17

- Écoutez-moi bien, car c'est très important.

Ha. Difficile de faire autrement. Même si je voulais, je ne pourrais pas ne pas l'écouter.

- J'ai longuement réfléchi...

Je me retiens de pouffer. Il se prépare à nous faire une déclaration d'amour, ou quoi ?

- ... et après mûre réflexion...

« J'ai décidé de vous renvoyer chez vous. Vous êtes bien trop nuls ! Allez, ouste, du balai ! »
Ah, si seulement... Mais je crois que je rêve trop grand, car ce n'est pas du tout ce que le professeur a en tête.

- ... j'ai décidé de vous faire monter de grade !
- HEIN ?!

Silence absolu dans la pièce.
Ne me dites pas que c'est moi qui ai lâché ce « HEIN ?! »... Bon, vu la façon dont Jojo et le professeur me regardent, c'est sûrement moi. J'ai pensé à voix haute, comme à mon habitude.
Maintenant, il faut que je limite la casse.

- Je voulais dire « Hein ! », bien sûr... c'était une exclamation de surprise et de joie...

Je n'en mène pas large. Jojo tente de m'aider à réparer les dégâts.

- Nous serions enchantés, honorés même, d'accepter votre offre !

J'aimerais rajouter quelque chose, mais les mots se coincent dans ma gorge maintenant que j'ai compris ce qu'impliquait la déclaration du professeur.
Monter de grade. Ça veut dire qu'on va subir un entraînement deux fois plus ardu. Ça veut aussi dire qu'on sera encore plus surveillés. Mais ça veut surtout dire que pour notre plan, c'est mort.
Je tente comme je peux de garder mon calme, ce qui n'est pas chose aisée.
Pour que le mini professeur ne se rende pas compte de la tempête qui fait rage sous mon crâne, je plaque un sourire factice sur mon visage. Très honnêtement, je pense que ce n'est pas convaincant. Même pas du tout.
Encore une fois, heureusement que Jojo est là.

- C'est vraiment une super idée ! Nous en discutions justement avec Melody. Nous nous demandions si nos efforts avaient payé, et si nous aurions un jour la chance d'être récompensés.

Je retire ce que j'ai dit. Jojo est un énorme boulet. Qu'est-ce qui lui prend de faire de la lèche à mini foldingue ?
Je prends la parole avant qu'il ne nous enfonce encore plus.

- Nous vous remercions de votre offre généreuse, professeur, mais je crains que nous ne pouvions l'a-
- Que nous ne pouvions la refuser !

Il est fou, ou quoi ?!
Jojo m'a plaqué ses grandes paluches sur la bouche pour m'empêcher de terminer ma phrase, et en plus, il accepte ?!
J'en connais un à qui je vais voler dans les plumes dans pas longtemps.

- Nous acceptons votre proposition avec joie.

Depuis le début de notre conversation, le professeur nous regarde tous les deux, Jojo, puis moi, puis retour à Jojo, et ainsi de suite comme s'il suivait un match de tennis.
Son silence me fait encore plus peur que son ton amical feint.
Heureusement pour mes nerfs, il se décide à parler.

- Parfait. Je vous laisse dîner en paix, et je vous souhaite une bonne nuit, mes amis.

Ensuite de quoi, il se lève et quitte la pièce. Comme ça. De plus en plus étrange, ce bonhomme.

Après avoir vérifié que nous étions seuls - et après avoir enfin reçu notre repas ! -, je dis à Sacha de sortir de sa cachette.
Puis je m'occupe de Jojo.

- NON, MAIS T'ES MALADE ?! QU'EST-CE QUI T'A PRIS D'ACCEPTER ?! J'ÉTAIS PAS DÉJÀ ASSEZ NULLE À TON GOÛT, IL FALLAIT QUE TU ME COLLES UN ENTRAÎNEMENT DE PLUS DANS LES PATTES ?! ET PUIS MÊME, EST-CE QUE TU AS RÉFLÉCHI UNE SECONDE AUX CONSÉQUENCES DE TES ACTES ?! ON VA ÊTRE SURVEILLÉS EN PERMANENCE, POUR NOTRE STRATÉGIE, C'EST FICHU ET... ET...

À bout de souffle, je cherche d'autres arguments à lui asséner, mais j'avoue que là, je sèche.
Laissez-moi deux minutes, et je serai prête à l'assommer avec une plaidoirie de deux heures avec pour thème : « Pourquoi il ne fallait absolument pas accepter l'offre du professeur, mais aussi et surtout, pourquoi Joe est un imbécile fini ».

- Respire, Melody, calme-toi. Avant de m'agresser, laisse-moi t'expliquer en quoi ma décision n'avait rien de stupide. Au contraire, c'est tout bénef pour nous.
- Et en quoi ?! je rétorque.
- Mais c'est pas possible, ça ! Jamais tu me laisses parler ? s'agace-t-il (gentiment). Elle est toujours comme ça ? ajoute-t-il à l'adresse de Sacha.

Non, mais je rêve ! Lui qui ne pouvait pas encadrer mon frère il n'y a pas trois minutes, il se ligue avec lui contre moi ?! C'est l'hôpital qui se fout de la charité !
Et voilà que Sacha surenchérit !

- Oh, oui... C'est un vrai calvaire, au quotidien !
- Je me doute bien !
- Vous voulez vraiment jouer à ça ? je les coupe.

Je ne vais pas me laisser faire, non plus.

- Quoi ? On t'a vexée ? me demande Jojo.

Je me prépare à être honnête avec lui et à lui répondre « Oui ! », quand je remarque son sourire en coin, également présent sur le visage de Sacha. Ils se moquent de moi, et ça, je ne supporte pas.
Très bien, ils l'auront voulu.
Je vais leur infliger la punition ultime du silence. Bien que je sois très nulle - je suis incapable de bouder quelqu'un plus de deux minutes, et je ne vous parle même pas de me taire. Mais je ne céderai pas !

- Allez... arrête de bouder, schtroumpfinette ! me lance Jojo.

J'ouvre la bouche pour lui crier que je ne suis pas une « schtroumpfinette » avant de la refermer aussitôt en me rappelant la punition que je suis censée leur administrer. Quand je vous dis que je suis nulle !

- Elle n'est vraiment pas contente ! s'amuse Sacha.
- Non... Tu ne trouves pas qu'elle ressemble à Schtroumpf Grognon ?

C'est la goutte d'eau qui fait déborder le vase. J'explose et je crie sur Jojo. (Il va vraiment falloir que j'arrête de hurler... À défaut d'avoir une super-ouïe, je vais me retrouver muette.)

- Tu sais quoi, Jojo ?!
- Non, quoi ?
- VA FA NAPOLI !!

Il connaît F•R•I•E•N•D•S, il sait donc que cette insulte est supra-méga puissante.

- Et toi aussi, Sacha ! VA FA NAPOLI !!

Je me sens mieux, tout d'un coup. Je me sens prête à engager une conversation normale et sans effusions.
Blessé, Jojo me lance un regard empli de (fausse ?) tristesse.

- Tu me blesses tellement, Melody... dit-il, une main posée sur son petit cœur fragile.
- Bon, c'est bon, je suis calmée. Crache le morceau, et dis-moi pourquoi tu as accepté la proposition de ce malade mental.

Il retrouve de suite son sourire. J'aurais dû m'en douter. Je suis vraiment trop crédule - et ça n'a pas échappé à Jojo, d'ailleurs...

- Ok !

Ce qu'il peut m'exaspérer...

- Moi, je serais plutôt de l'avis de Joe, ajoute mon frère. Je crois deviner la raison qui l'a poussé à dire oui.

C'est un complot. Je vous assure que je finirai pas tuer ces deux-là de mes propres mains.
Ils ne se supportaient pas, et voilà qu'ils sont copains comme cochons !
Traîtres.

- Réfléchis deux minutes, Melody. À ton avis, pourquoi le professeur nous propose soudainement de devenir d'émérites apprentis Traqueurs ?
- Euh... parce qu'il a décelé mon potentiel exceptionnel ?
- Non, t'es nulle.

Sympa, merci. Je ravale une remarque acerbe et je le laisse continuer.

- Parce qu'il se méfie de nous !
- Wahou, quelle perspicacité, Sherlock !

Celle-là, je n'ai pas pu la retenir. En même temps, il m'a tendue une perche aussi grande que l'Empire State Building !

- ... Merci de me laisser continuer en paix.
- Elle est insupportable, hein ? intervient Sacha.

Lui, je vais le démolir. Pas devant Jojo, je ne veux pas l'humilier, quand même. Mais son heure viendra.
Patience, Sacha...

- Le professeur Croix...
- Le mini prof, je rectifie. Ou le petit savant fou. Ou le malade mental. Comme tu veux. En fait, on a l'embarras du choix.
- HUM HUM.

Je lève les yeux au plafond et marmonne un « pardon » inaudible.

- Le professeur Croix... le mini prof, si tu préfères, se reprend-il, irrité.

Je souris discrètement.

- Il se méfie, et je ne tiens pas plus que ça à éveiller davantage ses soupçons. Il n'est pas dupe, il sait que toi et moi ne sommes pas nets.
- D'accord, mais quel rapport avec ce qui vient de se passer ?
- Il veut nous avoir à l'œil, tout simplement ! Moi, mes parents étaient des rebelles. Donc il doit se dire que leurs idées ont déteint sur moi.
- Et il n'a pas complètement tort.
- Tu ne vas pas me laisser en placer une, en fait.

Cette fois, sa remarque est plus amusée qu'agacée.

- C'est d'ailleurs à cause de mes parents qu'ils m'ont recruté. Ils savent que je suis un potentiel danger, et ils veulent prendre le moins de risques possibles.
- Pas faux. Mais tu as aussi le profil d'un Traqueur. Tu es bon sportif, et t'es pas trop bête, donc c'est parfait pour eux.

Sa réaction est un mélange entre un sourire et un soupir.

- Pour toi, ton bracelet ne lui a pas échappé.
- Oh, le bracelet que je t'ai offert l'année dernière ! s'exclame Sacha. Tu l'as gardé, remarque-t-il dans un sourire.
- Évidemment, que je l'ai gardé ! Je l'adore... je murmure, tout en caressant la note de musique accrochée au bracelet en question.
- Loin de moi l'intention d'interrompre ce moment émouvant...

Je lui fais les gros yeux, et Jojo comprend qu'il vaut mieux pour lui qu'il ne poursuive pas sa phrase.

- ... mais est-ce que tu as une idée de la raison pour laquelle les Traqueurs t'ont engagée, Melody ?

Je réfléchis, et ça me revient. Mais oui, bien sûr que je le sais !
J'aurais dû y penser plus tôt !
Je suis une idiote ! Si j'avais fait plus attention, je ne me serais pas retrouvée ici... Je serais encore auprès de ma famille et je mènerais une vie normale. D'un autre côté, je n'aurais pas rencontré Jojo et nous ne serions pas en train de sauver l'humanité du silence complet - j'y vais peut-être un peu fort...
Ça, c'est une vraie question : est-ce que je devrais remercier cette personne, ou bien est-ce que je devrais la blâmer ?

- C'est cette saleté de vieux croûton !

Les deux garçons me regardent, abasourdis.

- Charmant.

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