Chapitre 1
« Cheem...Cheem ! »
La jeune femme leva les yeux du livre qu'elle fixait depuis des heures sans en lire une seule ligne et regarda Ezarel qui était appuyé contre le chambranle de sa porte. Il avait les bras croisés et elle se demanda vaguement en se levant depuis combien de temps il était là.
« Qu'est-ce que tu veux ? » Demanda-t-elle en se redressant et faisant un pas dans sa direction.
Il la regarda des pieds à la tête et un éclair de tristesse passa dans ses yeux, bien vite effacé par un large sourire qui sonnât faux.
« Mets tes chaussures, on sort. »
Cheem resta immobile devant lui. Elle n'avait aucune envie de sortir.
L'elfe eut un imperceptible froncement de sourcils puis s'avança d'un pas en tendant le bras mais elle se recula rapidement et la main d'Ezarel se referma sur du vide. Il se mordit la lèvre en baissant les yeux avant de la regarder de nouveau.
« Ne fais pas l'enfant. »Sa voix trahissait l'inquiétude malgré la fermeté qu'il voulait lui donner. « Tu dois sortir... C'est un ordre. »
La jeune femme laissa échapper un petit rire.
« Un ordre de qui ? » siffla-t-elle entre ses dents en détournant les yeux pour ne pas voir la peine dans ceux de l'elfe.
« De moi. » Il marqua une pause. « Regarde-moi Cheem. » Elle serra les poings. « Regarde moi !» Son visage pivota lentement, ses yeux se posèrent sur les pieds d'Ezarel, glissèrent sur ses jambes pour s'arrêter une seconde sur son torse qui se soulevait plus rapidement que d'habitude, signe chez lui d'une colère contenue, puis son regard s'attarda sur son cou et sur la cicatrice qui sortait de sa chemise pour remonter jusqu'à sa pommette. Elle la suivit des yeux puis finalement retrouva ceux d'Ezarel qui n'avaient pas cessé de la fixer.
« Mets tes chaussures, on va devoir sortir du refuge.
- .. Où ? ..Et pour quoi ?
- Kero va avoir besoin de plantes pour... les onguents. »
Il avait prononcé ces mots en détournant les yeux, pendant quelques secondes il observa la chambre autour d'eux et son regard se teinta à nouveau de tristesse avant qu'il ne revienne sur elle.
« Qu'est-ce que tu attends ?»
Voyant qu'elle ne bougeait pas il se déplaça rapidement, ramassa une paire de bottes puis revint vers elle pour lui attraper l'épaule. Comme elle ne fit cette fois aucun geste pour l'éviter, il raffermit sa prise avant de la guider doucement jusqu'à un fauteuil où il la fit asseoir. Le simple contact de sa main sur son épaule fit monter des larmes aux yeux de Cheem qu'elle réprima immédiatement. Elle s'était promise de ne plus pleurer. En tout cas pas devant eux.
Ezarel s'agenouilla et sans un regard souleva son mollet pour guider son pieds dans la chaussure. Elle sentait contre sa peau les doigts fins de l'elfe qui tremblaient, lorsqu'il leva à peine les yeux elle vit que leur azur était troublé par la douleur et la colère, malgré cela ses gestes étaient empreints de douceur. Une douceur dont il avait toujours fait preuve à son égard.
Quand il eut finit il releva les yeux vers elle en essayant de sourire,mais le masque s'évanouit lentement. Il vint s'asseoir à côté d'elle, passa un bras autour de ses épaules et l'attira contre lui, posant son menton sur le haut de sa tête.
Le silence l'enveloppa en même temps que les bras de l'elfe qui ne prononça pas un mot, se contentant de la serrer contre lui avec une ferme douceur. Alors elle écouta. Au-delà des battements de cœur réguliers d'Ezarel, elle écouta le silence dans la chambre, le silence qui régnait sur l'entièreté du refuge. Depuis combien de temps était-ce ainsi?
Quand la voix de Miiko avait-elle résonné pour la dernière fois dans les couloirs ? Ou le rire d'Ykhar ?
Et son sourire à lui ?
Quand avait-il disparu ?
Les doigts d'Ezarel se crispèrent une seconde sur son épaule quand elle se mit à trembler, puis il l'attira un peu plus contre lui pour l'entourer de chaleur. Elle cala sa tête au creux de son cou, ferma les yeux et s'obligea à respirer lentement, inspirant cette odeur si particulière de forêt au printemps qui se dégageait de lui et qui,depuis qu'ils étaient devenus proches, lui avait toujours apporté un peu de réconfort. Une brève lueur dans les ténèbres.
Ils restèrent un moment sans bouger, accrochés l'un à l'autre, tentant d'oublier le silence autour d'eux. Combien de temps exactement ? Cheem n'aurait pu le dire, elle ne savait plus. Le temps était devenu une notion abstraite qui glissait sur elle comme une brise en automne et ce depuis que cette missive était arrivée, portée par un Sowige qui avait succombé à ses blessures après avoir accompli sa dernière mission.
« perdus »
C'était le seul mot inscrit.
Ils avaient attendu pendant des jours, des semaines. Un mot, un signe, une silhouette au loin. Mais rien. Seulement l'horizon désespérément vide ondulant sous la chaleur de cette terre dévastée, et le silence. Lorsque finalement quelque chose avait bougé au loin, ce n'était pas ce qu'ils attendaient. L'attaque avait été fulgurante, personne n'avait eu le temps de préparer les défenses et le refuge entier avait été dévasté. La plupart des villageois avaient péri dans le combat, la garde réduite de trois quart, et ceux qui étaient blessés ne s'étaient toujours pas remis.
Elle esquissa un geste pour s'écarter afin de chasser ces pensées, avant de relâcher son étreinte Ezarel déposa un baiser sur son front puis il l'aida à se lever et ils quittèrent la chambre.
Ils traversèrent les couloirs silencieux, pénétrèrent dans la salle des portes où le vent qui s'engouffrait par les murs lézardés jouait une mélodie lugubre. Arrivée là, Cheem s'arrêta et leva les yeux vers le plafond défoncé, puis son regard fut attiré par un mouvement vers la cuisine, Kero apparut, le visage défait et les traits tirés.
Ezarel s'avança vers lui.
« Comment va-t-il ? »
Kero baissa les yeux une seconde avant de prendre une grande inspiration. Il ouvrit la bouche mais dut s'y reprendre à deux fois avant de pouvoir émettre un son qui ne fut qu'un murmure.
« Si..S'il passe la nuit.. Il.. S'il passe.. Besoin de.. » Il tremblait de tous ses membres et Cheem serra doucement sa main entre ses doigts. Il lui adressa un regard triste, inspira à nouveau et ouvrit la bouche : « ..J'ai besoin de plus d'onguent pour.. la douleur..pour .. calmer.. Il .. »
Ezarel hocha la tête.
« Nous allons te chercher ce qu'il te faut. Est-ce que.. Est-ce qu'on peut le voir ? »
Les yeux de Kero allèrent vers Cheem avant de répondre.
« Vous pouvez mais.. C'est.. » Sa voix s'étrangla et il cessa de parler.
Ezarel se tourna lui aussi vers Cheem et l'interrogea du regard. Elle lâcha la main de Kero et fit un pas en arrière. A dire vrai elle n'avait pas vraiment envie de le voir, pas dans cet état, elle craignait de ne pas pouvoir s'empêcher de pleurer et elle savait que personne n'avait besoin de ça. Ni eux, ni même elle. Pas en ce moment. Elle ferma les yeux une seconde, respira lentement, peut-être pourrait-elle faire quelque chose, une toute petite chose, mais avec le Cristal en si piteux état, elle n'était pas sûre d'y arriver..
Finalement elle hocha la tête, contourna Kero qui lui posa la main sur l'épaule au passage, puis s'avança vers la cantine qui avait été transformée en infirmerie de fortune depuis que l'autre avait été détruite.
A l'entrée elle fut assaillie par l'odeur âcre du sang mêlée à celle des différentes plantes utilisées pour les onguents, fronçant le nez elle tâcha de faire abstraction de ces odeurs qui étaient presque devenu son quotidien, et elle avança vers les lits disposés au fond de la salle.
Eweleïn qui était penchée sur l'un d'eux se redressa et s'approcha en s'appuyant sur sa béquille de fortune pour leur barrer la route. Ses yeux étaient rougis de fatigue, ses joues étaient creuses et lorsqu'elle leva une main pour les empêcher d'avancer, ses doigts tremblaient.
« Vous ne devriez pas.... » Commença-t-elle dans un murmure que Cheem interrompit.
« S'il te plaît. Nous voulons le voir. »
L'elfe les regarda tour à tour, elle donnait l'impression d'être sur le point de s'effondrer, mais elle tenait bon, parce qu'elle le devait. Comme eux tous. Elle finit par s'écarter pour les laisser passer et se dirigea vers le lit le plus à gauche où Miiko dormait. Cheem l'observa alors qu'elle se mettait à ôter le bandage qui couvrait le bras brûlé de la femme-chat. Elle avait été gravement blessée alors qu'elle défendait le refuge lors de l'attaque qui l'avait ravagé, depuis elle n'avait pas repris connaissance. Son bâton était posé debout contre le mur à côté d'elle et la flamme qui se trouvait dans la cage scintillait doucement, somnolente, semblant attendre le réveil de Miiko.
Cheem sentit sur sa main les doigts de l'elfe qui se pressèrent contre sa paume, elle rendit la petite étreinte, détacha son regard de la grande chef endormie et suivi Ezarel alors qu'ils parcouraient les derniers mètres qui les séparaient du lit à droite.
Lorsqu'elle entra dans le halo frémissant de la bougie près du lit elle eut un sursaut et sa main agrippa par réflexe le bras d'Ezarel qu'elle sentit trembler.
Allongé devant eux, couvert de bandages, Valkyon avait les mâchoires crispées par la douleur, son visage était tuméfié et des gémissements glissaient de ses lèvres qu'il mordait jusqu'au sang pour ne pas crier. Un trait de feu l'avait heurté de plein fouet sur le flanc droit, mais les blessures les plus graves avaient été faites à l'épée et parcouraient son corps, n'épargnant à peine que son bras gauche et son visage. Sa main valide, les jointures blanchies sous l'effort, s'accrochait au drap sous lui dans une tentative de contenir la souffrance provoquée par son corps meurtri.
Cheem leva les yeux vers Ezarel qui tremblait de tous ses membres. Il déglutit, le regard figé sur le visage de Valkyon.
« Tu...
-J-je vais essayer. » Souffla-t-elle, comprenant ce qu'il voulait.
Posant ses mains délicatement sur le lit à côté du guerrier, elle se pencha suffisamment pour effleurer son front du sien et ferma les yeux. Elle se concentra et tâcha de calmer sa respiration malgré l'envie de pleurer qui lui enserrait la gorge à chaque gémissement de douleur réprimé par le guerrier.
Elle réussit à faire le vide après une poignée de secondes, une légère chaleur irradia son visage et ses mains alors qu'elle sentait le pouvoir affluer doucement en elle. C'était une faculté qu'elle avait développé au fur et à mesure du temps passé à Eldarya.. Miiko disait que c'était son sang faelien qui se réveillait doucement, alors elle s'était entraînée pendant des mois pour développer un léger pouvoir de guérison, qui ne fonctionnait que lorsqu'elle se trouvait proche du Cristal et qu'elle ne maîtrisait pas encore totalement. Elle ne pouvait pas sauver Valkyon avec ça, pas avec l'Oracle endormi si profondément dans le Cristal, elle en avait pleinement conscience, au moins pouvait-elle espérer calmer la douleur qu'il ressentait pendant quelques heures.Quelques heures qui leur permettraient d'aller chercher les ingrédients pour qu'Ezarel puisse concocter plus d'onguents et de potions.
Les minutes s'égrainèrent en silence, derrière ses paupières fermées Cheem avait la sensation que son corps s'enfonçait dans le lit et que son front se posait doucement sur celui de Valkyon. Elle entendit des chants dans le lointain qui s'approchaient, et des tambours dont le rythme ralentissait lentement. Des lueurs bleutées teintées d'émeraude passèrent dans les ténèbres devant elle et des silhouettes se découpèrent dans la lumière, c'était eux qui chantaient, elle les entendait aussi distinctement à présent que s'ils s'étaient trouvés à ses côtés.
L'un d'eux tendit la main vers elle et lui attrapa le poignet, provoquant un sursaut à ce contact glacé.
« em..eem.. »
Elle supporta la douleur qui commençait à lui irradier le bras, elle pensait à Valkyon, elle voulait faire disparaître sa souffrance, surtout ne plus l'entendre gémir de la sorte.
Les larmes lui montèrent aux yeux tant à cause de la douleur que de la peine ressentie pour le guerrier. De par son entraînement elle savait qu'elle ne pouvait pas rester dans cet état trop longtemps. Miiko lui avait dit que c'était dangereux, qu'elle pourrait s'y perdre car elle ne le maîtrisait pas encore, mais elle résista à l'envie de rompre le lien pour offrir plus de temps à Valkyon.Quelques heures. Juste quelques heures.
« eem.. cheem.. »
Une voix, un murmure parmi le chant maintenant dissonant à ses oreilles attira son attention et une silhouette s'avança vers elle, leva la main et la posa sur sa joue. Ce n'était pas froid comme celle qui lui serrait le bras, c'était empreint de chaleur.
« Cheem.. »
Elle ouvrit les yeux pour découvrir ceux dorés de Valkyon qui la fixaient.
« ...Arrête Cheem.. »
Le visage du guerrier semblait plus détendu malgré la fatigue et un fantôme de douleur qui planait encore sur son regard.
« J..J'ai réussi ? » Parvint-elle à articuler dans un souffle.
Valkyon hocha imperceptiblement la tête, et lorsqu'elle sentit les larmes s'échapper de ses yeux, il esquissa un vague sourire.
« ..Pleure pas.. »
Elle posa sa main sur celle à présent détendue de Valkyon et ferma les yeux une seconde, se concentrant sur la respiration encore sifflante mais beaucoup plus calme du guerrier allongé, appréciant de sentir son pouls avoir repris un rythme presque régulier. Elle avait réussi. Lorsqu'elle rouvrit les paupières, Valkyon la fixait toujours. Elle se força à lui sourire.
« Nous allons trouver ce qu'il faut pour te soigner. Tu dois tenir bon. »
De nouveau un infime hochement de tête avant que son regard ne glisse par dessus son épaule pour se poser sur l'elfe derrière elle.
« ..Ez'.. »
Cheem se releva doucement et s'éloigna de quelques pas alors que l'elfe prenait sa place au chevet du guerrier. Ils échangèrent quelques mots, et lorsqu'Ezarel revint vers elle, son regard azur scintillait d'une résolution nouvelle, mais Cheem y vit aussi un voile de tristesse. Celui-là même qui s'était déposé quelques semaines plus tôt et qui ne cessait de s'épaissir...
De nouveau il lui attrapa la main et l'entraîna sans un mot vers l'extérieur. Arrivés dans la salle des portes il relâcha ses doigts pour attraper deux sacs posés près d'une colonne détruite. Il lui en donna un puis lui tendit une épée qu'elle attacha sur son épaule, ils échangèrent un regard, une seconde à peine. Elle ne supportait pas de voir l'écho de sa propre peine dans ses yeux et il devait en être de même pour lui.
Ils n'échangèrent pas une parole en traversant le refuge en ruine où le vent faisait tourbillonner la poussière, de toute façon que pouvaient-ils bien dire ?
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