Chapitre 2
En passant sous les premières branches à l'orée de la forêt détruite, Cheem fut prise d'un vertige, elle s'appuya contre le tronc calciné de l'arbre le plus proche et tenta de retrouver son équilibre. Elle se força à calmer sa respiration, inspirer et expirer lentement pour ralentir les pulsations qui lui battaient les tempes. Du coin de l'œil elle vit Ezarel penché sur les restes d'un buisson et espérât se remettre le plus vite possible pour qu'il ne remarque pas son état. L'utilisation de sa magie lui coûtait de plus en plus depuis que l'Oracle au fond du Cristal s'était endormie, elle se sentait plus faible à chaque fois mais faisait tout pour le cacher. Ses mains se crispèrent sur l'écorce brûlée et elle ferma les yeux pour ne pas perdre pieds quand elle sentit une main sur son épaule.
« Qu'est-ce qui t'arrive ? »
Ouvrant les paupières elle mit quelques secondes à faire le point sur le visage de l'elfe en face d'elle avant de tenter de lui sourire.
« Un léger vertige, ça va aller. »
Il fronça les sourcils, se retourna, fouilla dans son sac et en sortit une petite ration de pain qu'il lui tendit. Elle secoua la tête et ce mouvement accentua la pulsation dans ses tempes.
« J'ai pas faim.
-Mange. » Insista-t-il en lui mettant de force le pain dans la main.
Elle regarda dans sa paume le morceau de nourriture qui lui donna la nausée, aussi le rendit-elle à l'elfe dont le visage se teinta d'inquiétude.
« J'ai pas faim Ez' .. J'ai un vertige à cause du Cristal. »
Ezarel fronça encore un peu plus les sourcils.
« Tu as utilisé trop de magie c'est ça ? » Cheem hocha la tête. « Tu le sais pourtant que c'est dangereux ! (Elle vit la respiratio nde l'Elfe s'accélérer un peu) Miiko t'avait prévenue non ? Tues allée trop loin, et même si c'est pour... » Il s'interrompit. Cheem le vit fermer les yeux un instant et quand il les rouvrit son regard s'était adouci. « C'était pour soulager Valkyon je sais.. Mais.. » De nouveau une pause. Il posa une main sur le tronc à côté de son visage et planta son regard azur dans le sien. « Je ne veux pas te perdre toi aussi.Je ne veux plus perdre qui que ce soit. » Il se pencha, ferma les yeux, s'arrêta à quelques centimètres de son visage et sa voix ne fut qu'un souffle. « Je ne le supporterai pas. »
Cheem leva la main pour lui effleurer la joue, sentant sous ses doigts une légère crispation de sa mâchoire. Lorsqu'il ouvrit les yeux pour la regarder elle para son visage d'un sourire.
« Ne t'en fais pas. C'est arrivé seulement parce que je suis fatiguée,comme nous tous. »
L'elfe hocha la tête, s'écarta d'elle sans la quitter des yeux.
« Tu peux marcher ?
-Ça va aller. »
Elle se sentait toujours un peu flottante mais emboîta le pas d'Ezarel en se concentrant pour garder son équilibre. Après quelques minutes de marche, elle se sentit un peu mieux et put marcher plus vite, se rendant compte à cet instant que l'elfe avait calé son rythme sur le sien. Ils devaient encore marcher une bonne heure avant de trouver ne serait-ce qu'un brin d'herbe en vie, la forêt avait brûlé sur des centaines de mètres, le vent soufflait entre les branches qui grinçaient sous ses assauts, donnant à Cheem l'impression qu'ils évoluaient entre des corps décharnés.
Lorsqu'ils parvinrent à la partie de la forêt qui avait été épargnée,Cheem fit glisser son épée hors de son fourreau et s'avança la première sous les frondaisons. De nombreuses créatures s'étaient réfugiées dans ces quelques hectares encore en vie et toutes n'étaient pas amicales, loin de là, aussi assurait-elle la protection d'Ezarel pendant qu'il cherchait les plantes dont il avait besoin.
Les sens en alerte, elle effectuait lentement un cercle autour de l'elfe en gardant exprès les yeux dans le vague pour distinguer le moindre mouvement suspect.
Ce ne fut pas un mouvement qui attira son attention mais elle s'arrêta net et tendit l'oreille alors qu'Ezarel se relevait.
« Il me manque encore qu..
-Shhh ! »
Intimant d'un geste l'ordre à Ezarel de se taire, elle tourna la tête vers le nord, puis vers l'est et resta un moment à écouter.
« Qu'est-ce qui se passe ? » Demanda l'elfe en chuchotant
« Tu n'entends pas ? Comme un grondement... »
L'elfe ferma les yeux pour les rouvrir presque aussitôt.
« Je n'entends pas, je le sens. »
En effet le sol et les arbres autour d'eux s'étaient mis à vibrer très légèrement.
« Quelque chose approche. » Fit Cheem en posant sa main libre sur l'épaule d'Ezarel et en le poussant imperceptiblement pour rebrousser chemin. « Il faut partir d... »
Le grondement se fit plus fort, une bourrasque de vent leur apporta une odeur de souffre. Elle regarda Ezarel qui avait les yeux écarquillés et secouait la tête.
« Non... Impossible...
-Il faut trouver un refuge Ez', et vite ! »
Elle le poussa un peu plus fort mais il ne fit aucun mouvement et resta à fixer un point dans la direction d'où montait le grondement sourd,refusant visiblement de croire ce qui était en train de se passer.Cheem rangea son épée avec un grognement de colère.
« Bouge ! »cria-t-elle en le poussant sans ménagement.
Sa voix lui donna l'impression de résonner dans toute la forêt, mais ça eut l'effet escompté.
Il cligna des yeux, la regarda un instant, et elle eut presque un soupir de soulagement en voyant l'éclair de lucidité traverser ses pupilles azur. Il courut ramasser son sac de plantes dont il raffermit le nœud puis il pointa le doigt dans la direction opposée au grondement qui augmentait, si bien qu'il dût hausser la voix pour se faire entendre.
« Il y a une grotte à quelques centaines de mètres d'ici. »
Et sans un mot de plus ils se mirent à courir vers ce refuge improvisé, leur seule chance de survie. Ce qui approchait n'épargnerait rien sur son passage, ils ne le savaient que trop bien.
Ils courraient à perdre haleine au bord d'une ravine, les poumons en feu tant l'air à présent était chargé de souffre, le grondement cessa soudain et un silence de mort s'abattit sur la forêt toute entière,ils accélérèrent encore car ce silence était la dernière respiration avant le cataclysme qui s'abattrait sur eux s'ils n'atteignaient pas la grotte au plus vite.
La voix d'Ezarel lui parvint en même temps que le son sifflant de sa respiration.
« Cheem..
- Je sais Ez' ! Cours ! »
Oh oui elle savait : dans quelques secondes le vent allait changer de direction et remonter vers la source du cataclysme qui devait se situer, vu l'odeur, à une vingtaine de kilomètres de là où ils se trouvaient, il allait être aspiré vers l'est avec la violence d'un ouragan, et ils étaient dans sa trajectoire.
L'air vibra, puis il y eut comme un bruit d'aspiration et un premier nuage de poussière passa entre eux à une vitesse folle. Cheem faillit perdre l'équilibre sous la violence du choc mais elle parvint à se rétablir et continua sa course alors que le vent forcissait encore et que le sol semblait glisser sous leurs pieds. Tout à coup elle sentit Ezarel se jeter sur elle.
Quelque chose les percuta de plein fouet, ils basculèrent tous les deux sur le côté et dévalèrent la pente raide de la ravine, son genou heurta un rocher,puis sa tête en cogna un autre. Elle perdit connaissance une fraction de seconde et se réveilla à faible distance de la pente rocheuse, le crâne et la jambe terriblement endoloris. Fronçant les sourcils elle chercha Ezarel des yeux: il avait roulé à quelques mètres d'elle et ne bougeait pas. Se redressant avec difficulté elle tituba jusqu'à lui, l'air autour d'elle frémissait et se chargeait d'électricité,elle ne savait plus trop si le bourdonnement qu'elle entendait était dans sa tête ou bien à l'extérieur.
« Ez' ! Ez' bon sang réveille toi ! » cria-t-elle pour couvrir ce qu'elle pensait être le bruit ambiant, mais l'elfe ne bougea pas et elle vit un filet de sang qui s'écoulait de son crâne.
Ce fut à cet instant qu'elle sentit le sol trembler sous ses pieds,l'air crépita, le bourdonnement se tût .
Cheem retint son souffle et tourna la tête vers la source du grondement initial.
La déflagration qui retentit soudain ébranla la forêt entière,emplit l'atmosphère autour de Cheem qui dût détourner les yeux tant la lumière était aveuglante au moment où le ciel s'embrasait au dessus de la forêt.
Elle regarda autour d'elle, désespérée, ils n'avaient plus le temps de rejoindre la grotte à présent, le feu serait sur eux d'une minute à l'autre, détruisant tout sur son passage... Si elle ne mourrait pas avant à cause de la chaleur dégagée par le souffle de l'explosion. Du coin de l'œil elle avisa un profond renfoncement dans la paroi rocheuse qu'ils avaient dévalés, il se trouvait à une dizaine de mètres d'elle. Serrant les dents pour supporter la douleur à son genou et la brûlure de ses poumons, elle passa ses bras sous les aisselles d'Ezarel et se mit à tirer son corps inerte vers l'abri de fortune. Ce ne serait sûrement pas suffisant pour la protéger elle, mais au moins pourrait-elle sauvegarder son ami. Le vacarme autour était assourdissant, le bois des arbres explosait sous la chaleur du souffle qui la faisait suffoquer un peu plus. Elle fût saisie d'une quinte de toux qui lui fit perdre l'équilibre, sa main se posa sur une pierre et elle poussa un cri de douleur :elle était brûlante. Le sol commençait à fumer par endroits, il ne lui restait que quelques secondes, elle leva les yeux et la vit :la colonne de feu émergea soudain au dessus des arbres avec le bruit assourdissant d'un train de marchandises lancé à plein régime tandis que des cendres incandescentes commençaient à tomber des arbres morts, elle pouvait rester là et mourir debout, ahurie. Ou bouger. Sauver au moins Ezarel. Bouger. La chaleur lui bloqua la respiration.
Bouge.
Dans un dernier effort elle parvint au renfoncement où elle fit rouler Ezarel, le poussant contre la paroi du fond, elle se jeta contre lui,enroula son corps et sa cape autour d'eux au moment où le cœur du feu dévalait la pente et éclatait sur le sol à quelques mètres d'elle. La violence du choc lui boucha les oreilles, et un hurlement muet s'échappa de sa gorge lorsque la chaleur infernale pénétra dans leur abris de fortune et se coula sur son dos, chauffant à blanc la cape tissée d'écailles de dragon sensée la protéger des flammes...
Mais même un dragon ne pouvait supporter la chaleur dégagée par la combustion finale d'un phœnix.
Elle resserra ses bras autour du corps d'Ezarel dans un effort désespéré de le préserver mais aussi de ne pas s'évanouir. Si elle perdait connaissance, ils étaient condamnés. Elle n'entendait rien à part un sifflement aigu, mais elle sentait la terre trembler autour d'eux et avait la sensation que chaque parcelle de son dos fondait sous l'assaut des flammes. Elle se trouvait au cœur de l'enfer et derrière ses paupières fermées il n'y avait que du rouge et des éclats blanc douloureux.
Après un temps qui lui sembla des heures à lutter pour respirer, la fournaise reflua enfin, Cheem resta prostrée encore quelques minutes, le corps tremblant, attendant de ne plus sentir le sol vibrer pour être sûre que l'enfer s'était enfin éloigné, après encore un long moment elle esquissa un geste pour tourner la tête,juste assez pour regarder par dessus son épaule. Elle ne vit rien d'autre que de la fumée, de la fumée qui commençait à entrer dans le renfoncement et qui ne manquerait pas de les asphyxier tous les deux s'ils restaient là.
Elle roula sur le dos, sentant sous elle les dernières flammes accrochées à sa cape qui s'éteignaient, puis elle se redressa sur un coude,tendit la main et agrippa le bras d'Ezarel qu'elle tira vers elle.Leur salut, elle le savait, était de rester au plus près du sol,même si celui-ci était encore brûlant, c'était les brûlures ou l'asphyxie, le choix fût vite fait.
Elle détacha sa cape et se laissa glisser à côté, immédiatement la chaleur du sol lui mordit la peau. Crispant la mâchoire elle tira Ezarel pour l'installer comme elle pouvait sur la cape et ainsi le protéger du feu qui couvait à présent dans la terre. Ses yeux piquaient et ne cessaient de pleurer, agressés par toute la fumée, si bien que ce fût à demi aveugle et toujours sourde qu'elle sortit en rampant de la paroi rocheuse avec l'elfe inconscient.
Lorsqu'elle parvint à l'extérieur, le vent avait dissipé une partie de la fumée, l'air était enfin plus ou moins respirable, elle put prendre une grande goulée d'air qui lui déclencha une violente quinte de toux, la faisant basculer en avant. Le sol ici était moins chaud,aussi roula-t-elle sur le dos et elle resta là à tousser, respirer,tousser, tremblante, incapable de contrôler les mouvements anarchiques de son corps. Les yeux écarquillés, cherchant de l'air,la gorge en feu, elle essayait de reprendre pieds sans y parvenir,les pensées se bousculaient dans son esprit, elle n'arrivait plus à les trier ni même à en saisir ne serait-ce qu'une. Les étoiles qu'elle apercevait entre les volutes de fumée se mirent à tourner,elle prit une profonde inspiration, du moins ce fut la sensation qu'elle eut, puis perdit connaissance.
Dans son esprit résonna comme un cri, un cri aigu qui la fit froncer les sourcils dans une semi-conscience. L'épuisement s'était assis sur sa poitrine, Cheem essaya d'étouffer le cri, de le chasser au loin.
Assez.
Murmura-t-elle au fond d'elle-même.
Mais le cri résonnait toujours, trouvant quelque part un écho et se répercutant en elle, c'était un appel de détresse et elle sentit que quelque chose luttait pour la faire revenir à la réalité.
Derrière ses paupières apparurent des lueurs bleutés et le cri se mua en chant qui s'approchait doucement avant de refluer, comme les vague de l'océan.
Cheem se recroquevilla au fond d'elle-même et voulut faire abstraction de tous ces sons qui lui parvenaient, mais le cri retentit soudain à nouveau, attiré par lui elle tourna la tête pour découvrir le visage de l'Oracle. Elle lui était apparu plusieurs fois depuis qu'elle était à Eldarya. La première fois elle l'avait pointée du doigt quelques jours après son arrivée dans ce monde, et c'était ce qui avait poussé tout le monde à la garder auprès d'eux..
A présent elle semblait endormie, pourtant Cheem en était sûre, le cri de détresse émanait d'elle. Elle tendit la main vers l'Oracle et sursauta lorsque le contact se fit,déclenchant une explosion de lumières.
Ses paupières s'ouvrirent pour découvrir le visage maculé de sang et de cendre d'Ezarel penché au dessus d'elle, elle voyait sa bouche articuler des mots, mais elle n'entendait rien, absolument rien,seulement un sifflement ténu. Elle cligna plusieurs fois des yeux,quelques étoiles luisaient hautes dans le ciel au dessus de l'elfe qui semblait l'appeler, l'air était tiède encore mais toute la fumée avait disparu. Elle inspira lentement, referma les yeux une seconde pour les rouvrir aussitôt en sentant Ezarel lui secouer l'épaule,elle le repoussa doucement et se redressa avec lenteur pour le rassurer, prenant peu à peu conscience que son corps entier lui faisait mal, elle resta assise quelques secondes encore avant de relever les yeux vers l'elfe qui la fixait avec inquiétude. D'un geste elle lui fit comprendre qu'elle n'entendait plus rien, elle aurait probablement pu lui dire, elle n'avait pas perdu la parole,mais sa gorge lui faisait atrocement mal, et elle n'était pas sûre de pouvoir gérer le volume de sa propre voix en ne s'entendant pas.
Devant elle il hocha la tête, puis il pointa un doigt dans la direction qu'elle reconnut être celle du refuge, où probablement tout le monde devait penser qu'ils étaient morts. Le visage de Valkyon lui revint soudain en mémoire, oubliant le fait de ne plus s'entendre et la douleur, elle agrippa le bras d'Ezarel et lui dit qu'il fallait retourner au plus vite auprès de lui. Contre toute attente, le visage de l'elfe s'éclaira d'un haussement de sourcils et il articula très lentement avec force gestes un « Tu parles fort. »
De nouveau elle lui désigna ses propres oreilles, et tenta de lui adresser un sourire mais n'y parvint pas, elle était à bout de forces.. Tout ce qu'elle voulait c'était s'endormir à nouveau et surtout, surtout, ne plus se réveiller. Mais devant elle Ezarel se leva lentement, réajusta le sac de plantes contre lui et lui tendit les mains.
« Laisse-moi ici. »
Elle avait eu la sensation de parler, mais l'elfe ne broncha pas, se contentant de tendre un peu plus les bras vers elle. Ils se fixèrent un moment puis elle attrapa l'un de ses poignets de sa main valide,l'autre étant sévèrement brûlée, et se hissa à ses côtés, la douleur de son corps entier la foudroya dans son mouvement, l'instant d'après, elle était contre le torse de l'elfe et décida en une fraction de seconde d'y rester un peu. Ezarel lui caressa les cheveux avant de la repousser doucement, il passa son bras gauche dans son dos, attrapa sa main droite et la fit glisser sur ses épaules avant de faire un pas en avant qu'elle suivit en crispant la mâchoire.
Le bras de l'elfe appuyait sur ses brûlures mais elle n'en dit mot,voyant bien que lui-même n'était pas assuré sur ses jambes, que son regard semblait flou. A dire vrai, il avait l'air d'avancer dans une demi-conscience, la blessure à sa tête devait être plus grave que ce qu'elle pensait.
Lorsqu'ils sortirent enfin de la ravine, se soutenant l'un l'autre, ils s'arrêtèrent alors qu'une vague de tristesse les submergeait devant la désolation qui s'offrait à leur regard.
La majorité des arbres avait été couchés par la violence de l'explosion, ceux qui étaient encore debout étaient calcinés,éventrés par la chaleur qui avait fait éclater l'écorce. Le feu avait tout ravagé sur son passage, ouvrant la forêt en deux d'un bout à l'autre de l'horizon. Cheem sentit son cœur se serrer : les phœnix étaient des créatures rarissimes sur Eldarya et celui qui était venu mourir ici, proche du refuge, devait être l'un des derniers, si ce n'était LE dernier. Avec le Cristal endormi, la magie n'alimentait plus que très faiblement le monde et les phœnix ne renaissaient pas de leurs cendres. Celui qui s'était éteint cette nuit avait sans doute voulu se rapprocher du Cristal pour avoir une chance, capter une infime trace de magie pour renaître, mais en vain. Sentant les doigts d'Ezarel se crisper sur son flanc elle leva le visage vers lui pour constater que des larmes avaient laissé un sillon clair dans les traces de cendre et de sang sur ses joues.
Pour lui, elle le comprit à cet instant, assister à la mort d'un phœnix ce n'était pas seulement être témoin de la disparition d'un être rare, c'était assister à la fin de son monde.. C'était la certitude soudaine et absolue que ce monde était en train de sombrer dans le néant, que toutes les choses qu'il connaissait, les êtres qu'il aimait, tous, allaient inéluctablement disparaître.
Personne ne voudrait être témoin de cela.
Elle,elle n'était pas d'ici, son monde était ailleurs et se portait bien.. Même si elle devait sombrer en même temps que le monde d'Eldarya, elle aurait le réconfort de savoir que son monde était toujours là, quelque part. La tristesse d'Ezarel à cet instant,était une douleur qu'elle ne pouvait qu'imaginer sans vraiment en figurer l'ampleur. Alors elle se dégagea, tituba pour se placer devant lui, prit son visage entre ses mains en ignorant la douleur sous ses doigts et le força à détourner le regard. Elle mit dans le sien toute la chaleur et l'énergie dont elle était capable à cet instant, plongea ses yeux dans les siens et resta longuement ainsi. C'était la seule chose qu'elle pouvait lui offrir, et c'était misérable en regard de sa peine elle le savait, mais c'était sa seule ressource.
Au bout d'un moment il avança la tête, ferma les yeux en posant son front contre le sien.
Dans le silence ouaté qui l'entourait, Cheem sentit les battements de cœur d'Ezarel qui ralentirent doucement. Elle tâcha d'apaiser les siens, puisant dans les recoins de son âme la plus infime sensation de bien-être qu'elle put y trouver dans tout le désespoir qui l'habitait depuis des semaines. Elle repensa aux après-midi d'été de son enfance, passées à l'ombre des arbres de la forêt près de chez ses parents, sur terre, cette même forêt qui des années plus tard l'avait conduite ici à Eldarya. Elle repensa à ses soirées d'hiver à écouter de la musique pendant que la neige couvrait lentement le monde. Elle repensa à ses courses dans les ténèbres d'Eldarya, au silence rassurant de ceux-ci avec lui à ses côtés. Elle repensa à lui. A celui qui lui avait fait aimé les ombres, celui qui l'y avait guidée : Nevra.
Ezarel se redressa lentement et rouvrit les yeux, puis il leva les mains,serra ses doigts entre les siens et les écarta de son visage avant de lui adresser un demi-sourire suivi d'un « merci »articulé avec lenteur. Mais ce demi-sourire n'atteignait pas ses yeux, elle le voyait à la lueur pâle de la pleine lune double, au fond d'eux il y avait à présent un abîme infini qui avait teinté leur azur limpide d'un bleu sombre.
Chancelant il se replaça à côté d'elle, glissa de nouveau son bras dans son dos et se remit en marche, le regard fixé dans la direction du refuge pour ne pas voir la mort qui les entourait.
Le manteau de la nuit palissait à peine à l'est quand ils parvinrent aux portes du refuge d'Eel, Cheem les observa d'un regard flou, elle avait perdu pieds à maintes reprises sur la route et n'avait qu'un souvenir vague du trajet. Sa seule certitude était que les bras d'Ezarel l'avait portée sur une longue distance. A présent il trébuchait à chaque pas, ses lèvres marmonnaient des choses qu'elle n'entendait pas, son regard était fiévreux mais ne lâchait pas les lueurs vacillantes des torches allumées dans le jardin au-delà duquel ils pourraient enfin se reposer.
Lorsqu'ils furent à mi-chemin à l'intérieur des remparts en ruine, l'elfe s'effondra, l'entraînant dans sa chute. Il fallut à Cheem plusieurs minutes avant de retrouver un semblant de conscience qui lui permit de se redresser à côté du corps immobile d'Ezarel. Elle posa sa main sur son dos, ferma les yeux, prit une grande inspiration qui lui donna l'impression que ses poumons prenaient feu, ouvrit la bouche et appela à l'aide.
Elle sentit la vibration douloureuse de ses cordes vocales mais n'entendit pas sa voix, alors elle recommença encore, et encore, jusqu'à ce que le goût métallique du sang n'envahisse sa bouche et que la douleur étouffe ses cris.
Le silence l'entoura de nouveau, tout ce qu'elle entendait était un sifflement sourd qui lui vrillait les tympans et semblait battre en rythme avec son cœur. Puis elle vit du mouvement sur sa droite et des éclats de lumière se rapprocher, dans un dernier réflexe elle se pencha sur le corps d'Ezarel, pour le protéger. Contre quoi ou qui, elle ne le savait plus. Elle avait oublié où elle se trouvait,elle ne reconnaissait pas les visages qui s'approchaient : tout ce qu'elle voyait étaient les flammes des torches qui dansaient devant ses yeux. Elles dansèrent, il y eut des vibrations, des mouvements hiératiques autour d'elle, le sifflement dans ses oreilles s'intensifia, puis plus rien.
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