19

- Here's to the ones that we got... Cheers to the wish you were here but you're not...

Allongée sur mon lit, je fixe le plafond depuis maintenant cinq minutes en fredonnant.

- 'Cause the drinks bring back all the memories of everything we've been through...

Sacha est parti il y a quinze minutes, après ses révélations et notre prise de conscience.

- Toast to the ones here today, toast to the ones that we lost on the way...

Soudain, la tête de Jojo apparaît dans mon champ de vision.

- Qu'est-ce que tu veux ?

Bizarrement, il n'a pas son éternel sourire aux lèvres. Il est tout ce qu'il y a de plus sérieux.

- Tu comptes déprimer encore longtemps ?
- Laisse-moi... je réponds en me tournant sur le côté, face au mur.

Il me retourne avec une facilité déconcertante.

- Ton temps de dépression est terminé, miss.
- Naaan, laisse-moi...

Sans me laisser le temps de protester, il me saisit par les épaules et me redresse.

- Allez, hop hop hop, on se réveille !

Il déborde d'énergie. Je ne sais pas d'où il la sort.
La vie, c'est comme un jeu vidéo. Une personne normalement constituée a une barre d'énergie qu'elle vide plus ou moins au fil de la journée. Elle la recharge ensuite au cours de la nuit.
Jojo, lui, a deux barres d'énergie : la normale, et une bonus. Il ne se fatigue presque pas pendant la journée, mais il récupère quand même la nuit. Sauf que sa barre d'énergie initiale est déjà complète. Donc l'énergie supplémentaire qu'il accumule pendant la nuit, il la stocke dans une barre bonus.
Bref, ce garçon est inépuisable.

- Jojo, je suis pas d'humeur... Dis-moi ce que tu veux et laisse-moi seule, s'il te plaît.
- Je n'aime pas te voir triste, alors je te change les idées.

Il est gentil, je dois l'avouer. Mais, comme je viens de le dire, je ne suis pas d'humeur.
Sacha et moi nous sommes quittés sans un mot après mon constat. Nous avions tous deux besoin de nous remettre de nos émotions.
Mon frère est donc reparti dans sa chambre après une brève accolade, et moi, je suis allée me coucher.
Mais Jojo n'a pas l'air décidé à me laisser me morfondre. Effectivement, il me prend la main et me force à me lever de mon lit.

- Qu'est-ce que tu dis d'un entraînement ?
- Oh nooon... Tu veux me pousser au suicide ?

Il rigole, mais je ne vois pas ce qu'il y a de drôle.

- Je ne parlais pas de ce type d'entraînement, andouille !

Il met sa main droite en avant, puis fait de même avec sa main gauche et se met à chanter un air que je ne connais que trop bien.

- Dale a tu cuerpo alegría Macarena...

Je ne peux pas m'en empêcher, c'est plus fort que moi.

- ... Que tu cuerpo es pa' darle alegría y cosa buena, je continue.

Main droite en avant, main gauche en avant.
Retournement de main droite, retournement de main gauche.

J'oublie tous mes tracas et je me laisse emporter par le rythme de la macarena avec Jojo.

***

- J'aime beaucoup cette chanson, mais franchement, si un jour tu fais vraiment ton FGM-
- Pas « si », mais « quand », je rectifie.
- Admettons. Tu fais ton FGM avec un nombre conséquent de personnes à ton premier concert, soit. Bah, c'est épuisant !
- Quelle chochotte... je le taquine.

Nous sommes tous les deux allongés sur nos lits, en étoile de mer, totalement KO. Je ne sais pas combien de temps nous avons dansé et chanté, mais mes cordes vocales sont hors service, et je ne vous parle même pas de mes bras.

- Jojo...

Il tourne la tête vers moi.

- Oui ?
- Merci.

J'aimerais lui expliquer que cette séance de danse m'a changé les idées, que son intervention m'a permis d'oublier momentanément mes tracas pour ma famille. Mais les mots ne veulent pas sortir, alors je concentre toute ma gratitude dans ce simple mot qui veut tant dire. Merci.
Je crois que Jojo comprend, car il me regarde d'un air chaleureux accompagné d'un sourire sincère.

- Quand tu veux... schtroumpfette, ajoute-t-il, agrémentant le tout d'un clin d'œil.

Je ne relève même pas. Je sens la fatigue s'installer. Encore une journée riche en émotions.

- Bonne nuit, Jojo.
- Bonne nuit, Melody. Dors bien.

***

J'ouvre les yeux à cause de la lumière éclatante que laisse passer l'étroite fenêtre de notre chambre.
Je tourne mon regard vers notre réveil (je ne sais toujours pas d'où il sort) : 7h48.
Il est tôt. Mes yeux se posent sur le lit qui fait face au mien, et je constate que Jojo dort encore. Comme quoi, les piles électriques ont leurs limites - mais ça ne risque pas de durer. C'est alors qu'une idée diabolique germe dans mon esprit.
Je suis reconnaissante envers Jojo pour hier soir, ne nous méprenons pas. Mais ça ne veut pas dire que j'ai oublié son réveil de l'autre jour.

Il est temps qu'il paye pour ses actes.

***

Il est 7h50 du matin et je suis fin prête. (Je n'avais aucune préparation matérielle à faire... seulement ma voix à échauffer.)
Jojo, mon cher ami... prépare-toi à souffrir.

Je me lève de mon lit en faisant le moins de bruit possible, puis je me dirige à pas feutrés vers le lit de Jojo.
Je sens que ça va être épique. J'en ris d'avance.
J'approche mon visage de l'oreille du blond. J'inspire... et...

- WAZAAAAAAAAA !!!

Jojo ouvre les yeux d'un coup et recule son visage tellement rapidement que sa tête vient heurter le mur.
Il fait une de ces têtes ! On dirait qu'il vient de voir un fantôme, et moi je suis pliée de rire.

- NON MAIS ÇA VA PAS BIEN DANS LE CERVEAU DE TA TÊTE ?!

Mon hilarité s'intensifie devant sa réaction. J'aurais dû m'y attendre. Il n'empêche que c'est vraiment grisant d'avoir enfin ma revanche sur Jojo.

- Espèce de crotte de caca de troll !

Mes rires redoublent devant cette insulte puérile. Une crotte de caca de troll, vraiment ?!
J'en ai les larmes aux yeux.
De son côté, Jojo est toujours furax.

- Qu'est-ce qui t'a pris de me réveiller comme ça ?!
- Je ne te rends que la monnaie de ta pièce, je réponds, malicieuse.

Ha. Je lui ai coupé la chique (pour une fois que c'est moi) avec ma réplique du tonnerre.
Je souris encore de ma bêtise, et Jojo se met à bouder - pour changer.

- Allez, Jojo... Tu ne vas pas te vexer pour ça, quand même ?
- Figure-toi que si !
- Bébé, va.

J'aimerais continuer à l'embêter, mais nous devons nous préparer pour notre entraînement.

- Debout, limace ! Il faut qu'on s'habille et que tu me fasses faire ma séance de sport préliminaire.
- Mais il est à peine 8h ! proteste-t-il.
- Justement ! On aura le temps de se reposer entre les deux, comme ça !
- T'es vachement motivée, dis donc...

C'est vrai. Je me surprends moi-même. Je ne pensais pas que j'étais capable d'autant d'engouement pour du sport.
Je crois surtout que c'est parce que j'ai hâte de revoir Sacha. Ma déprime est passée, il faut que je lui remonte le moral et qu'on s'active pour notre plan - même si, très honnêtement, je n'ai aucune idée de stratégie pour le moment.

- Hop hop hop, on s'active !

Ah, notre boudeur a repris du poil de la bête.

- Sur le dos, et tu me fais vingt abdos d'affilée... sans râler ! ajoute-t-il devant ma mine déconfite.
- On avait dit pas plus de dix d'un coup !
- C'est ta punition pour ce matin.

C'est inutile de débattre avec lui, il aura toujours le dernier mot. Et il le sait pertinemment.
Je m'exécute de mauvaise grâce et j'entame ma torture.

***

- J'espère que vous êtes bien réveillés, les asticots ! Parce que ce matin, c'est quinze kilomètres pour vous !

Je n'ai même plus la force de me plaindre.
Ça s'empire de jour en jour. On est passés de dix kilomètres le premier jour, à douze hier, et quinze aujourd'hui. Merveilleux.

- Exécution !

J'avance mon pied droit pour commencer à courir, mais je suis arrêtée dans mon élan par la voix de Terminator.

- L'asticot brun avec la mèche bleue ! Au pied !

Maintenant, il me prend pour son chien. Je vous promets qu'un massacre va avoir lieu ici.
Je fais demi tour et trottine jusqu'au sergent instructeur.
Oula, il est encore plus flippant vu de près. Et je peux vous assurer qu'un coup de brosse à dents ne lui ferait pas de mal. Je retiens un froncement de nez à l'odeur corporelle de l'ogre qui me fait face.

- Appelle ton frère.
- Euh... comment... ?
- Appelle-le.

Il n'a pas l'air décidé à m'expliquer quoi que ce soit, alors j'obéis et j'interpelle Sacha qui, par chance, est encore proche. Intrigué, il nous rejoint à grands pas.
Pour la dixième fois depuis qu'on s'est retrouvés, il me lance un regard interrogateur auquel je réponds par un discret haussement d'épaules.

- Pas d'entraînement physique pour vous deux aujourd'hui.

Un « YEAHHH ! » de soulagement a failli m'échapper.

- Vous commencez votre entraînement auditif. Alors grouillez-vous d'aller dans le labo du professeur Croix.

J'ai bien entendu ? Non seulement on démarre l'amélioration de notre ouïe, mais en plus on retourne dans l'antre du professeur foldingue ?!

- Exécution !

Nous nous dirigeons vers le couloir qui mène au laboratoire du savant fou.
Une fois arrivés devant la porte, je me mets à trembler, et Sacha le remarque.

- Eh, ça va ? demande-t-il, inquiet.
- Tout roule.
- Ok.

Il me prend la main, conscient de la peur qui m'assaille.
Nous poussons la porte et entrons.

- Le frère et la sœur réunis !

Je grince des dents, comme toujours quand j'entends le fou.
Je le cherche du regard et je découvre qu'il est assis à son bureau, occupé à taper sur son ordinateur.

- Asseyez-vous ! Mettez-vous à l'aise !

Je m'aperçois alors que le fauteuil de science-fiction a été remplacé par un banc d'école. Tant mieux.
Sacha, qui tient toujours ma main, m'entraîne vers le banc et s'assied dessus.
D'ici, j'ai une vue imprenable sur l'écran du professeur.
Attendez une minute... Des puces ?
Le temps qu'il ferme toutes les applications qu'il avait ouvertes, j'ai aperçu un dossier nommé « Puces », dans lequel les photos de tous les apprentis Traqueurs - dont la mienne, celle de Jojo et celle de Sacha - étaient présentes.
Qu'est-ce que ça veut dire ?

- Vous êtes prêts pour votre entraînement ? enchaîne le professeur, enthousiaste.

Sacha opine du chef. Moi, je suis trop absorbée par mes pensées pour prêter attention au professeur. J'essaie de comprendre le lien entre des puces et les apprentis Traqueurs.

- Alors on y va !

Un éclair de génie me frappe.
Mais oui ! Toutes les pièces du puzzle se mettent en place !
Il faudra vraiment que je raconte ma trouvaille aux garçons. C'est dingue !
Je sais ce qui relie les apprentis à des puces !

En attendant, j'ai un entraînement à subir. Je garde pour moi ma découverte, et je me mets au travail sous les directives du professeur.

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