... pour ton frère. N'oublie pas qu'il est prisonnier quelque part et qu'il attend qu'on vienne le sauver. Nous nous devons de rester en vie. Au moins pour lui.

Je ne savais pas que Jojo était capable de tels discours. Il se voulait sûrement rassurant mais... la mention de Sacha m'angoisse encore plus. Je crains de ne pas réussir à le sauver, de mourir avant. Les larmes me montent aux yeux sans que je le veuille, alors je baisse le regard pour qu'il ne le remarque pas. Je me déteste d'être aussi faible et émotive.
Jojo s'aperçoit que la peur ne m'a pas quittée et change son fusil d'épaule.

- Melody. Je ne peux pas te jurer que tout se passera bien, car je n'en ai aucune idée. Mais je peux te promettre une chose.

Je renifle et relève la tête. (C'est fatigant de baisser et de lever les yeux. C'est comme suivre un match de tennis.)
Son regard est profondément ancré dans le mien et il me fixe avec une intensité que j'ai rarement (voire jamais) vue chez lui.

- Je te promets que je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour retrouver ton frère.

Je lui souris faiblement. Il est globalement insupportable mais j'ai toujours su que je pouvais compter sur lui. Ça me réchauffe le cœur de voir que je peux avoir confiance en lui et qu'il est aussi impliqué. Peut-être qu'il aime bien mon frère, finalement. Un tout petit peu.
Je m'apprête à le remercier mais apparemment il n'a pas fini, alors je referme la bouche.

- Et je te promets aussi de te protéger. Je ne suis peut-être pas Superman, mais je tiens à toi et je te jure de faire tout mon possible pour qu'il ne t'arrive rien.

Je ne sais plus quoi dire, je n'ai pas les mots pour décrire ce que je ressens.
C'est tellement rassurant de le savoir à mes côtés. De savoir qu'il tient à moi, et que l'affection que je lui porte est réciproque.
À court de mots, je me blottis dans ses bras comme je l'ai fait un peu plus tôt - mais pas pour les mêmes raisons. Surpris sur le coup, il ne tarde pas à me rendre mon câlin.

- Merci, Jojo, je lui souffle. Merci pour tout.

Il resserre son étreinte.
Nous devons avoir l'air chouette, tous les deux enlacés en plein milieu d'un couloir avec moi en larmes.
Je dois me ressaisir. Nous sommes poursuivis. Je m'écarte de lui et j'essuie mes larmes du revers de la main, un air brave sur mon visage.

- Et moi, je te promets de vous aider, toi et tes sœurs, une fois que nous en aurons fini ici.

Un doux sourire éclaire son visage et il m'adresse un hochement de tête qui veut sûrement dire merci.

- Allons-y.
- Où est-ce qu'on va ?

Il se frappe le front du plat de la main en signe d'exaspération.

- À ton avis ?

Je réfléchis, mais franchement, je ne vois pas. Il ne veut quand même pas qu'on retourne au labo ?! Ce serait du suicide.

- Au laboratoire, Melody !

En plein dans le mille.

- Non mais ça va pas ?! Pourquoi tu veux retourner là-bas ? Tu te rends compte qu'il y a une personne là-dedans, et qu'on risque d'avoir de la compagnie si on y va ?
- Où veux-tu aller, alors ?
- Partout où tu veux, sauf là !

Il soupire. Quand je pense que nous étions enlacés deux minutes plus tôt.

- Melody, écoute-moi. Si on veut sauver Sacha, il faut qu'on récolte des informations. Et où est-ce qu'on trouve ces informations ?

Il marque un point. Ah, il m'énerve !

- Allez, on bouge. Plus on s'éternise ici, plus les chances qu'il arrive quelque chose à Sacha augmentent.
- D'accord, d'accord...

Il me prend la main (est-ce que c'est pour me rassurer ou pour me forcer à avancer ?) et nous faisons marche arrière.
À mesure que nous avançons, mon anxiété et ma peur enflent comme un muffin dans un four.
Je sais que nous sommes attendus. C'est évident. Il va donc falloir que nous improvisions. Super.
Jojo s'engage dans le couloir en me traînant derrière lui - au sens figuré comme littéral.
La porte se rapproche dangereusement et je n'y tiens plus. Je tire Jojo en arrière et je le regarde avec des yeux implorants.
« S'il te plaît, faisons demi tour. Allons-nous-en. » Voilà ce que disent mes yeux.
Quant à Jojo, il me dévisage. Soit il va m'embrasser, soit il va me gifler. Mais il ne fait rien de tout ça, il se contente de lever un pouce de victoire, l'air de dire « Tout ira bien ».
J'en doute fortement, mais je sais qu'il ne changera pas d'avis. Je n'ai pas le choix, je le suis.

Nous ouvrons la porte et, contrairement aux dernières fois, aucune lumière ne vient agresser mes prunelles. Non, il fait même plutôt sombre. Et c'est vide, bien trop vide.
Sans me laisser le temps de penser, Jojo me fait avancer et nous voilà en plein milieu de la pièce que nous avons quittée quelques minutes auparavant.
Jojo doit regretter de m'avoir pris la main car je sue maintenant à grosses gouttes. Mais il ne relâche pas sa prise pour autant. Au contraire, il l'affermit.
C'est alors que je remarque que le fauteuil a changé de position. Il n'est plus derrière le bureau, mais au centre de la salle. Et il commence à tourner doucement sur lui-même.

- Bonjour, Melody...

Non. Pitié. Tout mais pas ça.
Le professeur Croix est confortablement installé dans son siège, il nous fait face, un sourire plaqué sur le visage, et nous salue comme Blofeld, le méchant de Spectre.

- Tiens, tiens, tiens... Qu'avons-nous là ?

Ni Jojo ni moi ne pipons mot. À vrai dire, je crois que mon corps a cessé de fonctionner. Je ne parviens ni à ouvrir la bouche ni à ordonner à mes jambes de ficher le camp d'ici.

- Un fils de traîtres et une rebelle. Ensemble, par-dessus le marché, ajoute-t-il.

Je sens que Jojo prend sur lui pour ne pas répliquer. Il contracte tous ses muscles et je ne serais pas étonnée si on me disait que ma main ressemble à une crêpe.

- Alors dites-moi, est-ce que vous avez trouvé quelque chose d'intéressant dans mon ordinateur ? poursuit le professeur.

J'aurais dû m'y attendre, mais la nouvelle est un choc. Bien sûr qu'il a découvert que nous nous étions introduits dans son bureau. Bien sûr qu'il a remarqué que son ordinateur avait été fouillé. Il n'est pas stupide. Mais ça veut dire que Jojo et moi sommes très mal barrés.

- Au fait, Melody, comment va ton frère ?

C'est la goutte d'eau qui fait déborder le vase.
Non, je ne parle pas de moi, mais du garçon qui me broie la main depuis tout à l'heure.
Je ne sais pas ce qui l'a fait disjoncter, mais il me lâche la main (enfin !) et se rue sur le professeur.

- Jojo ! Non, ne fais pas ça !

Je n'ai pas le temps de parler ou d'agir, car une dizaine de Traqueurs surgissent de la porte secrète. Jojo leur tourne le dos, il ne voit donc pas la menace qui plane sur nous.

- Comme c'est mignon. Il veut protéger son amie, s'attendrit (faussement) le professeur.
- Jojo, ne bouge pas, je t'en supplie.

Il tourne la tête vers moi et je vois la colère dans ses yeux. Je le connais suffisamment pour savoir qu'il va faire une bêtise. Mais avant que je puisse l'en empêcher, il tente un mouvement vers le foldingue assis.
Et c'est là que Jojo s'écroule.

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