18
- Je ne m'en suis pas rendue compte sur le moment, mais maintenant je sais !
- Arrête de tourner autour du pot, bon sang ! s'impatiente Jojo.
Je prends une grande inspiration.
Silence, lumière... c'est parti pour mon one-woman show.
- Je suis presque sûre que c'est un vieux monsieur qui m'a dénoncée. Je ne sais pas pourquoi il l'a fait, ni comment il a su que j'avais un lien avec la musique, mais je ne vois que lui.
Plutôt mini one-woman show.
- C'est tout ?
- Oui.
- Mais c'est ridicule ! s'emporte Jojo.
- À qui le dis-tu ! Ça montre la grande solidarité qu'entretiennent les New Yorkais... À mon avis, ils ont dû le payer pour avoir des infos.
Sacha, qui est resté spectateur jusque-là, s'exprime à son tour.
- Tu ne parles quand même pas du vieillard à qui on donnait une pièce de temps en temps ?
- Lui-même.
- Il y a quelque chose que je ne comprends pas, alors.
- Quoi donc ?
- On a toujours été généreux avec lui, on avait toujours une ou deux pièces à lui filer quand on passait devant lui en allant à l'école... continue-t-il, nostalgique de la bonne époque.
Je ne vois pas où il veut en venir.
- Quel rapport avec sa délation ?
- Justement, je ne comprends pas ! Il nous saluait tous les jours, et plus d'une fois on a tapé la discute avec lui.
- Moi aussi, sa motivation m'échappe. Hormis l'appât du gain, je ne vois pas. Mais que veux-tu, ce qui est fait est fait et on ne peut pas changer le passé.
J'agrémente ma déclaration d'un haussement d'épaules abattu. Les gens ne sont pas toujours ce qu'ils paraissent être et j'en fais les frais. CQFD.
- Pourquoi t'a-t-il dénoncée ? Ça n'a pas de sens, c'était un homme gentil qui ne voulait de mal à personne.
- Écoute, Sacha, je te l'ai expliqué, je ne sais pas pourquoi il a fait ça. Mais pour l'instant, on a d'autres chats à fouetter. Alors arrêtons de tergiverser, et reprenons ce pour quoi tu es venu : notre plan.
- Non, non, non, je veux comprendre.
Quelle tête de mule ! C'est pas croyable, ça !
- Sacha, s'il te plaît... Il y a plus urgent.
- Tais-toi, tu m'empêches de réfléchir.
Mes doigts me démangent. J'ai envie de lui administrer une bonne pichenette bien sentie, qu'il sorte enfin de son obstination.
Ça a beau être mon frère, il a beau m'avoir manqué, il m'énerve sérieusement.
Mais pour avoir passé dix-sept ans de ma vie avec lui, je sais qu'il ne démordra pas de son idée. Alors quitte à parler de ça, autant en finir rapidement.
- Dépêche-toi de réfléchir, alors.
- Chuuut, me fait Jojo, l'index sur la bouche, comme lorsqu'on demande aux enfants de se taire.
Lequel j'étrangle en premier ?
Ils m'épuisent tous les deux. J'opte donc pour mon remède miracle pour se couper du monde extérieur et de tous ses idiots, à savoir : enfoncer mon visage dans mon coussin.
- Ça ne tient pas debout.
- Pmf dm gpn dmf lmn.
- Qu'est-ce que tu baragouines ?
- Combien de fois tu vas le dire ? je répète, en relevant la tête de l'oreiller dans lequel elle était enfouie. On a bien compris, que tu te demandais pourquoi j'ai été trahie !
- Mais c'est vrai ! se défend-il. Y'a un truc qui cloche.
Il a décidé de me dire sous toutes les formes possibles que cette histoire était louche. Il est fort en périphrases.
- Viens-en au fait et dis-nous ta théorie, qu'on en finisse !
- Laisse-le, ne le presse pas... rajoute Jojo.
Ahhh ! J'en peux plus, de ces deux-là !
- Sacha, tu craches le morceau ou bien je m'en vais.
- Pour aller où ? rigole le blond.
- Partout mais ailleurs !
- Ça suffit, les amoureux.
Encore avec ça ?! Il va vraiment falloir qu'il arrête.
- Melody, comment le vieux monsieur a-t-il pu savoir que tu chantais, ou que tu avais un lien avec la musique ?
Je stoppe net dans la pique que j'allais envoyer à Jojo, et me retourne, ébahie, vers mon frère.
- Ben... Je sais pas, moi. Je n'ai jamais fait confiance à personne, hormis papa, maman et toi.
- Personne d'autre, tu es sûre ? Même pas tes amis ? insiste-t-il.
- T'as des amis, Melody ? s'étonne l'autre débile.
- Bien sûr que oui ! Tu t'imaginais que j'étais une asociale ?
- Non, mais... Vu ton caractère, ça m'étonne que quelqu'un d'autre que moi - qui suis doté d'une patience infinie - te supporte. Tu sais, il faut vraiment être tolérant pour- MAIS AÏEUH !
- Bien fait pour toi.
Il se masse l'épaule que je viens de frapper de mon poing, tout en me jetant un regard noir.
Je suis plutôt fière de moi. (J'ai mal à la main, mais pas besoin de le préciser.)
Ça faisait un bout de temps que j'avais envie de me défouler sur quelqu'un (l'accumulation du stress et d'un tas d'autres choses ne fait pas bon ménage chez moi), et Jojo a mal choisi son moment.
Quant à Sacha, il joue les papas.
- Vous avez quel âge ? râle-t-il en levant les yeux au ciel.
- C'est elle qui a commencé !
- Tu m'as insultée, je n'allais pas me laisser marcher sur les pieds !
- Et c'était une raison pour te servir de moi comme punching-ball ?!
- STOOOP !!
Oh. C'est la première fois que je vois Sacha hurler - enfin, hormis le jour où j'avais déchiré (sans faire exprès) son nounours Teddy.
- Melody, tu te concentres, et Joe, tu vas t'asseoir sur ton lit et tu arrêtes de nous déranger ! Cinq minutes, c'est tout ce que je vous demande.
- Je rêve ou tu me mets au coin ? s'indigne ledit Joe.
- Tout à fait ! Allez, ouste.
Jojo se remet à bouder et moi, j'exulte.
- Dis-moi que tu as une théorie, Sacha. Parce que là, j'arrive à bout de patience.
- Oui. C'est bon, j'ai tout compris.
- Non, sérieux ? s'étonne Jojo.
- Qu'est-ce qu'il a, le lit ? je lui lance.
- Oh, toi... Attends un peu qu'on soit tous les deux et tu vas voir. Rira bien qui rira le dernier.
Voilà qu'il me menace, maintenant.
Sauf que, dos tourné et assis en tailleur sur le lit, on dirait vraiment un enfant. J'ai plus envie de rire que d'avoir peur.
- Ne me forcez pas à crier encore une fois. Mes cordes vocales sont fragiles.
Mon frère en tient une couche, quand même.
- En deux mots, je pense que le vieillard était un espion.
- Comme James Bond ! je m'extasie. Tu crois qu'il a un nom de code ?
- Oh non, elle est repartie...
Jojo se jette en arrière sur le lit, en proie au désespoir le plus profond.
- Je parierais sur 001 ! Parce qu'à l'envers, ça fait 100, et il avait au moins cent ans !
- EST-CE QU'ON PEUT RESTER CONCENTRÉS DEUX MINUTES, S'IL VOUS PLAÎT ?!
- Oui, papa, je me moque.
- Je disais donc que je pensais que c'était un espion.
- Qu'est-ce qui te fait dire ça ?
- Souviens-toi de la fois où, en rentrant de l'école (je crois que nous étions encore à l'école primaire), on l'a vu discuter avec des personnages encapuchonnés.
- Ah, mais oui ! Je m'en rappelle ! On s'était dit qu'ils étaient des Siths et qu'ils voulaient le recruter pour en faire le futur Dark Maul !
- Melody... s'impatiente Sacha.
- Pardon.
- Après réflexion, c'était non pas des Jedi, mais des Traqueurs !
- Oh, tu sais... De Dark Maul à Dark Vador, l'écart est mince.
Jojo se redresse de sa position d'étoile de mer morte.
- Ah non ! Dark Vador est bien plus puissant que Dark Maul ! Et surtout, il est vachement plus stylé !
- N'importe quoi ! je proteste. Dark Maul a un double sabre laser, alors que Dark Vador est à moitié zombie !
- Pff, t'y connais rien. Dark Vador, c'est le seigneur du côté obscur, alors que Dark Maul... c'est juste un pion, rien de plus.
- MAIS STOOOOOOOOOOP !!!
Ça, c'est Sacha qui a fini par exploser.
Abasourdis par son hurlement, Jojo et moi nous arrêtons en plein débat de Star Wars (admettez quand même que Dark Maul est mieux que Dark Vador) et nous fermons notre clapet - ce qu'on aurait dû faire depuis longtemps déjà.
- EST-CE QUE JE PEUX REPRENDRE SANS CRAINDRE DE ME FAIRE INTERROMPRE PAR DEUX MOULINS À CONNERIES ?!
Nous hochons la tête en rythme, comme deux bons élèves.
- MERCI.
Il s'éclaircit la gorge, s'apprêtant à reprendre son explication.
- Je pense donc que cet homme était - est - un espion à la solde des Traqueurs et qu'il attendait une preuve de ton amour de la musique pour pouvoir te livrer à eux. Reste à savoir quelle est cette preuve.
Je lève la main, comme si j'étais à l'école et qu'il allait m'interroger. (Au moins, je suis la seule à vouloir participer, et je ne risque pas d'être ignorée par le professeur qui préférait interroger les autres élèves à l'école...)
Sacha me fait signe de parler.
- Je crois que je sais. Un soir, en rentrant du lycée... Deux jours avant que les Traqueurs ne m'engagent, en fait. Ce jour-là, je suis sortie du lycée et j'étais très contente, parce que j'avais eu de bonnes notes à mes examens. Et puis, j'avais passé une bonne journée. Alors, dans un excès de joie, il se peut que j'aie exécuté quelques pas de danse...
- Oh non, Melody... se désole mon frère.
- Comment est-ce que j'aurais pu deviner que quelqu'un me regardait ? J'étais dans une ruelle vide, il devait se cacher quelque part...
- Toujours est-il qu'on t'a vue en train de danser, et que ça t'a coûté ta liberté.
- Non, sans rire !
- Au moins, on sait qu'on ne peut avoir confiance en personne, conclut Sacha.
Terrassés par cette nouvelle, nous nous taisons tous les trois.
Puis une pensée me traverse l'esprit.
- Sacha...
Il redresse la tête vers moi. Je suis debout et lui est assis sur mon lit, les coudes sur les genoux et le menton dans les mains. Je me sens grande.
- Si tu dis vrai et que ce monsieur est effectivement un espion... Ça veut dire qu'il a enquêté sur moi et sur notre famille avant de me balancer. Il a dû se renseigner un minimum.
- Oui, et ?
- Il sait où on habite.
Ça y est, il a compris. Ses yeux s'agrandissent de peur.
- Il sait où habitent papa et maman.
Il se met sur ses pieds d'un coup et me prend par les épaules.
- Ne dis pas ça. S'il te plaît, ne dis pas ça.
Je lève vers lui un regard apeuré.
- Si on ne se dépêche pas de mettre fin à ce règne de silence, ils vont s'en prendre à notre famille.
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