23h40
Nous avons débouché à l'air libre, au deuxième étage du bâtiment principal de l'usine.
Wender, après nous avoir menés à travers des bureaux défoncés comme après le passage d'une tornade - casiers fracturés, extincteurs crevés, tables bancales, chaises renversées et placards de travers - a poussé une porte, au dessus de laquelle brille un Exit rouge, et nous nous sommes retrouvés sur un réseau de passerelles. Un gros générateur, buboneux de valves et aux voyants encrassés, bourdonne en contre bas. D'immenses canalisations soudées de vis s'entubent dans le générateur, le reliant à des cuves façon station d'épuration. L'odeur s'y colle justement.
Je n'ai absolument aucune idée du processus de fabrication du lino - j'suis au Special Weapons And Tactis, pas vendeur à St Maclou - et je me demande vaguement à quoi ces cuves pouvaient bien servir.
Je les imagines nettement remplies d'eau trouble, infecte et saumâtre, mais elles sont vides. Leurs bords sont maculés de fientes et de plumes. Au fond, une fine couche d'eau de pluie s'est agglutinée, molle de saletés.
La passerelle s'étend droit devant nous, passant pile au-dessus du générateur entre les deux cuves. Une autre, reliée à celle-là, longe la gauche du bâtiment, disparaissant derrière une espèce de cheminée incurvée de bateau, à la gueule béante, cerclée de câbles sectionnés et tuyauteries hors service.
Le chemin métallique, de grille solide, mène à deux portes battantes. Les carreaux de celles-ci sont intacts. Une faible lumière fait luire le verre comme une mauvaise bougie.
— Allons-y, dit Wender.
Il ne nous recommande pas d'être prudents. A force, c'est devenu un réflexe moteur, ancré plus solidement qu'un morpion. Je porte constamment la Defender contre moi, la gueule pointée au sol. Ça me rassure.
La barrière de la passerelle se limite à deux fines barres de métal, façon bande d'arrêt d'urgence, soutenues par des piquets mats. En bas, je vois un sol verdâtre, quelques plantes rachitiques qui ont réussi à percer le béton fendillé. Des fientes de mouette, une carcasse de poisson mort, des traces de rouille sur le corps des cuves. Un tag clamant que la mère d'un certain Ganfi était une pute. Fallait en être une pour oser appeler son fils ainsi, je pense. Nos pas résonnent dans un clatz-clatz d'acier, dû à la lourdeur de notre équipement. J'ai parfois l'impression d'être un char à deux pattes. Mais ça m'a plus d'une fois sauvé la vie.
En ouvrant les portes battantes, nous avons trouvé l'agent Cahill.
Nous l'avons déniché près d'une rangée de casiers griffés en suivant la traînée que forment ses intestins. Cette fois, Laren gerbe vraiment, dans un coin proche. Personne ne lui fait de remarque.
Cahill était en meilleur état que son pote Burke, si on fait abstraction de son éviscération. Il lui manque quelques bouts, tout de même, et ses plaies sont irrégulières. La moitié de sa cuisse a été arrachée, comme par une déflagration de grenade. Son estomac et ses tripes ont été tout bonnement dépecés. La bile me vient à la gorge. J'aurais donné tout au monde pour une cigarette.
— Mais qu'est-ce qu'ils lui ont fait, merde ? - souffle Wender, révulsé.
Bonne question, ça, sergent. Au fait, qui, ils ?
Puller regarde le cadavre avec des yeux gros comme des soucoupes.
— Je crois savoir, sergent...
Sa voix est presque pleurnicharde. Et ça, ça fout "Little" Wender en rogne.
— Bah, quoi ! Vas-y ! Ouvre ta putain de gueule !
Quand la bête est fâchée, elle devient grossière.
— Je crois que... ils l'ont... mangé...
Wender le regarde d'un air stupide.
— Quoi ? Mais merde, qu'est-ce que tu...
Puller s'apprête visiblement à argumenter, mais un drôle de bruit nous alerte tous.
Un clatz-clatz régulier résonne sinistrement sur la passerelle.
Quelqu'un - quelques uns ?Ça se dirige vers nous.
Je ne crois pas qu'ils peuvent nous voir, les carreaux de la porte sont trop petits et sales. Sans un mot, nous nous accroupissons tous dans un couloir latéral sombre, prenant son départ près de casiers posés de travers.Nous devenons ainsi invisibles. Chacun tient son fusil automatique de prêt. Si ouvrir le feu est nécessaire, nous le ferons. Les portes battantes s'ouvrent, et l'appel d'air ainsi formé fait balancer l'halogène au plafond dans un grincement.
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